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On n'est pas très heureux quand il y en a beaucoup. Mais ce n'est pas nous qui choisissons. C'est un enrichissement sauvage, on adopte parfois des anglicismes qui ne sont pas nécessaires et qui ont un équivalent en français. Mais, il y a des anglicismes depuis le Moyen Age. Et le français a plus enrichi la langue anglaise que l'inverse.
Alain Rey
Corona, contaminé, virus et viralité, ne parviendront pas à nous faire passer le goût du pain et du vin. Acceptons d'être "confinés", mais au sens que ce mot eut à la fin du Moyen Âge : "aller jusqu'aux confins". Or, les confins de la langue française, c'est le monde.
Ainsi, dans le mouvement accéléré des évolutions sociales, le spectacle tourbillonne autour d'un pivot invisible : ce projet théâtral dont ne nous reste qu'une apparence, le texte.
Je me suis battu par exemple pour qu'on garde dans Le Robert les injures racistes, tout en le spécifiant. Combattre quelque chose en le niant est la politique la plus sotte qui soit.
Les mots conduisent à tout.
Mon mot préféré est Luciférienne. Lucifer est un mot magnifique, au vu de l'harmonie des syllabes, son sens premier est excellent, porteur de lumière. Introduire la féminité dans le diabolisme me plaît !
L'avenir du français, je le vois comme une évolution permanente. Les fautes d'un jour deviennent les règles du lendemain. Dans toutes les époques, on a dit que la langue était foutue et que personne ne parlait bien.
A part le cercueil, je ne vois pas d'autre retraite. Je suis en alerte depuis que je suis gamin. Dès que j'étais confronté à un mot que je ne connaissais pas, j'avais envie de savoir !
Nous observons que certains jeunes utilisent des termes issus de la bouche de leurs grands-parents. Ainsi, ils les réactualisent et empêchent la disparition de tout un vocabulaire. Je pense à la phrase admirable d'Amadou Hampâté Bâ : "Un vieillard qui meurt c'est une bibliothèque qui brûle." C'est très vrai. La langue se construit partout.
Au XVIIe siècle, un mot nouveau allait à la vitesse de la diligence. Aujourd'hui, tout va à la vitesse de notre technique, c'est-à-dire très vite.
Le petit Robert a une dimension historique qui plus est, rien ne doit sortir. Les enfants disaient "t'es un bouffon", ils disent maintenant "t'es un bolos", donc nous gardons les deux !
Confinement est sans doute le mot du jour, un peu long, à notre regret, mais qui incite ou invite à la réflexion.
Je regarde le monde à travers des lunettes merveilleuses que sont les langues, la langue française en particulier avec son ancienneté, avec ce qu'elle apporte de pensée collective depuis un millénaire.
J'avais déjà compris que quand on lisait, on pouvait faire des erreurs de lecture et qu'on pouvait varier l'interprétation de ce qu'on lisait. Parce que finalement, chaque lecteur crée sa lecture. Et ça été l'une des clés de ma passion des mots, et des mots écrits en particulier, parce qu'à travers eux, j'ai écouté la voix de ma maman. Donc c'était quelque chose, au départ, qui est très fort.
Barthes a écrit : "La langue est fasciste." Je lui avais dit que c'était une ineptie. En revanche, il est vrai qu'on peut se servir de la langue pour avoir un discours fasciste.
L'essentiel de mon activité, c'est de voir naître et prospérer les mots. Le Robert est pour moi ma signature.
Selon moi, les mots sont des accumulateurs d'énergie. Chaque fois que l'on prononce un mot, on a affaire à une épaisseur. Derrière le sens actuel d'un terme, il y a une succession de sens qui ont évolué.
Nous sommes moralement et éthiquement obligés de définir des mots nouveaux même s'ils ne plaisent pas. Maurice Druon me reprochait déjà à l'époque de "ramasser les mots dans le ruisseau", au nom du purisme du français de l'Académie française. Le dictionnaire est un observatoire, pas un conservatoire.
Le dictionnaire doit s'alimenter au réel.
Je ne bouscule pas la langue, j'essaie de l'approfondir et d'essayer de voir derrière les choses que nous employons tous les jours les petits mystères cachés par des siècles et des siècles d'utilisation.
Une langue est faite pour exprimer le monde, il faut qu'elle s'enrichisse sans cesse pour coller au réel.
Avec le tout-informatique, les personnes âgées ne peuvent plus échapper au langage des jeunes, ce n'est plus cloisonné comme avant.
Quand on a créé le mot "ordinateur", on a d'ailleurs fait une très belle opération par rapport à l'anglais "computer". Car l'ordinateur est plus un metteur en ordre qu'un compteur !
J'étais un enfant catholique surveillé comme tel. J'ai joué le jeu jusqu'à 14 ans. Puis j'ai eu l'impression que ce régime-là était uniquement fait pour gêner, empêcher, interdire.
Euro : les drapeaux changent, les hymnes nationaux changent, les monnaies aussi.