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Pour la première fois, mon père éprouva de la honte à prodiguer des soins médicaux aux Ottomans. Sa conscience lui commandait, certes, de soulager la souffrance des hommes quels qu'ils soient, sans distinction de race ou de couleur, mais l'idée de porter secours à ceux qui occupaient son pays et asservissaient son peuple lui apparut tout à coup intolérable.
Alexandre Najjar
L'exil m'a appris que l'absent qu'on aime ne s'éloigne jamais.
J'aime les îles. Elles n'ont pas d'amarres, point de cordon ombilical : les îles sont libres.
L'art est le reflet de l'âme ; la poésie, le rythme de la vie. Si l'âme est triste et que la vie est obscurcie par les malheurs, à quoi bon l'image suggestive et le vers réussi ? Mieux vaut se retrancher dans la méditation plutôt que de façonner des œuvres avec nos pulsions négatives… […] Entre-temps, ne nous taisons pas : l'art reste encore la voie la plus sûre pour arriver à Dieu !
Mais nous avons les souvenirs. En revivant les moments que nous avons partagés, nous aurons l'illusion d'être toujours ensemble !
Ceux qui abandonnent les plaisirs et les richesses du monde trouvent dans le Christ le véritable trésor !
Je ne dois pas chercher à diminuer mon supplice quand le Seigneur a embrassé le sien jusqu'à l'extrémité sans en vouloir adoucir la rigueur !
"Raisonnable"… Ce mot me poursuit depuis l'enfance. Est-ce mon éducation religieuse chez les jésuites qui me commande de sacrifier mes désirs sur l'autel de la raison ? Je ne saurais le dire. Tout ce que je sais, c'est que je ressemble à un navire en partance, attiré par le grand large, mais qui reste à quai, incapable de larguer les amarres.
Qu'est-ce qui fait qu'on s'attache à sa patrie ? L'habitude, les racines, les parents, les amis ? Je crois qu'on ne naît pas dans un pays par hasard. Si on naît quelque part, c'est pour appartenir à ce lieu, même si les vicissitudes de l'existence nous en éloignent.
Il feuilleta le livre avec dévotion et se dit qu'il y avait quelque chose d'humain dans cet objet : il avait un pied, un dos, une odeur, une peau et, quand on en tournait les pages, une voix.
Comme la lecture, l'écriture est un voyage.
Chacun a une mission dans la vie. Tout être doit écouter Dieu et faire ce qu'Il lui dit.
Le but de la vie est de nous rapprocher de ses secrets, et la folie en est le seul moyen ! […] Et moi, je suis en exil dans un pays lointain où vivre en ermite est considéré comme une folie !
Je porte le deuil de ces souvenirs qu'on m'a confisqués. Mais que ceux qui œuvrent à la destruction de notre passé se rassurent : quoi qu'ils fassent, et même si je n'ai plus mes yeux pour voir, Beyrouth m'habite. Elle est hors de l'espace et du temps. Elle fait partie de ces lieux que nul ne peut envahir. Comme le paradis.
Ce que vous appelez entêtement, je l'appelle indépendance !
Je suis un enfant de la guerre : j'en ai gardé des traumatismes indélébiles. La guerre, je n'ai pas honte de l'avouer, j'y ai participé par devoir.
La liberté se nourrit de patience et d'espoir. Elle est comme l'eau : elle finit par rouiller la lame la plus aiguisée et ronge le rocher le plus résistant. Il faut quelquefois dormir longtemps et rêver sans discontinuer qu'on est libre, avant de se réveiller et de découvrir que la liberté est là et que le rêve s'est réalisé !
Le désespoir n'est pas chrétien.
Les royaumes ne se construisent que sur les crânes des héros. Les nôtres formeront la base de l'indépendance du Liban !
Se cacher pour aimer : jamais je n'aurais accepté cela. Comment admettre la clandestinité quand on considère l'amour comme un sentiment si grand qu'il a besoin d'espace pour s'épanouir, comme un soleil que rien ni personne ne peuvent empêcher de briller ?
Victor Hugo, qui a perdu sa fille, disait que "les morts sont des invisibles, mais non des absents !" Ta maman est toujours présente, même si on ne la voit pas. Prête l'oreille au silence, tu l'entendras…
La solitude me pesait. Car la solitude n'est ni une tentation ni une amie : la solitude est tragique.
L'amour est une herbe folle qui pousse où elle veut.
Quelque puissant qu'il soit, l'amour est toujours fragile parce qu'il est à la merci de la mort, parce qu'il n'est pas capable de forcer le destin et de brider ses caprices.
L'injustice est pareille à l'eau qu'on chauffe dans une marmite. Quand elle bout trop longtemps, elle déborde : c'est cela, la révolte.
Il craignait surtout que dans cette région du monde où les trois religions monothéistes étaient appelées à cohabiter, il n'y eût pas de paix possible.
Si on naît quelque part, c'est pour appartenir à ce lieu, même si les vicissitudes de l'existence nous en éloignent.
Se remet-on jamais vraiment de la disparition d'une mère ? N'éprouve-t-on pas le sentiment d'avoir perdu le droit de vivre puisque celle qui nous a pourvu de ce droit a elle-même cessé d'exister ?
Tu est tout troublé, tu trembles, tu transpires... ce sont les symptômes de l'amour.
Ta beauté est l'exemple le plus éclatant de l'existence de Dieu !
L'amour, frère de l'insouciance, qui, en même temps qu'il nous ouvre le cœur comme les vannes d'une écluse, nous ferme les yeux et nous plonge dans un état de doux aveuglement !
On ne me prendra pas Beyrouth !
Entre aimer et assumer un amour, il existe une grande différence. La différence qui sépare la velléité du courage !
C'est de la frustration que naît la violence.
"Un ascète ne pleure pas", se dit-il en serrant les lèvres. Il eut envie de crier, d'extérioriser sa douleur, mais, craignant que l'écho ne le trahît en répercutant sa voix, il se ravisa. Il ouvrit alors les Évangiles et relut la fameuse phrase de Jésus : "Celui qui croit en moi, quand même il serait mort, vivra." Sa mère n'était donc pas morte.
Notre différence enrichit notre amour, elle ne lui fait pas obstacle.
Depuis des siècles, ce pauvre pays n'a jamais connu la paix. Nous ne sommes que le paillasson des grandes puissances !
La Méditerranée ne connaît pas de ligne d'horizon : elle est le prolongement du ciel.
La nudité est l'expression la plus pure de la beauté qu'est l'œuvre visible, parfaite et manifeste de Dieu.
Les révolutionnaires, se dit-il, sont comme ces fous d'amour qui foncent tête baissée vers l'objet de leur convoitise, sans se poser de questions, sans mesurer les conséquences de leur audace, comme si leur désir rendait leur folie légitime, comme si la passion leur donnait tous les droits.
Je regrette amèrement l'époque où, en compagnie de ma mère, je fréquentais l'église Saint Jean-Baptiste à Achrafieh. Celui qu'on appelle "le Précurseur" a toujours été mon saint préféré. Je ne sais pas s'il était essénien ou non. Ce que je sais, c'est qu'il eut le courage de tout abandonner pour aller prêcher dans le désert !
Ils étaient riches, oui, car la culture est un trésor.
Celui qui souffre ne voit que sa propre douleur, jalouse le bonheur des autres, ne comprend pas pourquoi le destin s'acharne contre lui. Pour celui qui souffre, les autres sont coupables d'être heureux.
J'étais allergique à la censure et encore plus à certains juges qui s'érigeaient en parangons de vertu et en gardiens de l'ordre religieux et moral. Je ne comprenais pas comment, dans "l'État de droit et des institutions" que prônaient nos dirigeants, dans un pays prétendument démocratique, considéré comme un havre de liberté par les autres pays arabes, pareille mesure pouvait être décrétée.
Dans un pays occupé, il n'est pire que l'accoutumance. L'accoutumance, c'est quand on prend le pli de l'occupation ; quand les débordements de l'occupant deviennent acceptables parce qu'on en a pris l'habitude.
Un pays ne meurt pas quand il est occupé : c'est quand sa culture disparaît qu'il meurt vraiment.