Images
Il ne s'agissait plus de séduire : c'était fait. Maintenant, il fallait briller, suffisamment fort pour que ton souvenir soit inoubliable, qu'il reparte avec comme chargé d'un trésor, car les garçons sont sentimentaux plus qu'on ne le croit, et font comme nous à l'adolescence, des provisions d'images qui leur durent toute la vie...
Anne Percin
Tout arrive, dans la vie. Si le pire peut arriver, c'est que le meilleur aussi. Y'a pas de raison. Après tout.
Alors, s'il y a bien un truc qui m'énerve, ce sont les gens qui quittent leur ordi toutes les deux secondes pour aller vivre leur vraie vie. Si tout le monde faisait ça, ma pauvre Lucette, il n'y aurait plus personne sur Spacebook.
Supporter d'entendre sa propre pensée demande un courage que je n'avais pas il y a encore quelques années. Je préférais me taire et m'oublier dans la musique.
On ne comprend pas immédiatement ce qu'on voit. Mais si on laisse à l'esprit le temps de réfléchir, soudain, l'image se met à exister - non pas devant nos yeux, comme appartenant à la réalité extérieure, mais dans notre cerveau. Une image intérieure se forme, complexe, changeante : elle n'a rien de définitif. Comment te dire ? C'est une peinture qui a l'air folle, et qui est très intelligente.
Le respect, ça ne se mérite pas : ça se donne. Si on attend que les autres le méritent, on peut passer des siècles à leur marcher sur la gueule, en attendant.
Mamie n'a jamais su résister au plaisir de bourrer ses petits-enfants de crêpes. Elle les fait mieux que personne et surtout, elle en fait des tonnes. Et quoi qu'on mette dessus ou dedans, elle ne s'offusque jamais. J'ai le souvenir ému d'un crêpe rillettes / Nesquick qu'elle m'a regardé manger, l'oeil embué par la fierté familiale.
Faire n'est pas important, je crois. L'important, c'est d'être, dans sa vie, dans son corps. Il faut habiter. Observer, respirer. Regarder. De là, peut-être un jour, produire quelque chose.
J'avais amené avec moi des phrases, des bribes d'histoires, des vers de poèmes, que je me récitais comme on fredonne une musique. C'est une habitude que j'ai toujours et qui m'aide à fixer dans ma mémoire les images des paysages ou des visages aperçus : ils se mêlent aux mots tirés de mes lectures et deviennent indélébiles.
C'est bizarre, je me serais volontiers proclamé libertin, avant de savoir ce que c'était que le libertinage. Je croyais que Don Juan et Valmont étaient des cyniques, des libres-penseurs, des types à la coule, quoi, comme disait mon grand-père Gérard. Mais ils ne sont que des spécialistes de la parade nuptiale, qui ont élevé la danse du dindon au rand d'art.
Je n'ai qu'un filet d'eau entre les mains qui m'échappe toujours. Telle est ma pénitence. Parce que je n'ai pas su y croire lorsqu'elles m'étaient faites, je suis à tout jamais privé de promesses...
Mon père dit toujours que l'argent, ça donne plus de devoirs que de droits.
C'est justement parce que la solitude est la meilleure alliée de l'artiste que l'amitié doit lui être si précieuse. Moi-même qui redoute tant le monde, je trouve que mes amis me font vivre d'avantage.
Je crois qu'il faut faire semblant. La réalité nous échappe, de toute façon, parce qu'elle nous demeure inconnue ou que nous ne la supportons pas. Nous vivons dans la fiction, il n'y a que ça qui nous convienne.
La société ne doit rien exiger de ceux qui n'attendent rien d'elle, disait pourtant George Sand. Mais, ma pauvre George, la société exige malgré tout, tu sais bien. Elle est intraitable, insatiable, tyrannique.
La vie m'a souvent prouvé que j'avais raison, car la réussite d'une fête quelle qu'elle soit, vient plus de la bonne humeur qu'on y met que des vêtements que l'on porte
Aimer, c'est sentir vivre en soi quelqu'un qui n'est pas soi.
On avait pourtant tenté de m'apprendre qu'il était plus sage et plus responsable de résister à la tendresse. Mais c'est une leçon difficile pour un enfant.
Je ne cherche pas à avancer dans la vie. Seulement à comprendre qui je suis, ce que je veux et où je vais, ce qui devrait être la tâche non seulement de tout artiste mais de tout homme, il me semble. Le reste n'est qu'arrangements.
Ils font ça tout le temps, les vieux. Ils mâchonnent. Ils digèrent leur vie. Ils la ruminent, se la repasse en plusieurs fois, au ralenti, pour en tirer le meilleur. Leur cerveau est un estomac de vache. Si le verbe a pris un sens négatif, c'est parce qu'on croit à tort que ruiner, c'est stagner.
Quand vos enfants cessent de vous demander d'où ils viennent et ne vous disent plus où ils vont, disait un proverbe affiché à l'entrée du Super-U l'été dernier, c'est qu'ils sont devenus des ados. Je me souviens que mon père l'avait lu à haute voix, avec l'air d'un disciple de Confucius qui médite les paroles du Maître.
Il faut seulement choisir qu'elle forme donner à notre malheur. Si l'on veut, par exemple, que nos morts familiers cessent de nous tourmenter, il faut les clouer au pinacle. Là-haut, tout là-haut dans le ciel, ils nous encombrent moins. On crée un panthéon, on y installe le mort qu'on aime, on décide qu'on lui dédiera tout, qu'en échange il nous protègera.
Tout vêtement est un travestissement. A défaut d'avoir le droit d'aller nu, on doit au moins avoir celui d'être libre de ses mouvements. Comme le dit justement George Sand, pour n'être pas remarquée en homme, il faut déjà avoir l'habitude de ne pas se faire remarquer en femme...
Écrire, c'est un peu dessiner avec des mots.
Tous les malheurs du monde arrivent parce que les gens uniques s'obstinent à se comporter comme tout le monde.
Je me sens incapable de prendre un crayon pour dessiner tout cela, je ne suis plus sûr d'être venu pour apprendre à peindre. Peut-être apprendre à sentir, à voir, à vivre. Ce serait déjà beaucoup.
Comment peut-on admettre de voir partir ceux qu'on aime ? Il doit pourtant y avoir des moyens, il y a des gens qui y parviennent, qui savent ouvrir leurs mains dans un geste de passoire comme fait le Christ avec son trou dans la paume, il y a des gens qui savent perdre. Pas moi.
À seize ans, la peau n'est pas un rempart assez solide pour se passer de carapace. Il faut des déguisements, des masques, pour supporter le regard des autres sur soi alors qu'on ignore totalement à quoi on peut ressembler.
Je n'ai jamais douté que j'avais des racines, moi. Je ne les ai jamais arrachées. Tout juste ai-je tiré parfois sur certaines lianes qui me gênaient, qui m'empêchaient d'avancer.
Redevenir sauvage, c'est redevenir enfant. Il y a des habitudes à perdre.
Aucune mère ne devrait avoir à supporter çà. La mort de l'enfant, c'est le pire de la mort.
J'ai un âge où, apparemment, mon avis compte. On me sonde, on me consulte avant de me traîner de force dans des lieux hostiles.
Franchir l'obstacle. Traverser, avancer. Même si on se fait mal. Bien sûr, on n'avait pas fini de traverser ce foutu champ miné, elle et moi. Mais, entre deux piqûres d'orties, on pouvait respirer, rire, profiter des bonnes choses. Vivre quoi. Espérer. Croire aux signes, en la chance.
Le seul et unique but de toute croyance est bien d'accepter la mort. Le reste, c'est du folklore.
Ce qu'on laisse derrière soi ne meurt pas. Un lieu ne cesse pas d'exister parce qu'on n'y vit plus : cette idée a quelque chose de rassurant. Il en va de même pour quelqu'un qu'on a quitté : on ne le tue pas pour autant. On cesse seulement de vivre dans la crainte de sa disparition. On troque la peur de perdre contre l'espoir du retour.
Ça avait l'air si beau d'être amoureuse. Ça te donnait un air alangui, un peu triste, et pourtant tu rayonnais comme une princesse de contes.
Je hais les âmes sans cicatrice, sans suture, sans divorce. Tous ceux qui sont faits d'un bloc. Ne voient-ils pas que le torturé ne torture que lui-même ? Que la société n'a rien à craindre, mais tout à espérer, de quelqu'un qui souffre de ce qu'eux-mêmes ne sentent pas ?
On était comme deux blessés qui n'osent pas se toucher de peur de se faire mal. Et qui se contentent d'esquisser quelques gestes à travers leurs bandages, le plus doucement possible pour ne pas faire craquer les pansements.
Je veux me perdre avec l'intention de me retrouver.
En art comme en amour, il faut avoir le courage de ses opinions. Nul n'est tenu d'aimer comme il faut.
Il en va souvent ainsi des choses qu'on aime, c'est lorsqu'on les perd qu'on comprend leur valeur.
Pour critiquer la société, on a besoin d'un public.
La liberté ne s'apprend pas, certains sont taillés pour et d'autres non.
Le bombardement chimique qui se poursuivait dans ses veines, via la petite boîte magique, c'était son petit Hiroshima personnel. On n'aurait pas cru, à la voir, mais il y avait une guerre en elle. Et la guerre, ça dévaste.
Chacun a ses fantômes. Plus ou moins gênants, plus ou moins envahissants, plus ou moins agréables à croiser. Je suis loin d'être le seul, chacun cache le sien qui finit par se trahir si on y regarde bien.
Tant que tu es là, je n'ai pas besoin du reste de l'humanité.
On se réhabitue vite aux choses du tendre quand on revient d'un champ de bataille.
Chacun était convaincu d'être dans son bon droit, du bon côté de la vie. Mais, je le savais désormais, il n'y avait pas de bon côté. Et je savais aussi je ne n'échapperais pas à cette fatalité. Sans le savoir, j'avais déjà glissé du côté où les hommes se croient sauvés : du côté de la raison, de la morale, de la normalité.
Parfois, dans le vie, il faut savoir disparaître, pour que les autres se rendent compte qu'ils tiennent à vous.
Si l'on peut perdre ceux que l'on aime, peut-on vivre sans crainte ? C'est la grande question que pose Saint Augustin. Je sais quelle fut sa réponse, mais comme je ne veux pas de la sienne, qui sent l'encens et l'eucharistie, il me reste à en trouver une autre, et je n'y parviens pas. Il faut vivre avec ça, la trouille au ventre.