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L'idiotie intrinsèque, l'idée du Jihad, a infiltré le Cachemire à partir du Pakistan et de l'Afghanistan. À présent, avec vingt-cinq ans de recul, je dirais qu'à notre avantage nous avons huit ou neuf versions de l'islam "authentique" qui se combattent au Cachemire. Chacune d'elles a sa propre écurie de mollahs et de maulana...
Arundhati Roy
La retraite est rarement indulgente envers les hommes de pouvoir.
L'être humain est une créature d'habitude, leur dit-elle, il est capable de se faire à tout, même aux choses les plus incroyables.
Ce n'était pas entièrement sa faute s'il vivait dans une société où la mort d'un homme pouvait être beaucoup plus profitable que ne l'avait jamais été sa vie.
L'air résonnait de Pensées et de Choses à Dire. Mais dans des moments comme ceux-là, on ne dit que les Petites Choses. Les Grandes, tapies à l'intérieur, restent inexprimées.
Comment écrire une histoire brisée ? En devenant peu à peu tout le monde. Non. En devenant peu à peu tout.
Il y avait eu une époque où l'impensable était devenu pensable, où l'impossible s'était réalisé.
Il est étrange de constater à quel point le souvenir de la mort peut perdurer bien plus longtemps que celui de la vie qu'elle a fauchée.
Mais feindre d'espérer est la seule grâce qui nous reste.
La grande littérature indienne existe de tout temps. Elle n'a pas de moment originel.
Elle laissait la blessure traverser ses branches comme une brise, et de la musique de ses feuilles bruissantes elle tirait un baume pour apaiser la douleur.
Aucune bête n'a jamais pu prétendre égaler, en diversité comme en degré, les raffinements de la cruauté dont est capable la race humaine.
Après tout ils ne luttaient pas contre une épidémie déjà déclarée. Ils se contentaient de vacciner une communauté pour prévenir une éventuelle éruption.
Je trouverais curieux de me servir du roman pour faire passer des messages d'ordre politique, même si j'évoque de multiples courants politiques.
Pendant l'année où elle le fréquenta, elle découvrit un peu de magie en elle, et, l'espace d'un temps, se sentit comme un joyeux petit génie qu'un sortilège a libéré de sa lampe. Elle était peut-être trop jeune pour comprendre que ce qu'elle avait pris pour de l'amour n'était sans doute qu'une timide tentative pour s'accepter elle-même.
Le moment avait eu la brièveté d'un battement de cœur, mais c'était sans importance. Faire partie de l'Histoire, fût-ce par un petit rire, c'était habiter une autre planète que celle où on en était absent, absenté, caviardé. Un simple rire, qui sait, pouvait peut-être ouvrir une brèche dans le mur vertigineux du futur.
Après tout, il est si facile de réduire une histoire à néant. D'interrompre une chaîne de pensées. De briser un fragment de rêve porté avec autant de précaution qu'un vase de porcelaine.
La vraie résistance ne consiste pas seulement à manifester symboliquement le week-end, elle consiste à changer efficacement les données du monde.
En Inde, le roman est une forme relativement récente. Jusqu'à il y a peu, la poésie épique avait le monopole. Toutes sortes de genres littéraires demeurent possibles pour raconter des histoires. En tant que romancière, j'ai été fortement influencée par une forme de danse, très courante, avec laquelle j'ai grandi et qui permettait de raconter des histoires.
Loin des lumières et des publicités, des villages se vidaient. Des villes aussi. Des millions de gens étaient déplacés, personne ne savait où. "Les gens qui n'ont pas les moyens d'habiter les villes ne devraient pas chercher à s'y installer", avait déclaré un juge de la Cour suprême avant d'ordonner l'expulsion immédiate des pauvres.
Tant de choses peuvent changer en l'espace d'une journée.
Toutes les familles connaissent ça : chacun appuie là où il sait faire mal, comme un docteur un peu sadique.
J'ai quitté le pays au moment de la parution du Ministère du Bonheur suprême. J'étais inquiète. Étrangement, ce roman est devenu un best-seller. C'est en Inde, ces temps-ci, l'un des livres qui se vend le mieux. Il est fréquemment piraté. On le trouve même dans les rues, aux carrefours, au pied des feux rouges ! C'est complètement fou.
Seuls les morts sont libres.
Certaines choses portent en elles leur propre punition. Comme les chambres avec placards intégrés. Tous ne tarderaient pas à en savoir beaucoup plus long sur ce chapitre. A découvrir que les punitions existent dans toutes les tailles. Qu'il y en a qui sont si grosses qu'elles ressemblent à des placards avec chambres intégrées, où l'on peut passer toute une vie d'errance à l'ombre des rayonnages.
C'est peut être ça la vie, ou ce qu'elle finit par être la plupart du temps : répéter en vue d'une représentation que l'on ne jouera jamais.
Il me semble que les écrivains sont en dehors de ce découpage géographique.
Le bonheur en rêve, est-ce qu'il compte comme le vrai ?
Pour comprendre l'histoire, continua-t-il, il faut entrer dans la maison et écouter ce que se racontent les ancêtres. Regarder les livres sur les rayons et les tableaux accrochés aux murs. Sentir les odeurs.
Le danseur kathakali est le plus beau des hommes. Parce que son corps n'est rien d'autre que son âme. Son seul instrument. Depuis l'âge de trois ans, il a été façonné, polissé, ciselé, ouvragé, attelé tout entier à cette tâche qui consiste à raconter des histoires. Il a de la magie en lui, cet homme, sous son masque peint et ses jupes tourbillonnantes.
Cela fait dix ans que je me suis aperçue que seule la fiction me permettait de dire ce que je voulais et avais besoin de dire. Alors, j'ai travaillé dix ans à la composition du Ministère du Bonheur suprême. Les voyages et la réflexion politique ont aiguisé et rendu plus complexe ma façon de penser et d'écrire.
Un lépreux aux bandages sanguinolents s'approcha de la voiture. "On dirait du Merchurochrome, dit Ammu en voyant le sang rouge vif du mendiant. - Bravo, dit Chacko. Voilà qui est parlé comme une vraie bourgeoise."
Les artistes prospèrent sur le marché mondial mais où cela mène-t-il s'ils ne disent rien ?