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Entre dans l'eau sombre, coule-toi dans mes contes, laisse mon verbe t'entraîner par des sentes et des goulets qu'aucun vivant n'a encore empruntés. Je veux dire à m'en couper le souffle. Ecoute !
Carole Martinez
Mais je n'ai trouvé un peu d'espace que dans le vol de mon faucon et dans la prière, la seule route que ce temps m'ait laissé est un chemin intérieur. J'ai creusé ma foi pour m'évader et cette évasion passe par le reclusoir. N'est-ce pas étonnant ?
C'est presque attendrissant, ce visage ravagé qui vous vient soudain, cette lourde fatigue, ces tranchées sous les yeux, ces traces d'un combat perdu en votre absence, durant votre sommeil.
J'ai compris cette douleur à laquelle Dieu avait condamné les femmes depuis la chute. L'enfantement n'était pas seulement une torture physique, mais une peur attachée comme une pierre à une joie intense.
Cette fois, elle ferma les volets, couvrit le miroir, ce piège à âmes, arrêta l'horloge... Elle venait faire un mort.
L'amour, c'est comme la vie, que cela ne dure pas ne doit pas nous empêcher d'y croire et d'y tenir. Il faut savoir goûter l'éphémère, la beauté de l'instant ! D'ailleurs l'éternité, quand on y songe, ça doit être d'un barbant !
Des choses sacrées se murmurent dans l'ombre des cuisines. Au fond des vieilles casseroles, dans des odeurs d'épices, magie et recettes se côtoient. Les douleurs muettes de nos mères leur ont bâillonné le coeur.
Je suis un vase où les hommes ont versé leur ombre et mon contour de verre s'est terni à force de douleurs.
J'admirais son agilité et songeais aux histoires de fées que mon grand-père me racontait quand j'étais petit. Puis ma fée s'est écroulée dans l'eau aussi sec et j'ai dû admettre que les fesses dans la flotte, elle perdait quelque peu de sa féerie.
Ne laisse pas trop tes enfants traîner. - Mais que crains-tu ? - Les ogres, je crains les ogres ! Mon coeur ne m'autorise pas à t'en dire davantage. On voit ses enfants grandir mais on ne les voit jamais vieillir. C'est ainsi.
Le masculin couche avec l'Histoire. Mais il est d'autres récits. Des récits souterrains transmis dans le secret des femmes, des contes enfouis dans l'oreille des filles, sucés avec le lait, des paroles bues aux lèvres des mères.
Hors du jardin, j'ai découvert le monde, il m'a écorché les pieds.
Les certitudes sont de pâte molle, elles se modèlent à volonté.
Dès le premier mouvement, elle parla à l'enfant, elle se servit de sa voix comme d'une aiguille, brodant son espace intérieur.
Un coeur bien rempli est-il le signe d'une vie riche ?
C'est pas des pieds que nous avons, nous autres, c'est des racines, et il est pas certain qu'un de ma lignée puisse vivre ailleurs que sur cette terre.
Un roman n'est pas un mensonge, puisqu'il ne se présente pas comme la vérité, même s'il s'en donne les apparences. Il peut pourtant contenir plus de réalité qu'un témoignage, permettre de toucher à l'intime, de dire ce qui ne saurait être dit autrement.
C'est compliqué de désirer qui que ce soit quand on ne se désire pas soi-même.
Intégrer ses obsessions à un livre, c'est une façon comme une autre de les contenir. Je ne suis même pas toujours consciente de ce qui se faufile ainsi dans mes romans pour rester supportable.
Le silence de la nuit s'est posé sur ma page. Du silence et rien d'autre. J'entends, dans le désert de ma vie, battre mon coeur ensablé.
Il suffit de regarder quelque chose très longtemps pour qu'une porte s'ouvre et nous absorbe.
J'ai peur toujours de cette solitude qui m'est venue en même temps que la vie, de ce vide qui me creuse, m'use du dedans, enfle, progresse comme le désert et où résonnent les voix mortes.
Opposant à la réalité une résistance têtue, nos mères ont fini par courber la surface du monde du fond de leurs cuisines.
Est-il possible que chaque instant porte de nouveau en germe mon rêve d'amour éternel ? Comment recouvrer une certitude d'enfant qu'on a un jour perdue ?
Je suis l'ombre qui cause. Je suis celle qui s'est volontairement clôturée pour tenter d'exister. Je suis la vierge des Murmures. A toi qui peux entendre, je veux parler la première, dire mon siècle, dire mes rêves, dire l'espoir des emmurées.
Parfois, des profondeurs d'une marmite en fonte surgit quelque figure desséchée. Une aïeule anonyme m'observe qui a tant su, tant vu, tant enduré.
A défaut de croire en Dieu, j'ai commencé à croire en moi, en la force de ma parole dont je voyais chaque jour croître l'incroyable pouvoir.
L'amour est un art éphémère et léger.
Depuis toujours, je débroussaille le monde en traduisant la vie en fables. Ma rêverie tord le réel, ce bricolage m'est une sorte de système immunitaire contre la vacuité et l'angoisse.
Ma vie s'est jouée avant que je ne vienne au monde. N'est-ce finalement pas le cas de tout un chacun. Notre vie n'est le fruit d'un passé qu'on ne maîtrise absolument pas.
De la somptueuse robe brodée et parsemée de fleurs de tissu, il ne restait plus que quelques lambeaux d'étoffe attachés au corps sec de ma mère comme des plantes grimpantes à leur mur de pierre.
Maman n'a jamais su écrire qu'à l'aiguille. Chaque ouvrage de sa main portait un mot d'amour inscrit dans l'épaisseur du tissu.
Il faut savoir goûter l'éphémère, la beauté de l'instant !
L'enfantement n'est pas seulement une torture physique, mais une peur attachée comme une pierre à une joie intense.
Non, les hommes ne sont pas soumis à leur désir : ils en sont les maîtres et l'éteignent aussitôt !
Quelle différence du cri au chant ! Modulation splendide de la douleur, le chant recoud ce que le cri déchire.
C'est curieux tout de même de passer une grande partie de sa vie dans des fictions, avec des êtres invisibles. Parfois ma raison ne tient plus qu'à un fil. Il suffirait de presque rien pour que je reste perchée là-haut, envolée, la tête gonflée à l'hélium avec mes amis imaginaires. Pourquoi redescendre si personne ne vous attend sur la terre ferme ?
Béguines, mystiques, recluses volontaires parvenaient parfois à mener leur entourage et gagnaient une liberté autrement inconcevable. Une autonomie à laquelle presque aucune autre femme de ma caste ne pouvait prétendre. Mais à quel prix ?
Novembre emplit l'espace d'une force immanente. Les éléments s'enlacent, rien ne se contredit, la terre se fait boue, le ciel s'affaisse, les arbres flambent, les clochers s'embrument, les contours s'estompent, les choses s'emmêlent, lascives, débordées par leurs ombres.
J'étais belle, tu n'imagines pas, aussi belle qu'une fille peut l'être à quinze ans, si belle et si fine que mon père, ne se lassant pas de me contempler, ne parvenait pas à se décider à me céder à un autre.
L'été qui régnait de l'autre côté des barreaux n'y changeait rien. La douleur est une saison en soi.
C'est nous, les Gitans, qui faisons tourner la terre en marchant. Voilà pourquoi nous avançons sans jamais nous arrêter plus de temps qu'il ne le faut.
A force de foi, de méditation, de jeûne, de solitude, il m'a semblé qu'un chemin s'était ouvert dans l'obscurité, chemin qu'empruntait la cohorte des morts et à leur suite, j'ai touché l'autre rive.