Images
Une journée commence-t-elle au coucher ou au lever du soleil ? Qui résoudra la quadrature des cadrans ?
Chantal Dupuy-Dunier
On ne trouve plus de fers à chevaux sur nos chemins de campagne. Les enclumes dorment au Musée des traditions populaires, près des fléaux et des varlopes.
En chaque homme qui meurt, c'est toujours un enfant dont la tête s'abandonne sur un oreiller de friandises et de flonflons.
Après tout, mourir n'est sans doute pas plus douloureux que naître. L'acte était si violent, nous l'avons oublié. Mourir, nous oublierons aussi.
La nuit, tous les chats sont funambules, enfants de la balle et des cerceaux, sorciers du lieu dit Les sept marches. Auréolés de lune rousse.
Le cimetière, c'est la décharge où on met les hommes.
Le rideau mouvant de l'orage occulte soudain la clarté de la nuit. Galop de chevaux noirs à l'horizon. Fulgurances derrière les volets.
Les poètes sont chiens de chasse, braves corniauds au regard éperdu de reconnaissance pour quelques mots jetés à leur gueule. C'est par la langue qu'ils respirent.
Soudain le ciel entonne un air de pluie, gouttes assourdissantes sur les toitures en tôle ; des gosses emplissent au caniveau une cuvette d'eau et la déversent en riant sur leurs têtes. La douche se trouve dans la rue.
Même le temps meurt ; des dates sont gravées sur les tombes.
Ce matin, la maison, un volet ouvert, un volet fermé, cligne de l'oeil au soleil.
Enfant, j'avais peur des poules. Etrange phobie des plumes. A présent, me voici femme de plume !
Que peut la poésie ? Pour l'impossible, je persiste.
Au Liban, je n'ai pas vu un seul cèdre, c'est presque mieux ainsi. Comme les enfants nous avons besoin d'images. Je continuerai à rêver, mes cèdres demeureront les plus rares, non déflorés par le réel. Leur hauteur sera celle de mon désir.
On n'est qu'un petit point dans ce monde, mieux une minuscule partie d'un petit point. Vu des étoiles, c'est quasiment la même durée de vie pour tout le monde. Une histoire d'années ou de minutes-lumière.
Ecrire, travailler la terre, je sarcle le langage, bouscule les mottes des signifiants. La glaise colle à mon stylo.
Un lapin blond vénitien caracole sur le sentier des douaniers, lapin des mers, cul blanc couleur d'écume.
Les maisons passent de mains en mains, d'histoires en histoires, jusqu'à l'avènement des ruines. Curieusement, on les nomme demeures.
Corbeaux, flocons noirs au faîte des arbres nus. Serrés dans leurs ailes étoffées par le froid.
Comme un chat qui s'étire, l'ombre de la maison s'allonge dans la cour, griffant les marches devant le portail. C'est l'heure où le jardin attend notre venue.
La neige ne dissout pas les souvenirs.
Saigneur... Le boucher suprême qui étripe, au dernier jour, tous les hommes pour les suspendre à l'étal de leur désir d'éternité.
Et la lumière fut. Elle était noire.
Le phare d'Alexandrie ne délivre plus qu'à des poissons aveugles des rêves de lumière, mais ses pierres éboulées leur servent d'abri.
Je n'aime que les arbres et les forêts intègres, les merveilleuses forêts qui passent au fil du ciel.
Les bras du lierre soutiennent les arbres à mourir. Beauté hypocrite du geste.
Le vieux parquet ciré se souvient d'anciens bals dont les danseurs sont morts. Leurs cavalières tournent aux bras du ciel, taille serrée dans leur robe à trois temps.
Rien n'est minuscule.
Au Supermarée, les mouettes font leurs courses dans les rayons du soleil.
Chacun de nos pas met en mouvement un film accéléré de sauterelles et de grillons. De quel monde sommes-nous les insectes ?
Dès que l'enfant articule Tu es, il formule le meurtre d'Abel, l'arrêt de mort primitif de l'Autre.
La pierre est sous la pierre, la maison sous la maison, les cimetières sous les cimetières.
Ouvre ta paume, je te donnerai une île.
Sur la marelle des rues, nous avons joué, un peu. La fête ne fut pas assez longue. Les disques s'enrayent. On démonte les manèges.
Les hirondelles volent si bas qu'elles semblent porter les nuages sur leurs ailes. Rase-motte en zigzags pour meeting aérien au-dessus de la luzerne.
Sieste d'avril, découvrons-nous de plusieurs fils.
Juillet, mois féminin, aux jupes légères que soulève le vent, par jeu, sans penser à mal.
Des villes, angéliques ou démoniaques, apparitions légères à l'angle du voyage, ou pesantes architectures proposant au bourlingueur le pacte fallacieux de leurs mondes artificiels.
Adossés aux immeubles, les fumeurs, écharpes autour du cou, font le pied de grue. D'autres, en manteaux, consument aux terrasses.
Le froid est sur le toit et la maison frissonne. Toi, tu es sur moi. Nous frissonnons mais nous n'avons pas froid.
Afrique désirée dans le creux du ventre, Afrique dont le rivage vient à la rencontre de mon imaginaire. Afrique qui n'en finit pas de brûler, Afrique de feu et de souffrance.
Jamais, c'est comme toujours, mais à l'envers en quelque sorte, un toujours pas optimiste, on dirait comme ça !
La rivière ne voit jamais le dessus du pont.
Ce sont les matins qui importent, la poudre déposée par leurs ailes fragiles sur le bout de nos doigts, leurs déplacements fugaces vers d'autres matins.
Le rêve de la lumière brille-t-il moins que la lumière ?