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L'art est long et le temps est court.
Charles Cros
Mes souvenirs sont si nombreux - Que ma raison n'y peut suffire.
Le printemps a des fleurs dont le parfum m'ennuie, L'été promet, l'automne offre ses fruits, d'aspects Irritants ; l'hiver blanc, même, est sali de suie.
Le vin qui coule des pressoirs - Est moins traître que ces yeux noirs.
L'amour m'ouvrit ses paradis - Et l'étreinte de ses panthères.
O lecteurs à venir, qui vivez dans la joie - Des seize ans, des lilas et des premiers baisers, - Vos amours font jouir mes os décomposés.
J'allume du feu dans l'été, Dans l'usine je suis poète ; Pour les pitres je fais la quête. Qu'importe ! J'aime la beauté.
J'ai pénétré bien des mystères - Dont les humains sont ébahis : - Grimoires de tous les pays, - Etres et lois élémentaires.
Je suis un homme mort depuis plusieurs années ; - Mes os sont recouverts par les roses fanées.
Au printemps, c'est dans les bois nus Qu'un jour nous nous sommes connus. Les bourgeons poussaient vapeur verte. L'amour fut une découverte. Grâce aux lilas, grâce aux muguets, De rêveurs nous devînmes gais. Sous la glycine et le cytise, Tous deux seuls, que faut-il qu'on dise ? Nous n'aurions rien dit, réséda, Sans ton parfum qui nous aida.
Rien ne vient. Notre cerveau bout - Dans l'Idéal, feu qui nous tente, - Et nous mourons. Restent debout, - Ceux qui font le cours de la rente.
La mère, charmante, hésite à sourire, Elle sait l'amour qu'on ne peut pas dire Tenant doucement son fils dans ses bras.
On meurt d'avoir dormi longtemps. Avec les fleurs, avec les femmes.
Et la chambre drapée en tulle vaporeux - Rose de la lueur des veilleuses voilées, - Où ne sonnent jamais les heures désolées !... - Parfums persuadeurs qui montent du lit creux !...
Au printemps lilas, roses et muguets, En été jasmins, oeillets et tilleuls Rempliraient la nuit du grand parc où, seuls Parfois, les rêveurs fuiraient les bruits gais.
Tout cela vaut bien mieux que d'aller au café.
Vivre tranquille en sa maison, - Vertueux, ayant bien raison, - Vaut autant boire du poison.
Sidonie a plus d'un amant - C'est une chose bien connue - Qu'elle avoue, elle, fièrement.
Elles ne sont vraiment pas belles - Les personnes qui ont raison.
Je veux ensevelir au linceul de la rime Ce souvenir, malaise immense qui m'opprime. Quand j'aurai fait ces vers, quand tous les auront lus Mon mal vulgarisé ne me poursuivra plus.
J'ai voulu tout voir, tout avoir. Je me suis trop hâté de vivre.
Et dans l'écrin du souvenir - Précieusement enfermée, - Perle que rien ne peut ternir, - Tu demeures la plus aimée.
L'automne fait les bruits froissés - De nos tumultueux baisers...
Que les corbeaux, trouant mon ventre de leurs becs, Mangent mon foie, où sont tant de colères folles, Que l'air et le soleil blanchissent mes os secs, Et, surtout, que le vent emporte mes paroles !
Il est loin le temps des aveux - Naïfs, des téméraires voeux !
Proclamons les princip's de l'art ! - Que tout l'mond' s'entende ! - Les contours des femm's, c'est du lard, - La chair, c'est d'la viande.
Sidonie a plus d'un amant - Qu'on le lui reproche ou l'en loue - Elle s'en moque également.
Car le Beau - Que je rêve, avant le tombeau, - M'aura fait des heures sereines.
Dans ces meubles laqués, rideaux et dais moroses - Danse, aime, bleu laquais, ris d'oser des mots roses.
Je n'ai d'argent qu'en mes cheveux.
Les mots morts, les nombres austères - Laissaient mes espoirs engourdis.
Les hommes seraient tous de bonne race, Dompteurs familiers des Muses hautaines, Et les femmes, sans cancans et sans haines, Illumineraient les soirs de leur grâce.
Elle vient et se livre à mes bras, toute fraîche - D'avoir senti passer l'air solennel du soir - Sur son corps opulent, sous les plis du peignoir. - A bas peignoir ! le lit embaume. O fleur de pêche - Des épaules, des seins frissonnants et peureux !...
Le long des peupliers je marche, le front nu, Poitrine au vent, les yeux flagellés par la pluie. Je m'avance hagard vers le but inconnu.
L'oubliance est douce.
Le temps veut fuir, je le soumets.
Le rhythme argentin de ta voix Dans mes rêves gazouille et tinte. Chant d'oiseau, bruit de source au bois, Qui réveillent ma joie éteinte.
Elle avait de beaux cheveux, blonds - Comme une moisson d'août, si longs - Qu'ils lui tombaient jusqu'aux talons.
Musc, myrrhe, élémi, Chants de toute sorte, Je m'endors parmi Votre âcre cohorte.
Le pouvoir magique à mes mains - Se dérobe encore. Aux jasmins - Les chardons ont mêlé leurs haines.
Mais il vient des mots étouffants ; - On laissera les chers enfants - Livrés à de vagues désastres.
La lettre jaunie où mon aïeul respectable - A mon aïeule fit des serments surannés.
J'ai composé cette histoire - simple, simple, simple, - Pour mettre en fureur les gens - graves, graves, graves - Et amuser les enfants - petits, petits, petits.
Et l'on songerait, parmi ces parfums - De bras, d'éventails, de fleurs, de peignoirs, - De fins cheveux blonds, de lourds cheveux noirs, - Aux pays lointains, aux siècles défunts.