Images
Je viens de comprendre quelque chose, une chose capitale, une révélation si on veut. Je viens de comprendre que personne, jamais, ne me contraindra en rien.
Christian Bobin
Les hommes ? Non, je ne les vois pas. Et les pères encore moins. Et les maris pas du tout. C'est comme ça : je ne sais voir que les femmes et les enfants. Pour voir un peu de cette vie, il faut commencer par en oublier beaucoup.
Le silence est la plus haute forme de la pensée, et c'est en développant en nous cette attention muette au jour, que nous trouverons notre place dans l'absolu qui nous entoure.
La vérité tient sa lumière en elle-même, non dans celui qui la dit.
Le bon chemin pour les enfants n'est jamais le chemin des parents, jamais.
Je n'aime pas ceux qui parlent de Dieu comme d'une valeur sûre. Je n'aime pas non plus ceux qui en parlent comme d'une infirmité de l'intelligence. Je n'aime pas ceux qui savent, j'aime ceux qui aiment.
Moins aimer, c'est ne plus aimer du tout.
La main de l'ange a des ongles noirs à force de nous déterrer des gravats de nos projets.
Les mots Dieu ou amour ont traîné partout, et pourtant ils ont trop précieux pour qu'on les abandonne.
Leçon ancestrale, coutume venue de la nuit des temps : attendre infiniment, mais sans rien attendre de personne.
Je continuerai à bénir cette vie où tu n'es plus, je continuerai à l'aimer, c'est en tournant le dos à ta tombe que je te vois.
C'est une chose étrange que l'absence. Elle contient tout autant d'infini que la présence. J'ai appris cela dans l'attente, j'ai appris à aimer les heures creuses, les heures vides : c'est si beau d'attendre celle que l'on aime.
La lecture c'est la vie sans contraire, c'est la vie épargnée.
C'est fou ce qu'on peut dire comme bêtises pour retenir les gens - et c'est fou comme les gens croient aux bêtises qu'on leur dit.
... je n'aime que cette musique que je n'ai plus besoin d'entendre...
Les gens assis le long du couloir menant au scanner, je les reconnais au premier regard : c'est le peuple gris du quai de gare d'Auschwitz. Les hôpitaux nous mènent si loin de chez nous que notre âme peine à nous suivre.
Lire : prier au désert.
Dans les cimetières, ce qu'on met en terre ce sont des sourires de toutes les couleurs.
La création, par l'invention d'une forme close, protège, recueille le réel. L'industrie - et la télévision n'est que cela - détruit, et avec elle grandit, non pas une civilisation, mais bien une barbarie de l'image.
L'intelligence n'est pas affaire de diplômes. Elle peut aller avec mais ce n'est pas son élément premier.
... soigner c'est aussi dévisager, parler - reconnaître par le regard et la parole la souveraineté intacte de ceux qui ont tout perdu.
Les parents voient leurs enfants, jamais leurs âmes.
Le courage n'est pas de peindre cette vie comme une enfer puisqu'elle en est si souvent une : c'est de la voir telle et de maintenir malgré tout l'espoir du paradis.
Parfois quelqu'un vous donne à manger en une seconde pour votre vie entière.
Pour s'éprendre d'une femme, il faut qu'il y ait en elle un désert, une absence, quelque chose qui appelle la tourmente, la jouissance. Une zone de vie non entamée dans sa vie, une terre non brûlée, ignorée d'elle-même comme de vous.
Je n'ai jamais vu de personne plus libre que toi, plus libre, plus intelligente et plus aimante : puisqu'il s'agit trois fois du même mot, puisque chacun de ces mots, séparé des deux autres, est vide de nerf, de sens et de tout.
La parole qui adore comme celle qui maudit ignorent tout de ce qu'elles nomment, et d'ailleurs souvent se succèdent en une seconde sur les mêmes lèvres, à propos du même objet, de la même personne.
Pourquoi faudrait-il un sens à nos jours ? Pour les sauver ? Mais ils n'ont pas besoin de l'être. Il n'y a pas de perte dans nos vies, puisque nos vies sont perdues d'avance, puisqu'elles passent un peu plus, chaque seconde.
L'amour n'est rien que cette brûlure, comme au blanc d'une flamme. Une éclaircie dans le sang. Une lumière dans le souffle. Rien de plus. Et pourtant il me semble que toute une vie serait légère, penchée sur ce rien.
Il est très difficile de soutenir le regard fixe d'un tout-petit - c'est comme si Dieu était en face de vous et vous dévisageait sans pudeur, en prenant tout son temps, un peu étonné de vous voir là.
C'est pour ça qu'on écrit. Ce ne peut être que pour ça, et quand c'est pour autre chose c'est sans intérêt : pour aller les uns vers les autres.
Mourir doit ressembler à ça : nager dans le noir et que personne ne vous appelle.
Les mains des nouveaux-nés et celles des vieillards sont à un millimètre de l'infini.
Nous ne connaîtrons jamais les autres puisqu'eux mêmes ne se connaissent pas.
Les hommes regardent les femmes et ils en perdent la vue. Les femmes regardent les mots d'amour et elles y trouvent leur âme.
Ecrire des lettres d'amour est, certes, un travail peu sérieux et sans grande importance économique. Mais si plus personne ne l'exerçait, si personne ne rappelait à cette vie combien elle est pure, elle finirait par se laisser mourir.
L'homme livide c'est l'homme social, c'est l'homme utile, persuadé de son utilité. C'est l'homme de la plus faible identité - celle de maintenir les choses en état, celle du mensonge éternel de vivre en société.
Les livres, pour les effacer, il suffit de ne jamais les ouvrir. Les gens, c'est pareil : pour les effacer, il suffit de ne jamais leur parler.
Le travail c'est du temps transmué en argent, l'écriture c'est le même temps changé en or.
Il suffit d'avoir été regardé par un nouveau-né pour savoir que le petit d'homme sait tout de suite lire. Il est même comme les grands lecteurs : il dévore le visage de l'autre.
Tout le mal dans cette vie provient d'un défaut d'attention à ce qu'elle a de faible et d'éphémère.
On lit en quelqu'un comme dans un livre, et ce livre s'éclaire d'être lu et vient nous éclairer en retour, comme ce que fait pour un lecteur une très belle page d'un livre rare. Quand un livre n'est pas lu, c'est comme s'il n'avait jamais existé.
On n'est jamais contemporain de l'invisible.
On dit que la voix et les yeux sont, dans la chair, ce qui est le plus proche de l'âme, je ne sais pas si c'est vrai et de quelle vérité, je sais que la mort est goulue et qu'elle va au plus vite, comme un voyou mettant la main sur un trésor, en un millième de seconde les yeux sont vidés et la voix est éteinte, fini, fini, fini.
Dans le monde de l'esprit, c'est en faisant faillite qu'on fait fortune.
Il nous faut naître deux fois pour vivre un peu, ne serait-ce qu'un peu. Il nous faut naître par la chair et ensuite par l'âme. Les deux naissances sont comme un arrachement. La première jette le corps dans ce monde, la seconde balance l'âme jusqu'au
... le droit élémentaire de toute personne vivant sur cette terre : disparaître sans rendre compte de sa disparition.
... ce nom que toute les femmes pourraient donner à leur mari : le loin-près. Ni jamais là, ni jamais ailleurs. Ni vraiment absent, ni vraiment présent.
L'absence de vérité dans une voix est pire que la fin du monde.
L'amour de certaines mères est comme une corde passée au cou de l'enfant : au moindre mouvement de celui-ci vers la vie, le noeud coulant se resserre.