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Mon pays fait vingt et un centimètres de large, sur vingt-neuf de long : une feuille de papier blanc.
Christian Bobin
La mélancolie se lève chaque matin une minute avant moi. Elle est comme quelqu'un qui me fait de l'ombre, debout entre le jour et moi. Je dois pour m'éveiller la repousser sans ménagement.
Mon Dieu, protégez-nous de ceux qui nous aiment.
Dieu nous regarde monter les châteaux de cartes de nos projets jusqu'au jour imprévisible où il tape du poing sur la table et fait tout s'effondrer : quelque chose, enfin, arrive.
La joie c'est de n'être plus jamais chez soi, toujours dehors, affaibli de tout, affamé de tout, partout dans le dehors du monde comme au ventre de Dieu.
Les heures silencieuses sont celles qui chantent le plus clair.
... l'essentiel n'est rien d'autre que ce que l'on néglige.
Dieu c'est ce que savent les enfants, pas les adultes. Un adulte n'a pas de temps à perdre à nourrir les moineaux.
Il y a une chose plus redoutable encore que la mort : une vie sans amour.
Devant ce que la vie a de plus cruel, toutes les pensées parfois s'effondrent, privées d'appui, et il ne nous reste plus qu'à demander aux arbres qui tremblent sous le vent de nous apprendre cette compassion que le monde ignore.
Le lien amoureux est lien de guerre et de commerce entre les sexes.
Entre moi et le monde, une vitre. Écrire est une façon de la traverser sans la briser.
L'ennui c'est de l'amour qui s'apprête en silence.
Un peintre c'est quelqu'un qui essuie la vitre entre le monde et nous avec de la lumière, avec un chiffon de lumière imbibé de silence.
... la musique rend bête, incomparablement. Elle enlève l'âme de la bouche. Elle se produit dans un temps blanchi, dévasté. Elle danse sur notre disposition, elle donne ses fêtes pour le jour où nous n'y sommes plus.
Etre vivant, c'est être vu, entrer dans la lumière d'un regard aimant.
Avec la fin de l'amour, apparaissent les rois mages : la mélancolie, le silence et la joie.
Il nous appartient - quand tout nous fait défaut et que tout s'éloigne - de donner à notre vie la patience d'une oeuvre d'art, la souplesse des roseaux que la main du vent froisse, en hommage à l'hiver. Un peu de silence y suffit.
On ne peut voir que là où il n'y a plus aucune ténèbre de puissance. Le pouvoir aveugle, la gloire assombrit.
On lit comme on aime, on entre en lecture comme on tombe amoureux : par espérance, par impatience. Sous l'effet d'un désir, sous l'erreur invincible d'un tel désir : trouver le sommeil dans un seul corps, toucher au silence dans une seule phrase.
Le sommeil est un mystère et, en tant que tel, il touche la mort d'un côté, et l'amour de l'autre.
L'oeuvre est achevée quand l'artiste est, devant elle, rendu à sa solitude complète.
Qu'est-ce que la neige ? Un peu de froid, beaucoup d'enfance.
Ecrire c'est affaire de musique plus que de sens, c'est affaire de silence plus que de musique. Mon vrai désir ce n'était pas écrire, c'était de me taire. Ce désir est un désir d'autiste ce désir est un désir d'artiste.
Légèreté de l'oiseau qui n'a pas besoin pour chanter de posséder la forêt, pas même un seul arbre.
Celui qui parle est sans absence.
Les gens on les aime tout de suite ou jamais.
Pas d'infini sans clôture.
Marcher dans la nature, c'est comme se trouver dans une immense bibliothèque où chaque livre ne contiendrait que des phrases essentielles.
Un tête-à-tête permanent avec Dieu, dans cette vie, serait accablant. Il faut à l'amour un peu d'absence.
Voir, entendre, aimer. La vie est un cadeau dont je défais les ficelles chaque matin, au réveil. La vie est un trésor dont je découvre le plus beau chaque soir, avant de fermer les paupières : Geai assise au pied du lit, souriante.
Il y a très peu de gens qui savent rire de leur folie.
Evidemment, je ne me tiens pas pour modèle. Je me sens fait en dentelle et en plomb. Il y a en moi le monde et le ciel. La masse à dissoudre est énorme. Les bébés sont mes maîtres à penser, or ils ne sont jamais tristes.
Il n'y a pas de passé. Il n'y a qu'aujourd'hui et, dans aujourd'hui, serrés et brûlants comme à l'intérieur d'une clochette de muguet, tous les morts que nous avons aimés.
Les mots n'ont pas si grande importance, qu'avons-nous à nous dire dans la vie, sinon bonjour, bonsoir, je t'aime et je suis là encore, pour un peu de temps vivante sur la même terre que toi.
La parole doit venir à certains moments, mais ce qui instruit et ce qui donne c'est la présence. C'est elle qui est silencieusement agissante.
Très peu de vraies paroles s'échangent chaque jour, vraiment très peu. Peut-être ne tombe-t-on amoureux que pour enfin commencer à parler. Peut-être n'ouvre-t-on un livre que pour enfin commencer à entendre.
Même en enfer il y a peut-être un ange.
L'écriture, c'est le coeur qui éclate en silence.
Très peu de vivants et beaucoup de morts dans cette vie - mort étant celui qui ne se lâche jamais et ne sait pas s'éloigner de soi dans un amour ou dans un rire.
... tu veux savoir qui tu es pour moi, eh bien voilà : tu es celle qui m'empêche de me suffire.
L'angoisse suscite la beauté - comme la question réveille sa réponse.
Je ne maudis jamais la pluie, cette petite soeur déshéritée du soleil.
L'amour est comme un peintre qui oublierait - chaque matin, dans son atelier - la vieille histoire du monde, pour saisir une fleur éternelle dans le tremblé de l'air.
Je lui parle en souriant, comme il convient de parler à ceux que l'on aime.
Les rires ce sont les larmes qui se consolent toutes seules.
Pour Wadsworth, de même que le diamant n'est qu'un morceau de carbone tant qu'il ne s'est pas cristallisé, l'homme n'est que néant tant que la pensée n'a pas taillé son âme comme un joyau dont chaque facette célèbre la lumière éternelle.
Vivre, c'est aller faire ses courses et croiser un ange qui ne sait pas son nom, ouvrir un livre et se trouver soudain dans une forêt au pied de vitraux vert émeraude, regarder par la fenêtre et voir passer les disparus, les trop sensibles.
Ecouter c'est quand on aime.
Devant la mort nous serons comme à notre naissance, radicalement privés de toute puissance.