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Rien de tel qu'un enfant pour vous mettre dans le bain du monde.
Christian Bobin
C'est l'imprévu que j'espère, et lui seul. Partout, toujours. Dans les plis d'une conversation, dans le gué d'un livre, dans les subtilités d'un ciel. Ce à quoi je ne m'attends pas, c'est cela que j'attends.
Ces gens dont l'âme et la chair sont blessées ont une grandeur que n'auront jamais ceux qui portent leur vie en triomphe.
Les gens croient montrer leur profondeur quand ils brassent des opinions. Mais les opinions sont des branches mortes flottant sur l'eau croupie de l'époque.
Les mots de l'amour sont comme l'amour que l'on fait, ils demandent la nuit, l'éclat sans égal de la nuit. On aime. On écrit.
Tristesse : la fatigue qui entre dans l'âme - Fatigue : la tristesse qui entre dans la chair.
La vie me bouleverse comme un papier de soie si fin qu'un regard trop pesant parvient à déchirer. La vie me comble d'être aussi parfaitement menacée. Le déchirement me donne joie et rire.
Qui n'a pas connu l'absence ne sait rien de l'amour. Qui a connu l'absence a pris connaissance de son néant - de cette connaissance lointaine qui fait trembler les bêtes à l'approche de leur mort.
C'est ainsi : les choses qui arrivent dans la vie basculent tôt ou tard dans les livres. Elles y trouvent leur mort et un dernier éclat.
Je n'aime pas ceux qui savent, j'aime ceux qui aiment.
Je lis pour faire sa place à la douleur. Je lis pour voir, pour bien voir - mieux que dans la vie - l'étincelante douleur de vivre.
On croit aimer des gens. En vérité, on aime des mondes.
Quand la vérité entre dans un coeur, elle est comme une petite fille qui, entrant dans une pièce, fait aussitôt paraître vieux tout ce qui s'y trouve.
La vie écrit au crayon. La mort passe la gomme.
Le mal s'insinue dans l'air du temps comme de l'eau sous une porte. D'abord presque rien. Un peu d'humidité. Quand l'inondation survient, il est trop tard.
Il n'y a pas de plus grand malheur sur cette terre que de n'y trouver personne à qui parler et nos bavardages, loin de remédier à ce silence, ne font la plupart du temps que l'alourdir.
... l'amour donné un jour, c'est pour toujours qu'il est donné.
Les tombes nous ont appris - tellement de marbre sur tant de vide.
L'enfant est celui auquel on annonce jour et nuit sa fin prochaine, certaine, voulue : grandis.
Ce que l'on aime est comme une Mère. Cela nous enfante et nous régénère.
L'art de la conversation est le plus grand art. Ceux qui aiment briller n'y entendent rien. Parler vraiment, c'est aimer, et aimer vraiment, ce n'est pas briller, c'est brûler.
Tant que tu crois à la toute-puissance de l'amour, tu ne crois qu'à la puissance et à rien d'autre. C'est vrai que l'amour est invincible. Mais il ne l'est que dans l'exacte mesure où il est sans puissance aucune devant ce qui le tue.
Nous lisons mal et bien trop vite. Dans cette parole si connue de Thérèse d'Avila, le mot important, que négligent presque tous les lecteurs, est le mot "comme" : "L'amour est fort comme la mort." Tu n'as jamais rien cru d'autre.
Le sourire est la seule preuve de notre passage sur terre.
La beauté est l'antichambre de l'amour, la beauté est la lisière d'un amour dont je ne désespérerai jamais.
C'est même chose que d'aimer ou d'écrire. C'est toujours se soumettre à la claire nudité d'un silence. C'est toujours s'effacer.
La terre se couvre d'une nouvelle race d'hommes à la fois instruits et analphabètes, maîtrisant les ordinateurs et ne comprenant plus rien aux âmes, oubliant même ce qu'un tel mot a pu jadis désigner.
Peut-être que les fous sont des gens que personne n'a jamais lus, rendus furieux de contenir des phrases qu'aucun regard n'a jamais parcourues. Ils sont comme des livres fermés.
Il faut autant de génie - c'est-à-dire de courage, de songe, de patience et d'impatience, d'innocence et de ruse - pour trouver l'argent du loyer et de quoi vêtir des enfants que pour bâtir un chef-d'oeuvre.
Si la vérité nous fait parfois défaut, c'est parce que nous avons commencé à lui manquer, en prétendant la régenter et la connaître.
La solitude est une maladie dont on ne guérit qu'à condition de la laisser prendre ses aises et de ne surtout pas en chercher le remède nulle part.
... être infidèle à soi-même pour mieux rester fidèle à la vie dans notre vie.
La maternité est ce qui soutient le fond de tout. La maternité est la fatigue surmontée, la mort avalée dans laquelle aucune joie ne viendrait.
L'amour - et la poésie qui est sa conscience aérienne, sa plus humble figure, son visage au réveil - est profondeur de l'attente, douceur de l'attente.
Pour me détacher du monde, il me suffit de porter mon attention du côté de ce qui résonne - la vérité, la pluie sur le toit d'une voiture, les mots d'amour ou les pianos de Mozart.
Le futur n'existe pas dans l'enfance. Il n'existe pas plus dans l'enfance que dans le sommeil ou l'amour. Il n'y a ni futur ni passé dans la vie. Il n'y a que du présent, qu'une hémorragie éternelle du présent.
Ceux qui savent nous aimer nous accompagnent jusqu'au seuil de notre solitude puis restent là, sans faire un pas de plus. Ceux qui prétendent aller plus loin dans notre compagnie restent en fait bien plus en arrière.
La maison de long séjour est appelée "maison de cure". Les infirmes, les vieillards et les agonisants qui la peuplent sont appelés des "résidents". Plus les choses sont dures, plus on leur donne des noms faibles.
La souffrance sécrète du noir, l'inconnu engendre la lumière.
Les médecins ne supportent pas d'être pris en défaut. Ils jettent des noms sur tout, sur ce qu'ils savent et sur ce qu'ils ne savent pas. Les noms rassurent les médecins autant que les malades.
La musique, ce qu'elle est : respiration. Marée. Longue caresse d'une main de sable.
La vie en société c'est quand tout le monde est là et qu'il n'y a personne. La vie en société c'est quand tous obéissent à ce que personne ne veut.
Le jaloux croit témoigner, par ses larmes et ses cris, de la grandeur de son amour. Il ne fait qu'exprimer cette préférence archaïque que chacun a pour soi-même.
Voir un vrai visage, c'est voir quelqu'un qui a vu quelque chose de plus grand que lui.
Une vie sans éclat et attentive au simple est semblable à ces coings à la peau duvetée et à l'apparence rugueuse qui, mûrissant dans l'ombre, embaument l'air du cellier - comme fait le corps d'un saint après sa mort.
La vraie lumière ne vient que par illuminations, explosions intérieures, non décidables.
Toutes les fleurs se ruent vers nous en nous léguant de leur vivant leur couleur et leur innocence. Les contempler mène à la vie parfaite.
La beauté, voilà un vrai mystère, bien plus intéressant que celui de l'âme.
On dirait que les riches sont à un centime près.
Nous avons quelques secondes pour devenir des saints ou des diables, pas plus.