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... ce mélange de vouloir instruire et mépriser à la fois qui est si fréquent chez les intellectuels : on parle à quelqu'un qui est à un mètre de soi et on est envoyé à des années-lumières.
Christian Bobin
... c'est bien trop peu d'être quelqu'un. Parce que c'est moins que rien. J'ai quarante-trois ans et je continue à vouloir être tout.
C'est si beau ta façon de revenir du passé, d'enlever une brique au mur du temps et de montrer par l'ouverture un sourire léger. Le sourire est la seule preuve de notre passage sur terre.
Le visage amoureux est visage des hauteurs.
L'amour comme la mort simplifie. Le vrai nom de l'amour est la simplicité.
Il y a deux attitudes possibles devant la mort. Ce sont les mêmes attitudes que devant la vie. On peut les fuir dans une carrière, une pensée, des projets. Et l'on peut laisser faire - favoriser leur venue, célébrer leur passage.
Il n'y a pas de connaissance en dehors de l'amour. Il n'y a dans l'amour que de l'inconnaissable.
L'expérience de l'humiliation est comme celle de l'amour, inoubliable.
Il ne faut jamais faire de littérature, il faut écrire et ce n'est pas pareil.
Il est impossible de protéger du malheur ceux qu'on aime : j'aurai mis longtemps pour apprendre une chose aussi simple. Apprendre est toujours amer, toujours à nos dépens. Je ne regrette pas cette amertume.
Etre amoureux, c'est souvent l'être "vaguement". Le flou est propice aux états sentimentaux.
Trempé dans du lait pour l'adoucir, recouvert de jaune d'oeuf et de sucre, et cuit dans une poêle. Il n'est pas perdu, le pain perdu, puisqu'on le mange.
Aux enfants on apprenait jadis que Dieu est dans le ciel. Mais qui leur apprendra que le ciel est sur terre, partout étincelant dans les choses simples ?
La mort ne change pas la vie en destin. Mourir ne referme pas le livre à sa dernière page, texte enfin indéchiffrable.
Ce qui fait événement, c'est ce qui est vivant, et ce qui est vivant, c'est ce qui ne se protège pas de sa perte.
La vraie littérature m'apparaît comme un village dans la nuit. Un village qu'on apercevrait d'un chemin de campagne surélevé. Il y a des feux qu'on voit briller, certaines maisons sont éclairées.
Je ne peux rien sur ma vie. Surtout pas la mener.
La beauté est de la digitaline pour le coeur.
La vie est à elle-même son propre sens, pour peu qu'elle soit vivante.
La guerre, le commerce sont les deux activités principales de l'homme sur terre, deux manières sûres d'étendre son nom bien au-delà de soi.
Ecrire c'est refuser les aliments proposés par le monde et rechercher, dans la maigreur affolante d'une phrase ou dans son développement boulimique, la vraie nourriture, celle qui fera grandir, et cette recherche par elle-même est déjà nourricière.
La lecture, mes amis, c'est comme la parole d'amour ou comme Dieu le Père : jouissif en diable, charnel d'abord.
L'enfance est ce que le monde abandonne pour continuer d'être monde.
Tous les airs se démodent - pas les chants d'oiseaux.
La vie a une densité explosive. Un minuscule caillou contient tous les royaumes.
Si retranchée soit notre vie, perdue sur les hauteurs brûlées de vent, elle n'est jamais si proche que dans une poignée de visages aimés, que dans cette pensée qui va vers eux, dans ce souffle d'eux à nous, de nous à eux.
La poésie, en ce sens, c'est la communication absolue d'une personne à une autre : un partage sans reste, un échange sans perte. On ne peut mentir en poésie.
Que deviennent les choses que personne ne voit ? Elles grandissent. Tout ce qui grandit grandit dans l'invisible et prend, avec le temps, de plus en plus de force, de plus en plus de place.
On voit ce qu'on espère. On voit à la mesure de son espérance.
Une jolie femme qui n'a aucun souci de plaire est d'emblée sans rivale, au sommet de toute beauté comme le sont les roses et les saintes.
Lire pour se cultiver, c'est l'horreur. Lire pour rassembler son âme dans la perspective d'un nouvel élan, c'est la merveille.
Ce qui m'échappe dans ta mort m'échappait déjà de ton vivant. La mort ne change pas une vie en destin.
Je n'aime que les écritures dont l'auteur a été arraché au monde, pour quelque raison que ce soit : une douleur infinie, une joie sans cause ou simplement le sentiment d'être un étranger sur la terre.
Le coeur de ceux que nous aimons est notre vraie demeure.
Ce qui s'enfuit du monde c'est la poésie. La poésie n'est pas un genre littéraire, elle est l'expérience spirituelle de la vie, la plus haute densité de précision, l'intuition aveuglante que la vie la plus frêle est une vie sans fin.
Ce qui fait un couple, c'est la nourriture : un couple c'est quand deux respirent le même air, avalent la même nourriture - la même amertume ou la même joie. Et ces deux-là, qu'est-ce qu'ils mangent ? Ils mangent de la souffrance, du malheur.
Les enfants ont un privilège : on ne leur demande pas de justifier leur existence. On ne demande pas à un enfant ce qu'il fait dans la vie. On le sait bien : il joue, il pleure, il rit. Il vit - et ça suffit pour vivre.
Ne pas chercher son intérêt mais l'intérêt de ce qu'on voit est la formule de l'esprit.
L'âme est le goût de l'absolu donc de la perte - la pelote de lumière lancée violemment contre le haut mur de la mort, et les rebonds qu'elle fait dans la pensée.
L'amour ce n'est pas le sacrifice, c'est le don. Et qu'aurez-vous à donner si vous n'avez aucune joie de vivre ?
Très peu de choses méritent d'être crues, mais voir soudain la douleur et la bonté de quelqu'un, c'est comme trouver le nord quand on ne savait plus où on était.
Ce dont nous rêvons, en vérité, c'est d'être préférés-aimés, oui, mais un peu plus que les autres. Préférés.
Il faut que le noir s'accentue pour que la première étoile apparaisse.
Ceux qui recueillent les faveurs de la foule sont comme des esclaves qui auraient des millions de maîtres.
Si on devait dessiner l'intelligence, la plus fine fleur de la pensée, on prendrait le visage d'une jeune mère, n'importe laquelle. De même si on devait dire la part souffrante de tout amour, la part manquante, arrachée.
La vie est à peu près cent milliards de fois plus belle que nous l'imaginons.
Dès qu'une femme rêve d'un enfant, Dieu crée un monde miniature à l'intérieur de son ventre : forêts, océans, étoiles, et un bébé au centre, en plein milieu, car à tout spectacle, il faut un spectateur.
Ma façon d'aimer, est une façon de laisser aller, laisser être.
Finalement je n'aime pas la sagesse. Elle imite trop la mort. Je préfère la folie - pas celle que l'on subit, mais celle avec laquelle on danse.
Toutes nos pensées reviennent à chercher la clé d'un paradis dont la porte est ouverte.