Images
Un poète, c'est joli quand un siècle a passé, que c'est mort dans la terre et vivant dans les textes.
Christian Bobin
L'amour est le miracle d'être un jour entendu jusque dans nos silences, et d'entendre en retour avec la même délicatesse : la vie à l'état pur, aussi fine que l'air qui soutient les ailes des libellules et se réjouit de leur danse.
... ce qui me paraît être le plus proche d'un livre, jusque dans sa forme même, c'est une tombe. Sous la couverture du livre comme sous la pierre tombale, il y a une âme qui attend une résurrection.
Une chose prend fin, une autre chose commence et c'est la même qui continue, autrement.
La vérité, vous la dites, et elle vous attire des claques ou des félicitations. Et le pire c'est que, dans un cas comme dans l'autre, personne ne vous croit. - La vérité, c'est incroyable.
Le jour de notre mort traverse chaque jour de notre vie comme une eau plus sombre dans l'eau limpide, mais nous sommes trop agités pour le voir et saluer comme il convient notre prochaine disparition dans toutes présences du monde.
Le vrai bonheur, c'est çà : un visage inconnu, et comment la parole peu à peu l'éclaire, le fait devenir familier, proche, magnifique, pur.
Les images vraies, les images pures de vérité trouvent asile dans l'écriture, dans la compassion de solitude de celui qui écrit.
Il est parfois nécessaire de se taire pour délivrer une parole juste.
... cette plus haute forme de la connaissance : le rêve, l'adoration du silence.
Humilité vient du latin : humus qui veut dire terre, la terre.
Vivre est un trapèze. Les dogmes et les savoirs sont des filets qui amortissent la chute. La grâce est plus grande sans eux.
Ce n'est pas qu'il y ait deux mondes, celui des riches et celui des pauvres. C'est bien plus fort que ça : il n'y a qu'un seul monde, celui des riches et, à côté ou en arrière, le bloc informe de ses déchets.
... les dalles mortuaires ressemblent aux couvertures des livres. Même format rectangulaire. Même brièveté des informations données.
D'emblée dans la vie la fatigue touche aux deux portes sacrées : l'amour, le sommeil. L'amour qu'elle use comme de l'eau sur la pierre. Le sommeil qu'elle entasse comme de l'eau sur de l'eau.
Ce ne sont pas les histoires qui importent, mais le ton sur lequel elles sont racontées.
Les enfants, c'est une maison de chair. On s'élève au plus haut de soi-même. On regarde ce qui se passe. On assiste à la croissance de cette maison d'âme de l'enfant, on n'en revient pas. C'est une énigme dans le plein jour.
Rien dans cette vie n'est vain. Rien dans cette vie ne dépend de nous. Cette vie nous est donnée, et avec elle nous est donnée bien plus que ce qui nous sera repris le jour de notre mort.
Il y a ces deux choses en nous : l'amour et la solitude. Elles sont entre elles comme deux chambres reliées par une porte étroite.
La fatigue est une des choses au monde les plus intéressantes à penser. Elle est comme la jalousie, comme le mensonge ou comme la peur. Elle est comme ces choses impures que l'on tient loin de ses yeux. Comme ces choses elle nous fait toucher terre.
Il n'y a jamais plus de deux personnes dans une histoire. Il n'y a jamais plus d'un seul amour dans la vie.
Tout ce qu'on fait en soupirant est taché de néant. Chaque jour a son poison et, pour qui sait voir, son antidote.
Les enfants, ce n'est pas sorcier, ça pousse à travers nos erreurs.
La joie est la matière la plus rare du monde. Elle n'a rien à voir avec l'euphorie, l'optimisme ou l'enthousiasme. Elle n'est pas un sentiment. Tous nous sentiments sont soupçonnables. La joie ne vient pas du dedans, elle surgit du dehors - une chose de rien, circulante, aérienne, volante.
Ce n'est pas compliqué d'écrire : il suffit d'y donner chaque seconde de sa vie.
... un intellectuel, c'est-à-dire quelqu'un que sa propre intelligence empêche de penser.
Les hommes vont en aveugle dans leur vie. Les mots sont leurs cannes blanches.
Le néant et l'amour sont de la même race terrible. Notre âme est le lieu de leur empoignade indécise.
J'apprends chaque jour ainsi, il faut croire que j'oublie au fur et à mesure, nous, les vivants, sommes devant la mort de bien mauvais élèves, les jours, les semaines et les mois passent, et c'est toujours la même leçon au tableau noir.
Nous sommes plusieurs dans Moi. Dans ce plusieurs, un muet, par instants, prend le pouvoir, au grand soulagement des autres qui en profitent pour bavarder entre eux.
J'ai fait des études scientifiques mais les sciences vous donnent une vérité de plus en plus petite et à la fin vous n'avez plus rien dans les mains.
Le travail des mères, c'est de protéger les enfants de la noire humeur des pères. Et les pères ? Leur travail est, je crois, de même nature : ils sont là pour garder les enfants de la trop vive folie des mères.
Il y a beaucoup d'affinités, de connivences, entre la lecture et la prière : dans les deux cas, marmonnement. Dans les deux cas, silencieux commerce avec l'Autre.
La télévision, contrairement à ce qu'elle dit d'elle-même, ne donne aucune nouvelle du monde. La télévision c'est le monde qui s'effondre sur le monde, une brute geignarde et avinée, incapable de donner une seule nouvelle claire, compréhensible.
Ce qui se tient entre notre vie et nous comme un obstacle, c'est nous-mêmes, cet épaississement de nous-mêmes dans nous-mêmes que nous considérons comme une preuve de maturité, une certitude d'existence.
Quand je vis, la vie me manque. Je la vois passer à ma fenêtre, elle tourne vers moi sa tête mais je n'entends pas ce qu'elle dit, elle passe trop vite. J'écris pour l'entendre.
Le paradis, c'est peut-être être sans défense sans se sentir menacé.
On ne peut pas penser quand on est amoureux. On est trop occupé à brûler sa maison. On ne garde aucune pensée pour soi. On les envoie toutes vers l'aimée, comme des colombes, comme des étoiles, comme des rivières.
Les mères aiment leurs enfants de manière insensée. Les mères ne savent aimer sinon de cette manière insensée. Elles tiennent leurs enfants au centre du monde et tiennent le monde au centre de leur coeur.
Qu'est-ce que c'est, apprendre. Apprendre à jouer, apprendre à vivre. Qu'est-ce que c'est, sinon ça : toucher au plus élémentaire de soi. Au plus vif et rebelle.
Plus vous êtes aimée et plus on vous aimera.
Ecrire et voir, c'est pareil, et pour voir il faut la lumière. Le paradoxe, c'est qu'on peut trouver la lumière dans le noir de l'encre. C'est comme de la nuit sur la page, et c'est pourtant là-dedans qu'on voit clair.
La beauté a puissance de résurrection. Il suffit de voir et d'entendre. C'est par distraction que nous n'entrons pas au paradis de notre vivant, uniquement par distraction.
Le sang qui ne coule plus dans les veines des morts, ce sont les vivants alentour qui le perdent.
J'aime appuyer ma main sur le tronc d'un arbre devant lequel je passe, non pour m'assurer de l'existence de l'arbre - dont je ne doute pas - mais de la mienne.
Ce n'est pas l'encre qui fait l'écriture, c'est la voix, la vérité solitaire de la voix, l'hémorragie de vérité au ventre de la voix.
On lit sans ordre, sans raison. La lecture ne peut se commander. Personne ne peut en décider à votre place. Il en va de la lecture comme d'un amour ou du beau temps : personne ni vous n'y pouvez rien. On lit avec ce qu'on est. On lit ce qu'on est.
Est beau tout ce qui s'éloigne de nous, après nous avoir frôlés.
Il y a deux manières de mentir. On peut inventer. On peut dire aussi la vérité en passant, d'une voix menue, comme une chose parmi tant d'autres sans importance. C'est la plus élégante façon de mentir.
Un adulte qui parle de son père, c'est un homme qui réchauffe une ombre.