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Nous avançons dans la vie avec des mains rougies de criminel. Le déluge de notre mort les blanchira.
Christian Bobin
... tout ce qu'on vit vraiment est secret, clandestin et volé...
Ce qui ne peut danser au bord des lèvres s'en va hurler au fond de l'âme.
L'écriture, par le rythme d'une voix, le mouvement d'une phrase, calme la conscience ordinaire et réveille une conscience du dessous, plus fine, à vif : l'écrivain est à la fois anesthésiste et chirurgien. Il endort l'âme avant de l'ouvrir.
On a besoin d'une seule chose pour connaître toutes choses. On a besoin d'un seul visage pour jouir de tous visages.
Je veux passer tous jardins clos, sauter tous murs de pierre, aller partout en beau désordre.
Chacun au fond du puits de son âme attend qu'un visage se penche à la margelle.
La présence vive de la personne, avec ses ombres et ses failles, c'est pour moi un jour de fête. L'absence mortelle de la personne, c'est le règne de la pensée bourgeoise.
Dans le chant, la voix se quitte : c'est toujours une absence que l'on chante. Le temps de chanter est la claire confusion de ces deux saisons dans la vie : l'excès et le défaut. Le comble et la perte.
... c'est ce qu'elle est : indifférente, avec passion.
C'est cela l'état naturel de l'amour. C'est cela son état princier, la merveille de sa nature : attendre, attendre, attendre.
Lire, c'est ajouter au livre, découvrir, en s'y penchant, son propre visage dans la fontaine de papier blanc.
... écrire c'est ne rien oublier de ce que le monde oublie.
Bien avant d'être une manière d'écrire, la poésie est une façon d'orienter sa vie, de la tourner vers le soleil levant de l'invisible.
Le corps grandit en prenant de la taille. L'esprit grandit en perdant de la hauteur.
On lit avec les mains autant qu'avec les yeux. Le toucher d'une main calme sur la page d'un livre, c'est la plus belle image que je connaisse, l'image la plus apaisante qui soit : une main tendre sur une épaule d'encre.
Dieu, mon petit bonhomme, c'est aussi simple que le soleil. Le soleil ne nous demande pas de l'adorer. Il nous demande seulement de ne pas lui faire obstacle et de le laisser passer, laisser faire.
Je trouve mes lectures dans la lumière du ciel. C'est le livre le plus profond qui soit - et ce n'est même pas moi qui en tourne les pages.
L'arbre est devant la fenêtre du salon. Je l'interroge chaque matin : Quoi de neuf aujourd'hui ? La réponse vient sans tarder, donnée par des centaines de feuilles : Tout.
L'écriture est la soeur cadette de la parole. L'écriture est la soeur tardive de la parole où un individu, voyageant de sa solitude à la solitude de l'autre, peuple l'espace entre les deux solitudes d'une Voie lactée de mots.
L'art suprême, ce qui manque à tant de petits maîtres, c'est de savoir donner sa langue au chat.
Et elle c'était quoi ? Une libellule, je dirais. Toute d'envol et de transparence, se faufilant, gracieuse, entre les deux royaumes de la terre et du ciel, indemne, libre.
Et c'est quoi, la fin d'un livre. C'est quand vous avez trouvé la nourriture qu'il vous fallait, à ce jour, à cette heure, à cette page.
Il y a plus de clarté dans les livres que dans le ciel. Il y a plus de clarté dans le sommeil des amants que dans les livres.
Les livres d'hier étaient en peau. La Bible est le seul livre d'air - un déluge d'encre et de vent.
Le visage amoureux est visage du profond et du clair. Il revient du lointain, de ce temps où l'enfance était chassée de nos traits, comme on renvoie dans sa mansarde une servante malhabile. Il est fait de cette pureté en nous, que rien n'entame.
La joie va toujours avec la frayeur, les livres vont toujours avec le deuil.
Il y a un don des larmes. Il y a un abîme du monde - et de soi - qui n'est donné que dans les larmes, qui brille au travers d'elles.
Il y a quelque chose de puéril dans la mélancolie, on veut punir la vie parce qu'on estime qu'elle nous a punis, on est comme ces enfants qui boudent et bientôt ne savent plus sortir de leur bouderie.
Les nouvelles sont comme les feuilles d'automne. Le vent qui les porte les malmène.
Le poinçon du sourire aux lèvres des mères quand les forteresses des écoles laissent échapper à midi leurs minuscules otages.
Le monde veut le sommeil. Le monde n'est que sommeil. Le monde veut la répétition ensommeillée du monde. Mais l'amour veut l'éveil. L'amour est l'éveil chaque fois réinventé.
Le bonheur c'est l'absence, c'est d'être enfin absente à soi, rendue à toutes choses alentour.
Je pense que le grand art est l'art des distances : trop près on brûle, trop loin on gèle, il faut apprendre à trouver le point exact et s'y tenir, on ne peut l'apprendre qu'à ses dépens comme tout ce qu'on apprend vraiment, il faut payer pour savoir.
Le monde de l'esprit n'est que le monde matériel enfin remis d'aplomb.
Les jambes de vingt ans sont faites pour aller au bout du monde.
Il y a besoin de si peu pour écrire. Il n'y a besoin que d'une vie pauvre. Si pauvre que personne n'en veut et qu'elle trouve asile en dieu, ou dans les choses. Une abondance de rien.
L'âme un linge frais de soleil, amoureusement plié.
La beauté vient de l'amour. L'amour vient de l'attention. L'attention simple au simple, l'attention humble aux humbles, l'attention vive à toutes vies.
Un jaloux ne peut trouver la paix que dans la mort de ce qu'il aime : là, enfin, il est sûr de ce qu'il possède.
... la vie est parfois grave, souvent légère - jamais sérieuse.
Le professionnalisme est une maladie qui vient aux gens par leur métier, par la maîtrise qu'ils en ont, qui les asservit.
C'est toujours par le sommeil que les grandes choses commencent. C'est toujours par le plus petit côté que les grandes choses arrivent.
C'est curieux comme on est, avec les morts : d'abord on jette dessus plein de bruits, de prières et de cris, ensuite on les recouvre sous des pelletées de silence. Dans les deux cas on ne veut rien en voir.
Les livres s'ouvrent comme des mains apaisées.
J'ai dans la poche un exemplaire des Pensées de Pascal. J'emporte parfois ce livre en cas d'attente, de famine ou de guerre trop longue quelque part.
Je suis vivant parce qu'on m'a parlé et aimé. Je suis vivant parce que, dès les premières heures, ma mère et le côté pluie de la neige m'ont parlé avec amour.
Quand ils voient un miracle la plupart ferment les yeux.
... personne ne flaire la sainteté aussi vite que le diable.
J'ai accroché mon cerveau au portemanteau puis je suis sorti et j'ai fait la promenade parfaite.