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Assis pendant des heures dans le couloir de la maison de long séjour, ils attendent la mort et l'heure du repas. Ils aiment toucher les mains qu'on leur tend, les garder longtemps dans leurs mains à eux, et les serrer. Ce langage-là est sans défaut.
Christian Bobin
La beauté est une guérison de l'esprit par aggravation de son mal - du sel lancé sur une blessure franche.
Les gitans, les chats errants et les roses trémières savent quelque chose sur l'éternel que nous ne savons plus.
Quand on aime quelqu'un, on a toujours quelque chose à lui dire ou à lui écrire, jusqu'à la fin des temps.
Je vais traverser cet hiver en silence, on ne peut s'approcher d'une rose rouge qu'en silence. J'ai au coeur un tourment de bois noir, je vais laisser tout ça virer au rouge et au clair.
Si vous voulez vous faire aimer des hommes, Albe, commencez donc par les quitter : vous verrez comme alors ils sont doux. De vrais agneaux, de grands enfants perdus.
Dans les choses que nous voulons il y a toujours plus que les choses elles-mêmes.
J'essaie de vous dire une chose si petite que je crains de la blesser en la disant. Il y a des papillons dont on ne peut effleurer les ailes sans qu'elles cassent comme du verre.
Les imbéciles manquent d'amour pour voir et pour entendre, c'est à ce manque qu'on les reconnaît.
... l'amour - ce versant escarpé de la solitude.
Le mot de peuple est un des plus beaux mots de la langue française. Il dit le manque et l'entêtement, la noblesse des gueux sous l'incurie des nobles.
Impossible de parler de Dieu sans prononcer aussitôt une quantité invraisemblable de bêtises. On ne peut rien dire de Dieu, seulement parler avec lui, en lui.
On peut donner bien des choses à ceux que l'on aime. Des paroles, un repos, du plaisir. Tu m'as donné le plus précieux de tout : le manque. Il m'était impossible de me passer de toi, même quand je te voyais tu me manquais encore.
Le malheur c'est que, si vous réussissez à attraper un solitaire, vous le perdez : il n'est plus seul.
Le mal, c'est ce à quoi je prends part. Le bien, c'est ce que je laisse venir.
Les enfants sont comme les marins : où que se portent leurs yeux, partout c'est l'immense.
Certaines choses et certains êtres ont besoin de la distance qui les sépare de nous, et que cette distance demeure infranchissable. Ils y puisent leur nourriture.
L'esprit d'enfance est insupportable au monde. L'enfance est ce que le monde abandonne pour continuer à être monde.
Il y a d'ailleurs quelque chose de commun à ces trois figures-là : celle du père, celle de l'enseignant et celle du mari. Mon Dieu, protégez-nous des examens et de ceux qui nous les font passer.
Il y a parfois entre deux personnes un lien si profond qu'il continue de vivre même quand l'un des deux ne sait plus le voir.
La douleur comme l'amour sont de mauvais ouvriers. Ils ne savent jamais entrer dans l'âme jusqu'en son fond. Mais y a-t-il un fond.
Nos attitudes devant l'amour sont enracinées dans l'enfance indéracinable, et nous attendons un amour éternel comme un enfant espère la neige qui ne vient pas, qui peut venir.
Plus les choses sont dures, plus on leur donne des noms faibles.
La durée amoureuse n'est pas une durée. Le temps passé dans l'amour n'est pas du temps, mais de la lumière, un roseau de lumière, un duvet de silence, une neige de chair douce.
Tu es, mon amour, la joie qui me reste quand je n'ai plus de joie.
Faire l'amour en cachette, c'est comme voler des bonbons à l'épicerie, c'est délicieux. Ce goût exquis, dans l'arrière-bouche, d'une chose pas bien. Pardonnez-moi mon père, pardonnez-moi ma mère, pardonnez-moi parce que j'ai péché et que je compte bien pécher encore et encore.
Les mères n'ont pas de rang, pas de place. Elles naissent en même temps que leurs enfants.
Il y a la mode et il y a le ciel, et, entre les deux, rien. Ce qui rend la lecture de la vie difficile, c'est qu'il y a des modes de tout, même du ciel.
Dans les années soixante, l'usine à midi et à six heures, toutes sirènes hurlantes, relâchait ses esclaves.
On ne sait pas ce qu'est la poésie. On sait juste que c'est donner son sang aux anges qui passent.
J'aime qui ? J'aime toi ! Tu es le complément de tout.
Le temps qui passe est un ami précieux qui nous dépouille du superflu.
L'amour réside dans les détails, nulle part ailleurs.
Elle ne croyait qu'à l'amour et quand on ne croit qu'à l'amour, on n'a pas d'humeur matinale, on reste entre les draps parce que l'amour est là. Ou parce qu'il manque.
Il y a ainsi des gens qui vous délivrent de vous-même - aussi naturellement que peut le faire la vue d'un cerisier en fleur ou d'un chaton jouant à attraper sa queue. Ces gens, leur vrai travail, c'est leur présence.
L'enfance est une chose étrange, à la fois adorable et exténuante, un trésor et un chaos.
La simple vie de chaque jour nous donne toute sa lumière puis s'en va, comme une invisible fiancée portant à son doigt une bague d'air, incrustée de silences scintillants.
La tyrannie du visible fait de nous des aveugles. L'éclat du verbe perce la nuit du monde.
Quand on est dans une chose, on ne sait plus la voir.
L'ennui prépare l'émerveillement, comme on déploie une nappe blanche sur la table, les jours de fête.
Les médecins sont comme les adultes quand ils parlent aux enfants, ils vous parlent pour que vous n'entendiez pas, ce qui fait que vous entendez trop.
Avec un peu de patience, j'aurais fait un assez bon idiot du village. C'est un métier que plus personne n'exerce : trop difficile sans doute. Il est plus aisé de devenir médecin, ingénieur ou même écrivain. Plus aisé et gratifiant aux yeux du monde.
Celui qui est sans argent manque de tout. Celui qui est sans lecture manque du manque.
Ce qu'on gagne dans le monde, on le perd dans sa vie.
C'est une manière sûre, pour reconnaître la vraie beauté, que de mesurer la haine qu'elle attire sur elle.
... tout a puissance de parole dans l'amour ... tout est doué de sens dans l'amour insensé.