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Devant les livres, la nature ou l'amour, vous êtes comme à vingt ans : au tout début du monde et de vous.
Christian Bobin
Le coeur des morts est une boîte à musique. A peine commence-t-ton à penser à eux qu'il en sort un air léger et déchiran.
Ecrire, c'est dessiner une porte sur un mur infranchissable, et puis l'ouvrir.
Tu sais ce que c'est la mélancolie ? Tu as déjà vu une éclipse ? Et bien, c'est ça : la lune qui se glisse devant le coeur, et le coeur qui ne donne plus sa lumière. La nuit en plein jour.
L'amour est l'éveil chaque fois réinventé, chaque fois une première fois.
Il y a une pureté du mal, une lumière du noir.
En écrivant, j'accomplis un travail que personne ne m'a demandé de faire - à part bien sûr quelques herbes folles et le sourire infailliblement lumineux de mon père disparu.
La moindre joie ouvre sur un infini.
L'enfance est traversée par un cortège de grands éteigneurs qui portent leurs idées, leur opinions, leurs certitudes, leurs croyances reçues comme des cierges, solennellement.
La maladie n'est jamais une cause. La maladie est une réponse, une pauvre réponse que l'on invente à une souffrance.
La bonté, c'est comme trouver un diamant dans de la verroterie : c'est incompréhensible. C'est impossible de savoir d'où elle vient, elle tombe du ciel et c'est cela qui est mystérieux.
Ceux qui ne lisent pas forment un peuple taciturne. Les objets leur tiennent lieu de mots.
La rupture avec soi est le plus court chemin pour aller à soi.
Même les plus beaux livres ne changent pas les gens, ils ne changent que leur auteur.
Les dos sont les vrais visages des gens, ce sont les visages qu'ils ne pensent pas à cacher, ce sont leurs visages quand ils nous quittent, quand ils s'éloignent de nous.
Si l'on veut connaître un homme, il faut chercher celui vers lequel sa vie est secrètement tournée, celui à qui, de préférence à tout autre, il parle, même quand apparemment il s'adresse à nous.
L'amour clamé, le bien affiché, c'est toujours pour farder quelque chose de terrible. Dans mon cas, ce que j'ai voulu un temps comprimer, c'était ma tristesse qui menaçait d'exploser comme une grenade.
Il n'y a rien d'autre à apprendre que soi dans la vie. Il n'y a rien d'autre à connaître. On n'apprend pas tout seul, bien sûr. Il faut passer par quelqu'un pour atteindre au plus secret de soi.
Un rayon de soleil vaut tous les livres du monde.
Pour lire un roman, il faut deux ou trois heures. Pour lire un poème, il faut une vie entière.
... ce goût têtu de l'oisiveté - c'est-à-dire de l'amour - ...
Par les livres on apprend l'éternel, l'immuable.
J'ai toujours craint ceux qui partent à l'assaut de leur vie comme si rien n'était plus important que de faire des choses, vite, beaucoup.
C'est la voix qui donne l'âge vrai. C'est la flamme d'une parole qui renseigne le mieux sur l'âge des gens.
Si un rien vous enchante, c'est aussi parce qu'un rien peut vous anéantir. La même lumière peut, selon les heures et la direction du songe, vous exalter ou vous ruiner.
Un seul soupir du chat défait tous les noeuds invisibles de l'air. Ce soupir plus léger que la pensée est tout ce que j'attends des livres.
Dieu descend à terre aussi naturellement que la musique de Mozart monte au ciel, mais il nous manque l'oreille pour l'entendre.
Ah ne m'enlevez pas la poésie, elle m'est plus précieuse que la vie, elle est la vie même, révélée, sortie par deux mains d'or des eaux du néant, ruisselante au soleil.
Nous sommes des aveugles dans un palais de lumières. Des servitures dont nous ignorons le nom se précipitent devant nous, écartant les meubles pour nous éviter toute blessure grave.
Vous mélangez tout. C'est votre façon à vous d'y voir clair : mélanger toutes sortes de lumières.
Aucun livre ne peut nous sauver de notre vie. Aucune parole ne sait recueillir ces éclats qui nous reviennent et nous élancent, empêchant le soir de descendre, la paix de venir.
C'est difficile d'aller de l'inutile, la lecture, à l'utile, le mensonge.
Dans le monde, on ne dit rien, avec beaucoup de mots. Dans les livres on n'en dit pas plus, mais avec d'autres mots.
Nous devrions rendre grâce aux animaux pour leur innocence fabuleuse et leur savoir gré de poser sur nous la douceur de leurs yeux inquiets sans jamais nous condamner.
Il y a une beauté qui n'est atteinte que là, dans cette grande intelligence proposée à l'esprit par le temps vide et le ciel pur.
L'art, le génie de l'art n'est qu'un reste de la vie amoureuse qui est la seule vie.
La nature est un livre qui est ouvert en permanence, et c'est le vent qui en tourne les pages.
La beauté, le Christ n'en parle jamais. Il ne fréquente qu'elle, dans son vrai nom : l'amour. La beauté vient de l'amour comme le jour vient du soleil, comme le soleil vient de Dieu, comme Dieu vient d'une femme épuisée par ses couches.
Le malheur, comme la richesse, s'entasse sur plusieurs générations. Il suffit ensuite d'une seule personne pour consommer tout.
Par instants je pense que nous ne mourrons jamais. A d'autres instants je pense que nous sommes plus perdus que des jouets dont un enfant ne se sert plus. La vérité, qui peut la dire ?
L'humour, à l'inverse (de l'ironie), est une manifestation de la générosité : sourire de ce qu'on aime c'est l'aimer deux fois plus.
Si mes phrases sourient c'est parce qu'elles sortent du noir. J'ai passé ma vie à lutter contre la persuasive mélancolie. Mon sourire me coûte une fortune.
La douceur de vivre est l'avancée d'une vie éternelle dans la vie aujourd'hui.
Le génie est une réponse à l'impossibilité de vivre, le bondissement du cerf au-dessus de la meute.
La merveille, c'est d'exister. Il n'y en a pas d'autre.
Le chagrin est une soupe au sel. Elle laisse l'estomac bien creux.
Peut-être n'est-ce que cela le monde : ce mauvais silence imposé à nos vies.
Avec le mariage, quelque chose finit pour les hommes. Pour les femmes, c'est l'inverse : quelque chose commence.
L'amour ne vient que par grâce et sans tenir aucun compte de ce que nous sommes.
L'enfer c'est cette vie quand nous ne l'aimons plus. Une vie sans amour est une vie abandonnée, bien plus abandonnée qu'un mort.