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Quand je serai mort je serai chez moi.
Christian Bobin
La lassitude est le seul péché mortel.
La perfection est la petite soeur gâtée de la mort. La sainteté est le goût puissant de cette vie comme elle va - une capacité enfantine à se réjouir de ce qui est sans rien demander d'autre.
La beauté des mères dépasse infiniment la gloire de la nature.
Celui qui commande aux autres se met en position de Dieu. Celui qui commande et rit de ses commandements se met en position de diable.
Deux biens sont pour nous aussi précieux que l'eau ou la lumière pour les arbres : la solitude et les échanges.
La floraison des cerisiers ne dure pas. L'essentiel on l'attrape en une seconde. Le reste est inutile.
Les calculs ont remplacé la grâce. La contemplation des chiffres épuise l'âme. Ils sont à plaindre, les yeux du monde.
Pourquoi s'inquiéter de demain, aujourd'hui répondra bien à tout.
Pour bien écrire le mot amour, il y faudrait plus d'encre qu'il n'y en a au monde.
Comment dire à ceux qui vous aiment qu'ils ne vous aiment pas.
Par le téléphone ne passe que l'anodin ou le tragique, le bavardage indéfini ou la mort abrupte. Entre les deux, rien.
La voix claire d'aucun ennui : la poésie c'est suivre son coeur en allant à la fête.
Les tendres nuages que je vois ébréchés dans le ciel bleu n'ont pas connu mon père et pourtant par leur consentement au réel qui les broie, ils me parlent très bien de lui.
Le solitaire est celui qui n'est plus jamais seul parce que toutes choses viennent à lui, trouver leur nom.
Je t'aime - cette parole est la plus mystérieuse qui soit, la seule digne d'être commentée pendant des siècles.
Ce qui compte, c'est la puissance de la joie qui éclate à la vitre de nos yeux. Une apparition, une seule, et tout est sauvé.
Les mots sont en retard sur nos vies. Tu as toujours été en avance sur ce que j'espérais de toi. Tu as depuis toujours été l'inespérée.
La vérité n'est pas dans la connaissance qu'on en prend mais dans la jouissance qu'elle nous donne.
C'est facile de mener plusieurs vies. Il suffit de n'en avoir aucune à soi.
L'autisme est un soleil inversé : ses rayons sont dirigés vers l'intérieur.
Un des crimes de notre société, c'est d'avoir dénaturé le sourire jusqu'à en faire un argument de commerce. Le sourire est une chose sacrée, comme tout ce qui répond par une réponse plus grande que la question.
Les feuilles tombées du tilleul se recroquevillent comme un coeur se resserre autour du souvenir de ce qu'il a perdu.
On ne peut bien voir que dans l'absence. On ne peut bien dire que dans le manque.
Dans le monde tout va ensemble, sauf l'amour. Il ne va avec rien. Il n'est nulle part. Il manque. Il manque comme manque le pain dans les périodes de guerre, comme le souffle dans la gorge des mourants. Il manque comme le temps dans les jeux de l'enfance.
Aimer c'est aimer ce qui est simple, et donc mystérieux. Ce qui est compliqué n'est jamais mystérieux.
L'amour n'est rien d'original. L'amour n'est pas une invention d'auteur.
Un fou c'est un homme sain d'esprit qui n'a plus les moyens de sa folie, qui perd les eaux de sa folie, d'un seul coup. Il fait faillite. Il lâche ce qui ne reposait que sur lui : la corvée du langage, la comédie du travail. Le monde entier.
Je n'avais jamais vu un aussi bel homme. Il était seul et la solitude fait beaucoup pour la beauté.
La mort n'est pas la fin de la vie, mais la fin d'une vie.
Contempler suppose d'être en retrait.
Un homme sain d'esprit c'est un fou qui tient sa folie dans une poche de sang noir - entre le cerveau et le crâne, entre sa famille et son métier.
Passé un certain temps, l'enfant ne peut plus qu'en partir (de la famille) : il lui est devenu impossible de s'y faire entendre - parce qu'on le connaît trop et parce qu'on ne le connaît plus.
On est comme ces enfants qui boudent et bientôt ne savent plus sortir de leur bouderie.
Aujourd'hui on n'écrit plus de lettres. C'est comme s'il n'y avait plus d'enfant pour jeter sa balle de l'autre côté du mur.
La fin de la guerre c'est la maîtrise d'un bout de terre, la reconnaissance d'un seul maître.
Tout ce qui n'est pas moi et qui m'éclaire. Tout ce que j'ignore et que j'attends. L'attente est une fleur simple. Elle pousse au bord du temps.
Il faut que la vie nous arrache le coeur, sinon ce n'est pas la vie.
Je me suis fait écrivain ou plus exactement je me suis laissé faire écrivain pour disposer d'un temps pur, vidé de toute occupation sérieuse.
Oui les enfants ont raison : vivre c'est ne pas encore avoir décidé du sens de la vie, pas plus que de la forme achevée d'une phrase, essayer, risquer, recommencer, raturer, aller ici en même temps que là-bas.
Les mères par leurs soins élémentaires fleurissent les abîmes. Si il y a encore des lions, des étoiles et des saints c'est parce qu'une femme épuisée pose un plat sur la table à midi.
On peut coucher avec la terre entière et cela ne change rien, tant que le coeur n'est pas atteint.
La plus belle vie est celle qui exprime ce que la vie a de beau.
Un grand musicien est quelqu'un qui donne après plusieurs années de travail ce que donne le rossignol au premier jet de son chant. Il y aura toujours une pluie pour jouer du clavecin ou un merle pour composer une fugue.
Tout ce qui nous arrive nous survit ainsi, en souffrance dans l'espace. En attente. Echappant aux mots comme à l'absence de mots.
C'est parce qu'il attend peu du mariage que l'homme n'en désespère pas et qu'il ne voudra plus en sortir même en cas de faillite - comme on tient à un emploi qui ne vous donne plus de plaisir mais assure toujours vos fins de mois.
Si je cherche à formuler ce que j'aime en toi, je dirai que c'est ta liberté - c'est à dire ce point de ton coeur où tu devenais à toi-même imprévisible.
Les mots sont comme les gens. Leur manière de venir à nous en dit long sur leurs intentions.
Ce qui est douloureux, c'est qu'il est impossible d'expliquer quelque chose à quelqu'un qui ne l'a pas déjà compris. On peut seulement parler à quelqu'un qui en a le pressentiment et qui souffre de ne pas avoir de lumières là-dessus.
La mort, chaque fois qu'elle survient, détruit un livre d'images.