Images
La Bible dit que l'homme a été fait à l'image de Dieu - et il est vrai que l'homme et le Dieu se ressemblent jusque dans leurs colères.
Christian Bobin
Un livre est voyant ou il n'est rien. Son travail est d'allumer la lumière dans les palais de nos cerveaux déserts.
Personne ne peut tenir la vérité près de soi, fût-ce dans le cachot d'une formule. La vérité, on ne peut l'avoir, seulement la vivre.
Tous les bébés naissent en temps de guerre et dans des villes en ruine. Sitôt qu'on naît, on reçoit les éboulis de la vie.
On n'apprend que d'une femme. On n'apprend que de l'ignorance où elle nous met quant à nos jours, quant à nos nuits.
L'amour c'est un fleuve. Il disparaît parfois. Il s'enfonce dans la terre. Il poursuit son cours dans l'épaisseur d'une langue. Il réapparaît ici ou là, invincible, inaltérable.
Quand on parle, on campe dans sa parole. Quand on se tait, on campe dans son silence.
Ce n'est pas pour devenir écrivain qu'on écrit. C'est pour rejoindre en silence cet amour qui manque à tout amour. C'est pour rejoindre le sauvage, l'écorché, le limpide.
C'est une chose fragile que la lumière du jour. On y grandit. On y marche. On y attend quelque chose, on se sait trop quoi. Oui, mais voilà : où trouver la force d'attendre, quand le visage aimé est recouvert de terre ?
La vie ressemble à un film de Laurel et Hardy. Une chaîne de douleurs reçues et puis transmises.
Le coeur est lent à croître. L'esprit est dès le début à son plus haut. Le coeur met un temps considérable à grandir. L'esprit est immédiatement au sommet de sa fleur.
Dans la guerre, on n'a plus besoin de montres. La faim renseigne très bien sur l'heure. La peur fait sonner chaque seconde, mieux que des aiguilles.
Assez seul pour ne plus l'être jamais.
Nous ne disposons que d'une seconde pour voler à la vie les bracelets de lumière qui tintent à ses poignets.
Celle qu'on aime, on la voit s'avancer toute nue. Elle est dans une robe claire, semblable à celles qui fleurissaient autrefois le dimanche sous le porche des églises, sur le parquet des bals. Et pourtant elle est nue - comme une étoile au point du jour.
Tu es celle par qui me vient le goût profond de vivre. Il ne faut pas craindre une telle phrase. Elle ne t'engage en rien. Le don que tu me fais est un vrai don - impossible à reprendre.
Le sentiment que j'ai de la vie est un sentiment musical - la musique, comme chacun sait, accomplissant ce prodige de disparaître dans le même temps où elle apparaît.
La croissance de l'esprit est à l'inverse de la croissance de la chair. Le corps grandit en prenant de la taille. L'esprit grandit en perdant de la hauteur. La sainteté renverse les lois de maturité : l'homme y est la fleur, l'enfance y est le fruit.
Ce n'est pas sa beauté, sa force et son esprit que j'aime chez une personne, mais l'intelligence du lien qu'elle a su nouer avec la vie.
L'âme métallique du Creusot déchire tous les beaux habits qu'on veut lui faire porter. Plongé dans l'atmosphère de cette ville, le cristal devient aussi pesant que l'acier.
Si je ne disposais que de deux mots pour te dire, je prendrais ces deux-là : "Déchirée et radieuse". Si je ne disposais plus que d'un seul, je garderais celui-là qui contient les deux autres : "aimante".
Ce qui est fait pour tout le monde n'est fait pour personne.
Même les femmes libres ne sont jamais tout à fait libres. Elles vivent toujours entre deux guerres.
Le bonheur va avec le malheur, la joie va avec la peine. Ce qui vous arrive ne va avec rien, ou bien avec tout.
La parole est une denrée périssable, éphémère. Elle se teinte de toutes les circonstances de son apparition. Les mêmes mots, prononcés dans des lieux différents, ne sont pas les mêmes mots.
Je voudrais arriver à la mort aussi frais qu'un bébé, et mourir avec cet étonnement des bébés qu'on sort de l'eau. L'émerveillement crée en nous un appel d'air. L'éternel s'y engouffre à la vitesse de la lumière dans un espace soudain vidé de tout.
Il y a un critère de la vérité, c'est qu'elle vous change : ça bouleverse comme un amour, la vérité.
La maladie d'Alzheimer enlève ce que l'éducation a mis dans la personne et fait remonter le coeur en surface.
L'intelligence est la force, solitaire, d'extraire du chaos de sa propre vie la poignée de lumière suffisante pour éclairer un peu plus loin que soi, vers l'autre là-bas, comme nous égaré dans le noir.
Si nous privilégions notre propre apparence, si nous nous prenons nous-même comme objet de contemplation ou de souci, nous nous condamnons à ne presque rien voir du monde et à en aimer très peu.
Le plus beau don que l'on puisse nous faire dans cette vie ténébreuse est celui de la clarté - quand bien même cette clarté nous tue.
Il a cinquante ans. C'est l'âge où un homme entreprend l'inventaire de ses biens. C'est quoi réussir sa vie. Ce qu'on gagne dans le monde, on le perd dans sa vie.
Les chroniqueurs font des hommes des marionnettes et de Dieu un ventriloque.
Il faut ... vouloir ce que l'on aime, et il faut le vouloir d'une volonté profonde, pure de toute impatience, comme obscure à elle-même.
L'écriture est une mendiante qui donne une pièce en or à chaque passant.
Ce qui peut se passer de plus terrible entre deux personnes qui s'aiment, c'est que l'une des deux pense qu'elle a tout lu de l'autre et s'éloigne, d'autant qu'en lisant on écrit au fur et à mesure et dont les phrases peuvent s'enrichir avec le temps.
(L'ennui) est une douleur, la plus minutieuse. Elle se glisse au fond de l'âme, elle se niche entre les dents. On mange sans goût, on vit sans voir. Expliquez-moi qui je suis. Donnez-moi de mes nouvelles.
Le jour où nous consentons à un peu de bonté est un jour que la mort ne pourra plus arracher au calendrier.
La vie n'est pas une chose raisonnable. On ne peut, sauf à se mentir, la disposer devant soi sur plusieurs années comme une chose calme, un dessin d'architecte.
Rien ne préserve mieux la fraîcheur de la vie que le calme d'un coeur brûlant.
Tout mariage est un subtil alliage de mort et de résurrection.
Il y a dans la douleur une pureté infatigable, la même que dans la joie, et cette pureté est en route dessous les tonnes d'imaginaire congelé.
La joie est en nous beaucoup plus profonde que la pensée, elle va beaucoup plus vite, beaucoup plus loin.
Vouloir expliquer le monde, c'est comme vouloir faire entrer des roses dans un vase à coups de marteau. Ce que j'attends d'une conversation, c'est de l'air.
La vérité est sur la terre comme un miroir brisé dont chaque éclat reflète la totalité du ciel.
J'aime tant les livres que je ne peux passer un jour sans poser ma main sur le front d'une page imprimée pour sentir si elle a ou non de la fièvre.
Le besoin de créer est dans l'âme comme le besoin de manger dans le corps.
Je crois que c'est une infirmité d'époque, une infirmité profonde, une infirmité grave que de se croire supérieur à ce dont on parle.
Pour bien voir une chose, il vous faut toucher à son contraire. Par l'ombre, vous allez à la lumière. Par l'indifférence vous atteignez à l'amour.
On pourrait recenser les livres suivant l'embarras d'en parler.