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C'est attristant d'ignorer le nom de ce qu'on aime. C'est un rien de mélancolie pure.
Christian Bobin
La religion c'est ce qui relie et rien n'est plus religieux que la haine : elle rassemble les hommes en foule sous la puissance d'une idée ou d'un nom quand l'amour les délivre un à un par la faiblesse d'un visage ou d'une voix.
Deux choses nous éclairent, qui sont toutes les deux imprévisibles : un amour ou une mort. C'est par ces événements seuls qu'on peut devenir intelligents, parce qu'ils nous rendent ignorants.
L'intellectuel n'est jamais pauvre même quand il est désargenté.
Difficile d'entendre qui on aime, tellement on l'aime.
Où s'arrête la personne, ses contours, ses limites, où commence ce qui en elle est bien plus qu'elle, la douleur dans sa voix, l'innocence dans ses yeux ?
L'intelligence c'est proposer à l'autre ce qu'on a de plus précieux, en faisant tout pour qu'il puisse en disposer.
La pâtisserie et l'amour, c'est pareil - une question de fraîcheur et que tous les ingrédients, même les plus amers, tournent au délice.
On peut fort bien vivre sans âme, il n'y a pas de quoi en faire une histoire, cela arrive très souvent. Le seul problème, c'est que les choses ne viennent plus vers vous, quand vous les appelez par leur nom.
Ce qu'on appelle le "charme" d'une personne, c'est la liberté dont elle use vis-à-vis d'elle-même, quelque chose qui, dans sa vie, est plus libre que sa vie.
Dieu tenait au dix-septième siècle la place qu'aujourd'hui tient l'argent. Les dégâts étaient moindres.
... ce qui meurt ne méritait pas de durer.
Dans ce qui est on voit ce qui manque. Dans le rire on rejoint ce qui manque.
La joie n'a aucun antécédent, aucun poids, aucune profondeur. Elle est toute en commencements, en envols, en vibrations d'alouette.
C'est drôle, les familles. Elles se veulent éternelles, et dans un sens elles le sont : on n'y change plus jamais de la vue qu'on y a des enfants, même quand ils grandissent.
Cette frontière-là, entre les lecteurs et les autres, est plus fermée encore que celle de l'argent. Celui qui est sans argent manque de tout. Celui qui est sans lecture manque du manque.
Les enfants gitans semblent toujours plus âgés tant leurs chairs sont lourdes du sang divin de l'expérience.
La beauté est l'ensemble de ces choses qui nous traversent et nous ignorent, aggravant soudain la légèreté de vivre.
Ce qu'on apprend dans les livres, c'est la grammaire du silence, la leçon de lumière. Il faut du temps pour apprendre. Il faut tellement plus de temps pour s'atteindre.
Combien de mois, combien de vies faut-il pour écrire une phrase qui égale en puissance la beauté des choses ?
Dans les églises personne ne prie, sauf les bougies.
Une seule femme quand elle est amoureuse suffit pour remplir le ciel et la terre.
Ici, là, un peu partout : un passage entre le visible et l'invisible. Une fenêtre mal fermée, une porte entrouverte par où arrive un peu de lumière. Sans invisible, nous ne verrions rien, nous serions dans le noir complet.
Un vrai livre, c'est toujours quelqu'un qui entre dans notre solitude.
La parole poétique est une parole amoureuse. Elle invente - dans le temps de la dire et dans celui de l'entendre - une communauté invisible, une fraternité silencieuse.
Hier j'étais heureuse. Aujourd'hui je suis amoureuse, et ce n'est pas pareil. Et c'est même tout le contraire.
Il n'y a pas d'amour adulte, mûr et raisonnable. Il n'y a devant l'amour aucun adulte, que des enfants, que cet esprit d'enfance qui est abandon, insouciance, esprit de la perte d'esprit.
Nous sommes faits de cela, nous ne sommes faits que de ceux que nous aimons et de rien d'autre.
Il y a plus de texte écrit sur un visage que dans un volume de la Pléïade et, quand je regarde un visage, j'essaie de tout lire, même les notes en bas de page.
Un des plus beaux titres de poésie est celui d'Eluard : L'Amour la solitude. Ils ne sont même pas séparés par une virgule... C'est très juste car l'amour la solitude sont comme les deux yeux d'un même visage. Ce n'est pas séparé, et ce n'est pas séparable.
Votre suicide était réussi, comme tous les suicides ratés. Vous aviez perdu bien plus que la vie : la parole, le goût de le parole claire, l'amour de la parole vraie. Vous étiez devant la parole comme un enfant malade devant la nourriture.
La souris a peur du chat, le chat a peur du chien.
Savoir qu'on est vivant est tout savoir.
Aucun homme ne s'aventure dans ces terres désolées de l'amour. Aucun homme ne sait répondre à la parole silencieuse.
Une vie sans lecture est une vie que l'on ne quitte jamais, une vie entassée, étouffée de tout ce qu'elle retient.
L'amour maternel est semblable à tout amour, injuste et secret.
A quoi reconnaît-on les gens fatigués. A ce qu'ils font des choses sans arrêt. A ce qu'ils rendent impossible l'entrée en eux d'un repos, d'un silence, d'un amour.
Faire trop longtemps la même chose, au même endroit, à la même heure, cela rend vieux.
Ce qui est vraiment dit, ce n'est jamais avec des mots que c'est dit. Et on l'entend quand même. Très bien.
La grâce se paie toujours au prix fort. Une joie infinie ne va pas sans un courage également infini. Dans tes rires c'est ton courage que j'entendais - un amour de la vie si puissant que même la vie ne pouvait plus l'assombrir.
Je sais que les morts ne sont pas dans la mort, je sais que les morts sont dans un monde qui n'est séparé du notre que par un mince filet de lumière.
Peu de livres changent une vie. Quand ils la changent c'est pour toujours, des portes s'ouvrent que l'on ne soupçonnait pas, on entre et on ne reviendra plus en arrière.
La mort en nous c'est le maître, celui qui sait. Le vif en nous c'est l'enfant, celui qui aime, qui joue à aimer.
Le chêne clair de ton cercueil est depuis quinze ans sur des tréteaux dans une allée de mon cerveau. Des anges lui jettent des pelletées de lumière.
La vérité est une jouissance telle que rien ne peut l'éteindre, un trésor que même la mort - cette pie voleuse - ne saura prendre.
Il va là où le chant ne manque jamais de souffle, là où le monde n'est plus qu'une seule note élémentaire tenue infiniment, une seule corde de lumière vibrant éternellement en tout, partout. Il disparaît de la ville.
La mort n'éteint pas la musique, n'éteint pas les roses, n'éteint pas les livres, n'éteint rien.
Une femme pour un homme, c'est ce qu'il y a de plus loin au monde.
Il n'y a qu'une seule vie et elle est sans fin.
Le temps, j'en ai toujours eu besoin pour faire ce que j'avais à faire : rien.