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C'est toujours l'amour en nous qui est blessé, c'est toujours de l'amour dont nous souffrons même quand nous ne croyons souffrir de rien.
Christian Bobin
Croire c'est donner son coeur. Ce Dieu des heures simples a pris le coeur de l'enfant au berceau. Il en joue à son gré. C'est une chose difficile à comprendre, au vingtième siècle comme au treizième siècle.
Il y a une joie élémentaire de l'univers, que l'on assombrit chaque fois que l'on prétend être quelqu'un, ou savoir quelque chose.
Ceux qui nous aiment sont bien plus redoutables que ceux qui nous détestent. Il est bien plus difficile de leur résister, et je ne sais rien de mieux que des amis pour vous amener à faire le contraire de ce que vous souhaitiez faire.
On ne peut ressentir la douceur de cette vie sans en même temps concevoir une colère absolue contre le mal qui la serre de toutes parts.
On n'a pas toujours besoin des mots de l'amour pour parler de l'amour, on a besoin du grave et du léger, pas du sérieux, surtout pas du sérieux, grave et léger, larmes et rires.
Je suis né dans un monde qui commençait à ne plus vouloir entendre parler de la mort et qui est aujourd'hui parvenu à ses fins, sans comprendre qu'il s'est du coup condamné à ne plus entendre parler de la grâce.
Peut-être ne fait-on jamais une chose pour elle-même, mais pour se donner le temps d'en venir à une autre qui, seule, nous ressemblera.
Ce qu'on pressent d'une chose est bien plus éprouvant que la chose elle-même.
Le renoncement est le fruit de tout apprentissage.
Penser, c'est regarder au fond d'un puits et y laisser filer un seau relié à une chaîne, et avoir le plaisir de le ramener plein à ras bord d'une eau noire où se reflètent toutes les étoiles.
Qu'espérer d'un amour pur sinon qu'il rende notre solitude pure ?
Les livres sont les bougies allumées que nous rapprochons de notre visage. La cire brûlante des mots coulant sur l'âme la tire du mortifère sommeil du monde.
... ce qui est impossible à comprendre est tellement simple à vivre.
Rencontrer quelqu'un, le rencontrer vraiment - et non simplement bavarder comme si personne ne devait mourir un jour -, est une chose infiniment rare. La substance inaltérable de l'amour est l'intelligence partagée de la vie.
Une mère ne représente rien en face de son enfant. Elle n'est pas en face de lui mais autour, dedans, dehors, partout. Elle tient l'enfant levé au bout des bras et elle le présente à la vie éternelle.
Vers la mort, très chère, nous allons. Tous. En dansant ou en boitant, en riant ou en geignant, peu importe, puisque c'est là que nous allons.
Vous dire l'étrangeté de mes jours, si commune, si banale. Vous dire la lumière de ces jours d'hiver, si folle, si douce. Cette allure de printemps, soudain. Il semblerait que quelque chose ne puisse jamais finir...
Les secrets sont des piments sur le bout de la langue. Tôt ou tard ils mettent la bouche en feu. Tôt ou tard on ouvre la bouche et on montre le petit diable qui faisait sa cuisine entre nos dents serrées.
Le monde va toujours vers le pire. Dès qu'on le laisse aller seul, le monde va vers la destruction du faible et du précieux en nous.
... l'intelligence c'est proposer à l'autre ce qu'on a de plus précieux, en faisant tout pour qu'il puisse en disposer - s'il le souhaite, quand il le souhaite. L'intelligence, c'est l'amour avec la liberté.
Les hommes tiennent le monde. Les mères tiennent l'éternel qui tient le monde et les hommes.
Le vingtième siècle parle à l'oeil, et comme la vue est un des sens les plus volages, il lui faut hurler, crier avec des lumières violentes, des images désespérantes à force d'être gaies.
Si éclairants soient les grands textes, ils donnent moins de lumière que les premiers flocons de neige.
Se taire : l'avancée en solitude, loin de dessiner une clôture, ouvre la seule et durable et réelle voie d'accès aux autres, à cette altérité qui est en nous et qui est dans les autres comme l'ombre portée d'un astre, solaire, bienveillant.
Une des plus fines expériences de la vie est de cheminer avec quelqu'un dans la nature, parlant de tout et de rien.
Tout visage est une porte et la même porte, selon l'instant où on la pousse, peut donner sur le paradis ou sur l'enfer.
Tu as eu le temps de voir ton métier entamé par la logique de ce monde marchand. Ouverture de l'école aux entreprises, adaptation d'un système périmé, les discours n'ont pas manqué. Les discours de la servitude ne font jamais défaut. Proposer la lecture de Fred Uhlman, c'était donner aux esprits un appui, le calme et la stupeur indispensable à toute pensée juste.
Le bonheur, ce n'est pas une note séparée, c'est la joie que deux notes ont à rebondir l'une contre l'autre.
J'ai revé d'un livre qu'on ouvrirait comme on pousse la grille d'un jardin abandonné.
Quelle que soit la personne que tu regardes, sache qu'elle a déjà plusieurs fois traversé l'enfer.
Décembre. Il fait froid et sec. J'entends les morts qui se rapprochent de nous, j'entends les os des feuilles mortes craquer sous leurs pieds de lumière. L'hiver fait le travail des grands maîtres : il simplifie.
Lire, c'est la seule intelligence, lire c'est contempler le sang que l'on perd, à chaque instant et combien il est sombre. C'est aller en aveugle dans le réel, échanger sa vie contre le tout de la vie.
Il y a des places qu'il faut laisser désertes. Il y a des actes qu'on ne peut faire sans être aussitôt défait par eux.
L'amour n'est pas mesurable à ce qu'il fait. L'amour vient sans raison, sans mesure, et il repart de même.
On peut rester dix ans célibataire dans un mariage. On peut parler des heures sans dire un mot. On peut coucher avec la terre entière et rester vierge.
L'extrême sensibilité est la clé qui ouvre toutes les portes mais elle est chauffée à blanc et brûle la main qui la saisit.
La parole et la mort sont comme deux personnes qui voudraient entrer dans une pièce en même temps et se gênent, demeurent bloquées sur le seuil…
Ce qu'on sait de quelqu'un empêche de le connaître.
... écrire, c'est avoir une très haute conscience de soi-même, et c'est avoir conscience que l'on n'est pas à la hauteur, que l'on n'y a jamais été.
Il n'y a pas d'issue au chemin, puisqu'il n'y a pas de chemin. Il n'y a pas de consolation puisque tout nous blesse et que rien ne nous fait mourir. Il n'y a que les choses devant nos yeux et la lumière sur ces choses.
Partout est l'argent, partout est le monde ruiné par l'argent.
Le plus grand abandon est à l'orée de la plus vive douceur : c'est ce que disait la croix, comme un ange couché sur le cercueil.
Le coeur est une petite maison, même pas une maison, une niche, même pas une niche, un abri pour les moineaux. Le coeur n'a qu'une contenance réduite. Une joie qui bat des ailes le remplit tout. Il n'y a plus de place pour autre chose.
Ta mort fait comme une île noire dans un océan de lumière. Pour te rejoindre, aucune barque. Il faudrait pouvoir marcher sur la lumière. Cela doit s'apprendre. Cela s'apprend.
Le monde a tué la lenteur. Il ne sait plus où il l'a enterrée.
Les vivants sont un peu durs d'oreille. Ils sont souvent remplis de bruit. Il n'y a que les morts et ceux qui vont naître qui peuvent absolument tout entendre.
Infiniment plus que tout : c'est le nom enfantin de l'amour, son petit nom, son nom secret.
Je suis toujours étonné de voir le peu de liberté que chacun s'autorise, cette manière de coller sa respiration à la vitre des conventions.
Les mariages usent l'amour, le fatiguent, le tirent vers le sérieux et le lourd qui est le lieu du monde.