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Le double comme la morale sont deux façons de nier la réalité ou de nier le tragique. Ce sont deux aspects d'un même problème. Le double, c'est l'illusion. A chaque fois que la réalité est indésirable, l'homme a une imagination extraordinairement fertile qui lui fait créer un double qui est comme un rideau qui masque ce que le réel a d'intolérable, d'indigeste, de cru.
Clément Rosset
Le meilleur des mondes n'est pas un monde où l'on obtient ce qu'on désire, mais un monde où l'on désire quelque chose.
Le propre de la pensée naturaliste n'est pas d'accorder un sens quelconque à l'idée de nature, mais de tabler sur le mot nature pour refuser tout ce qui existe artificiellement, c'est-à-dire pour contester tout ce qui existe.
Le régime de la joie est celui du tout ou rien : il n'est de joie que totale ou nulle
La superstition demande des causes, alors que le propre de la raison véritable est de découvrir que les choses sont sans cause et de déceler, dans le voeu causal, la racine de l'angoisse religieuse.
Qui souvent s'examine n'avance en rien dans la connaissance de lui-même. Et moins on se connaît, mieux on se porte.
La fausse sécurité est plus que l'alliée de l'illusion, elle en constitue la substance même.
Les questions du type "qui suis-je réellement ?" ou "que fais-je exactement ?" ont toujours été un frein tant à l'existence qu'à l'activité. En bref, l'exercice de la vie implique une certaine inconscience qu'on pourrait définir comme une insouciance du "quant à soi".
Être heureux, c'est toujours être heureux malgré tout
J'avais toujours pensé sottement que la dépression nerveuse était un terme inventé pour exprimer une espèce de faiblesse psychologique, un manque d'énergie. Maintenant, je suis persuadé du contraire, et je l'explique dans mon livre en montrant que c'est le corps qui commande et qu'il n'y a aucune énergie à opposer aux décisions du corps dépressif.
Certains se souviennent sans doute de la devise inscrite jadis sur les balances publiques : "Qui souvent se pèse bien se connaît. Qui bien se connaît bien se porte." J'aurais tendance pour ma part à inverser les termes de cet adage. Qui souvent s'examine n'avance en rien dans la connaissance de lui-même. Et moins on se connaît, mieux on se porte.
Sois ami du présent qui passe : le futur et le passé te seront donnés par surcroît
Je pense en effet qu'il y a une alliance possible entre la lucidité - la vie est absurde, ridicule - et la joie. Car être heureux, c'est toujours être heureux malgré tout
On peut assurément soutenir que le fait de donner raison au réel constitue le problème spécifique de la philosophie : en ce sens que c'est son affaire, mais aussi qu'elle n'est, en tant que telle, jamais tout à fait capable d'y faire face.
Ce "qui" en vous refoule est beaucoup plus angoissant que ce "que" vous refoulez.
Je crois en revanche à un progrès de la légalité ; il est possible que l'appareil juridique soit de plus en plus efficace et diminue une part de l'injustice. Mais c'est un progrès qui sera long et qui me semble devoir toucher plutôt les mours que la nature humaine elle-même
Il y a des domaines où il n'y aura jamais de progrès : l'homme sera toujours mortel, il sera toujours soumis à la maladie. Quant au progrès historique, c'est-à-dire la diminution de la violence, je ne le nie pas tout à fait mais j'aurai un peu la prudence de Kant sur ce point : les choses n'iront pas vite
Je considère que la dépression est une maladie comme la grippe ou comme les oreillons, et une maladie ne peut pas remettre en cause une philosophie, à plus forte raison une philosophie qui prétend accepter toute la cruauté du monde. Dans le pire des moments, jamais je n'ai pensé : La vie est horrible.
Toute joie parfaite consiste en la joie de vivre, et en elle seule
Je ne vois pas un monde de demain différent du monde d'aujourd'hui. Il y a eu une accélération des techniques, mais je ne suis pas sûr que cette accélération continue au même rythme, il est bien possible qu'elle se ralentisse et que nous ayons vu des changements plus spectaculaires que ceux du prochain millénaire
L'indignation morale ne lutte pas contre le mal au sens concret du terme. La légalité seule permet de sanctionner, c'est pourquoi je prétends que le plus sage, si l'on veut réduire les maux terrestres, consiste, comme le disait Kant, à favoriser un progrès de la légalité : la moralité suivra et non le contraire.
Aux yeux du penseur tragique, toute logique - dès lors qu'elle ne se limite pas à la non-affirmation - est toujours et déjà d'ordre paranoïaque : il n'y a pas de "délire d'interprétation" qui tienne, puisque toute interprétation est délire.
L'ombre, le reflet et l'écho sont les attributs obligés de tout objet réel, quelle qu'en soit la nature ; s'ils viennent à manquer, ... ils déboutent par leur absence n'importe quel objet d'une prétention à la réalité.
Une des marques les plus assurées de la joie est, pour user d'un qualificatif aux résonances fâcheuses à bien des égards, son caractère totalitaire. Le régime de la joie est celui du tout ou rien : il n'est de joie que totale ou nulle
Il n'est pas de signe plus sûr de la joie que de ne faire qu'un avec la joie de vivre.
La philosophie est donc l'amour de la vie quand même, de sorte que je dis ce qu'ont dit tous les bons philosophes : pour les mêmes raisons que Montaigne intitule un chapitre "que philosopher c'est apprendre à mourir", il est tout aussi vrai que philosopher c'est apprendre à vivre. La philosophie, c'est le savoir-vivre dans tous les sens du terme.
Un grand penseur est toujours des plus réservés quant à la valeur des vérités qu'il suggère, alors qu'un philosophe médiocre se reconnaît, entre autres choses, à ceci qu'il demeure toujours persuadé de la vérité des inepties qu'il énonce.
C'est un des mystères attachés à la condition humaine, et la définition de sa folie essentielle, que le domaine de l'inexistant ait presque toujours la part la plus belle par rapport au domaine de l'existant.
Ce serait un moindre mal de mourir si l'on pouvait tenir pour assuré qu'on a du moins vécu.
La morale a toujours été une manière de dire ce qui doit être et ce qui ne doit pas être, et de se moquer de ce qui est.
Il n'y a pas de délire d'interprétation puisque toute interprétation est un délire.