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Je ne suis pas triste. Mais il y a un vide à l'intérieur de moi, qui bat et coupe le souffle. Je suis absente à moi-même.
Delphine de Vigan
Elle aurait préféré crever plutôt que de nous demander quoi que ce soit, me suis-je dit, puis j'ai pensé que c'était exactement ce qu'elle avait fait, et j'ai beaucoup pleuré.
Mais vous devriez savoir qu'on ne promet pas seulement avec les mots, que parfois la voix se fait plus profonde, plus grave, et qu'alors elle donne la force d'attendre, chaque jour.
Mon inconscience n'a d'égale que ma distraction. J'ai beaucoup bu et je suis heureuse. Je me fous de savoir combien de mètres me séparent de la terre ferme.
J'écris Lucile avec mes yeux d'enfant grandie trop vite, j'écris ce mystère qu'elle a toujours été pour moi, à la fois si présente et si lointaine, elle qui lorsque j'ai eu dix ans, ne m'a plus jamais prise dans ses bras.
Je ris aussi je crois, je suis heureuse, là, tout de suite, dans l'engourdissement du sommeil, et si c'était ça le bonheur, pas même un rêve, pas même une promesse, juste l'instant.
Il y a dans la relation amoureuse une forme de férocité infuse et inépuisable.
L'écriture est pour moi un territoire retranché. Mais c'est aussi ce qui la rend si dangereuse. Et peut-être qu'un jour, je n'aurai plus la force d'écrire.
Vieillir, c'est apprendre à perdre. Perdre ce qui vous a été donné, ce que vous avez gagné, ce que vous avez mérité, ce pour quoi vous vous êtes battu, ce que vous pensiez tenir à jamais. Se réajuster. Se réorganiser. Faire sans. Passer outre. N'avoir plus rien à perdre.
Les vieux sont comme les enfants, on ne peut rien leur cacher.
Et si on décidait d'aller à l'encontre de ce qui se fait ou ne se fait pas, si on décidait que les choses peuvent être autrement même si c'est très compliqué et toujours bien plus qu'il n'y paraît.
Le noir de Lucile est comme celui du peintre Pierre Soulages. Le noir de Lucile est un Outrenoir, dont la réverbération, les reflets intenses, la lumière mystérieuse, désignent un ailleurs.
Nous portons tous la trace du regard qui s'est posé sur nous quand nous étions enfants ou adolescents. Nous la portons sur nous, oui, comme une tache que seules quelques personnes peuvent voir.
Je croyais que la violence était dans les cris, les coups, la guerre et le sang. Et maintenant je sais que la violence est aussi dans le silence, qu'elle est parfois invisible à l'oeil nu. [...] La violence est ce qui nous échappe, elle se tait, ne se montre pas, la violence est ce qui ne trouve pas d'expliquation, ce qui à jamais restera opaque.
Si on s'y attache, la grammaire révèle le sens caché de l'histoire, dissimule le désordre et l'abandon, relie les éléments, rapproche les contraires, la grammaire est un formidable moyen d'organiser le monde comme on voudrait qu'il soit.
Les regards de nos parents, des autres adultes, des autres enfants sont tatoués sur nos peaux. Il nous a fallu composer avec. Et parfois sans.
Mais les gens désespérés ne se rencontrent pas. Ou peut-être au cinéma. Dans la vraie vie, ils se croisent, s'effleurent, se percutent. Et souvent se repoussent, comme les pôles identiques de deux aimants.
L'échec amoureux n'est ni plus ni moins qu'un calcul coincé dans les reins. De la taille d'un grain de sable, d'un petit pois, d'une bille ou d'une balle de golf, une cristallisation susceptible de provoquer une douleur forte, voire insoutenable.
Quoi que je dise et fanfaronne, il y a une douleur à se replonger dans ces souvenirs, à faire resurgir ce qui s'est dilué, effacé, ce qui a été recouvert.
Dans la vie on est tout seul avec son costume, et tant pis s'il est tout déchiré.
Les choses sont toujours plus compliquées qu'il y paraît. Les choses sont ce qu'elles sont, et il y en a beaucoup contre lesquelles on ne peut rien. Voilà sans doute ce qu'il faut admettre pour devenir adulte.
Rares sont les gens qui posent les vraies questions, celles qui importent.
La violence est ce temps qui recouvre les blessures, l'enchaînement irréductible des jours, cet impossible retour en arrière.
Thaïs ouvrait et fermait les yeux, bâillait, tétait, agitait ses petits bras, et cette mécanique de haute précision avait été fabriquée par mes parents.
Notre silence est comme un retour à l'origine des choses, à leur vérité.
Dans cette conscience de ne pas être à l'abri, de pouvoir descendre aussi bas - et seulement là - la compassion pouvait survenir. La compassion n'était rien d'autre qu'une peur pour soi-même.
C'est fou ce que les choses peuvent avoir l'air normal en apparence. Si on se donne un peu de mal. Si on évite de soulever le tapis. Un peu plus on se croirait dans un monde parfait où tout finit toujours par s'arranger.
La vie d'avant n'est qu'un souvenir anesthésié et la vie d'après se chuchote comme une promesse impossible.
Alors, je pense que la violence est aussi là, dans ce geste impossible qui va d'elle vers moi, ce geste à jamais suspendu.
Il faut lutter. Mot à mot. Pied à pied. Ne rien céder. Pas une syllabe, pas une consonne. Sans le langage, que reste-t-il ?
Des mots périmés, avariés, qu'on ne digère pas. Qui restent sur l'estomac.
L'insomnie est la face sombre de l'imagination.
Vous n'avez pas besoin de mourir pour renaître. Elle avait noté ces mots quand elle était rentrée chez elle. Ces mots ensuite avaient fait leur chemin.
Parce qu'elle est devenue presque sourde, bouffée de l'intérieur à force de ne rien bouffer.
L'absence d'un objet ou d'un sujet s'exprime mieux pas la phrase il n'y en a pas (ou plus). Les nombres demeurent une abstraction et le zéro ne dit ni l'absence ni le chagrin.
Les loyautés. Ce sont des liens invisibles qui nous attachent aux autres – aux morts comme aux vivants. Ce sont les tremplins sur lesquels nos forces se déploient et les tranchées dans lesquelles nous enterrons nos rêves.
Elle s'étonne, le temps passe si vite, déjà Noël, déjà l'hiver, déjà demain et rien ne bouge, voilà le problème, en effet, notre vie est immobile et la terre continue de tourner.
Vous êtes vous déjà demandé combien de fois dans votre vie vous aviez réellement dit merci ? Un vrai merci. L'expression de votre gratitude, de votre reconnaissance, de votre dette
Je suis toujours passée à côté des hommes, je les ai aimés trop tôt, trop vite ou trop tard.
La vérité c'est que les choses sont ce qu'elles sont. La réalité reprend toujours le dessus et l'illusion s'éloigne sans qu'on s'en rende compte. La réalité a toujours le dernier mot.
Pourquoi dites-vous "les personnes âgées" ? Vous devriez dire "les vieux". C'est bien "les vieux". Ça a le mérite d'être fier. Vous dites bien "les jeunes", non ? Vous ne dites pas "les personnes jeunes" ?
J'ai pensé aux effets secondaires de la vie, ceux qui ne sont indiqués dans aucune notice, aucun mode d'emploi. J'ai pensé que la violence était là aussi, j'ai pensé que la violence était partout.
Prenez un homme et une femme, touillez, pétrissez, couvrez, laisser reposer. Jetez l'excédent, jetez tout. Refermez le couvercle.
Et si c'était ça, le bonheur, pas même un rêve, pas même une promesse, juste l'instant.
Aucun prince, aucune réussite ne peuplaient ses rêves, simplement le temps étalé devant elle dont elle pouvait disposer selon sa volonté propre, un temps contemplatif qui la tiendrait à l'abri.
Je n'aime pas le soir qui tombe. Ces jours qui s'en vont dans l'ombre, pour toujours.
Lui dire que certains soirs je n'ai pas envie de rentrer chez moi, à cause de toute cette tristesse qui colle aux murs.
Vieillir, c'est apprendre à perdre. Encaisser, chaque semaine ou presque, un nouveau déficit, une nouvelle altération, un nouveau dommage. Voilà ce que je vois. Et plus rien ne figure dans la colonne des profits.
Ma mère reste debout, à l'entrée du salon, les bras le long du corps. Alors je pense que la violence est là aussi, dans ce geste impossible qui va d'elle vers moi, ce geste à jamais suspendu.
Elle aimait prolonger cet état de latence, d'engourdissement, ne rien prévoir, laisser aller les choses comme elles venaient, accueillir l'étirement du temps.