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Paris, point le plus éloigné du Paradis, n'en demeure pas moins le seul endroit où il fasse bon désespérer.
Emil Cioran
Le lecteur vrai est celui qui n'écrit pas. Lui seul est capable de lire un livre naïvement, - unique manière de sentir un ouvrage.
Le désir de paraître intelligent augmente les capacités d'une intelligence. Toute vanité stimule. Ceux qui en sont dépourvus demeurent en deçà d'eux-mêmes, laissent inexploitée une partie de leurs dons.
Quiconque veut laisser une oeuvre n'a rien compris. Il faut apprendre à s'émanciper de ce qu'on fait. Il faut surtout renoncer à avoir un nom, et même à en porter un. Mourir inconnu, c'est peut-être cela la grâce.
À quoi bon fréquenter Platon, quand un saxophone peut aussi bien nous faire entrevoir un autre monde ?
L'obsession de l'ailleurs c'est l'impossibilité de l'instant ; et cette impossibilité est la nostalgie même.
Il n'y a pas un tableau au monde devant lequel tu peux sentir que le monde aurait pu commencer avec toi ; mais il existe des finales de symphonies qui t'ont souvent poussé à te demander si tu n'étais pas le commencement et la fin.
Shakespeare : rendez-vous d'une rose et d'une hache...
Ce qu'on appelle "sagesse" n'est au fond qu'une perpétuelle "réflexion faite", c'est-à-dire la non-action comme premier mouvement.
Tout se réduit en somme au désir et à l'absence de désir. Le reste est nuance.
C'est durant nos veilles que la douleur accomplit sa mission, qu'elle se réalise et s'épanouit. Elle est alors illimitée comme la nuit, qu'elle imite.
Je n'ai pas rencontré un seul esprit intéressant qui n'ait été largement pourvu en déficiences inavouables.
Notre époque sera marquée par le romantisme des apatrides. Déjà se forme l'image d'un univers où plus personne n'aura droit de cité. Dans tout citoyen d'aujourd'hui gît un métèque futur.
(Il est question de la femme enceinte) - ... porteuse de cadavre...
Les sources d'un écrivain, ce sont ses hontes ; celui qui n'en découvre pas en soi, ou s'y dérobe, est voué au plagiat ou à la critique.
Devant cet entassement de tombes, on dirait que les gens n'ont d'autre souci que de mourir.
En vieillissant, on apprend à troquer ses terreurs contre ses ricanements.
On entend de tous côtés, que si tout est futile, faire bien ce que l'on fait, ne l'est pas. Cela même l'est pourtant. Pour arriver à cette conclusion, et la supporter, il ne faut pratiquer aucun métier, ou tout au plus celui de roi, comme Salomon.
Je sens que je suis libre mais je sais que je ne le suis pas.
La mort est un état de perfection, le seul à la portée d'un mortel.
Seuls les esprits superficiels abordent une idée avec délicatesse.
Deux sortes d'esprit : diurnes et nocturnes. Ils n'ont ni la même méthode ni la même éthique. En plein jour, on se surveille ; dans l'obscurité, on dit tout.
Le temps, complice des exterminateurs, fiche la morale par terre. Qui, aujourd'hui, en veut à Nabuchodonosor ?
Distribuer des coups dont aucun ne porte, attaquer tout le monde sans que personne s'en aperçoive, lancer des flèches dont on est seul a recevoir le poison !
Dans les grandes perplexités, astreins-toi à vivre comme si l'histoire était close et à réagir comme un monstre rongé par la sérénité.
Il y a des gens si bêtes, que si une idée apparaissait à la surface de leur cerveau, elle se suiciderait, terrifiée de solitude.
L'action remplit l'intervalle entre les choses et nous, alors que la réflexion l'élargit dangereusement.
Des opinions, oui ; des convictions, non. Tel est le point de départ de la fierté intellectuelle.
On ne réfléchit que parce qu'on se dérobe à l'acte. Penser, c'est être en retrait.
Quelqu'un que nous plaçons très haut nous devient plus proche quand il accomplit un acte indigne de lui. Par-là, il nous dispense du calvaire de la vénération. Et c'est à partir de ce moment que nous éprouvons à son égard un véritable attachement.
Seul s'affranchit l'esprit qui, pur de toute accointance avec êtres ou objets, s'exerce à sa vacuité.
Peut-être ai-je trop misé sur la musique, peut-être n'ai-je pas pris toutes mes précautions contre les acrobaties du sublime, contre le charlatanisme de l'ineffable.
Examinez les esprits qui réussissent à nous intriguer : loin de faire la part des choses, ils défendent des positions insoutenables.
La femme était quelqu'un tant qu'elle avait le sens de la pudeur. Elle ne l'a plus, elle dévoile tout pour rien, elle détruit l'illusion en empêchant l'imagination de travailler.
Si on ne s'estime pas investi d'une mission, exister est difficile ; agir, impossible.
Exister serait une entreprise totalement impraticable si on cessait d'accorder de l'importance à ce qui n'en a pas.
Tout sans Dieu est néant ; et Dieu n'est que le néant suprême.
Quelle inquiétude lorsqu'on n'est pas sûr de ses doutes, et que l'on se demande : sont-ce véritablement des doutes ?
Les religions, comme les idéologies qui en ont hérité les vices, se réduisent à des croisades contre l'humour.
... ménopauses métaphysiques...
Nulle civilisation ne saurait s'éteindre dans une agonie indéfinie ; des tribus rôdent alentour, flairant les relents des cadavres parfumés.
Je veux mourir mais je regrette de le vouloir.
Si seulement Dieu avait fait notre monde aussi parfait que Bach a fait le sien divin !
L'anxiété n'est provoquée par rien, elle cherche à se donner une justification, et, pour y parvenir, se sert de n'importe quoi, des prétextes les plus misérables, auxquels elle s'accroche, après les avoir inventés.
Celui qui m'assure ignorer la rancune, j'ai toujours la tentation de lui donner une gifle, pour lui montrer qu'il se trompe.
Pour vaincre l'affolement ou une inquiétude tenace, il n'est rien de tel que de se figurer son propre enterrement. Méthode efficace, à la portée de tous.
La Création fut le premier acte de sabotage.
Tous nos vices viennent de l'excès d'activité, de cette propension à nous réaliser, à donner une apparence honorable à nos travers.
Se tuer parce que l'on est, oui, mais non parce que l'humanité entière vous cracherait à la figure !
L'homme sécrète du désastre.