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La connaissance ruine l'amour : à mesure que nous pénétrons nos propres secrets, nous détestons nos semblables, précisément parce qu'ils nous ressemblent. Quand on n'a plus d'illusions sur soi, on n'en garde pas sur autrui.
Emil Cioran
Dans tout prophète coexistent le goût de l'avenir et l'aversion pour le bonheur.
Quand on sait que tout problème est un faux problème, on est dangereusement près du salut.
Nous ne pardonnons qu'aux enfants et aux fous d'être francs avec nous : les autres, s'ils ont l'audace de les imiter, s'en repentiront tôt ou tard.
Lors même que nous croyons avoir délogé Dieu de notre âme, il y traîne encore : nous sentons bien qu'il s'y ennuie, mais nous n'avons plus assez de foi pour le divertir.
Le désir de mourir n'exprime parfois qu'une subtilité de notre orgueil : nous voulons nous rendre maîtres des surprises fatales de l'avenir, ne pas tomber victimes de son désastre essentiel.
On n'écrit pas parce qu'on a quelque chose à dire mais parce qu'on a envie de dire quelque chose.
Et peut-être c'est ça la vie, sans vouloir employer de grands mots, c'est que l'on fait des choses auxquelles on adhère sans y croire, oui, c'est à peu près ça.
Socrate, la veille de sa mort, était en train d'apprendre un air de flûte. "A quoi cela te servira-t-il ? lui dit-on. - A savoir cet air avant de mourir."
Le destin de l'homme est d'épuiser l'idée de Dieu.
Né avec une âme habituelle, j'en ai demandé une autre à la musique : ce fut le début de malheurs inespérés.
Histoire universelle : histoire du Mal. Oter les désastres du devenir humain, autant vaut concevoir la nature sans saisons.
J'ai tous les défauts des autres et cependant tout ce qu'ils font me paraît inconcevable.
Tous les penseurs sont des ratés de l'action et qui se vengent de leur échec par l'entremise des concepts.
Il n'y a pas de cafard qui résiste au travail manuel, au bricolage.
La critique est un contresens : il faut lire, non pour comprendre autrui mais pour se comprendre soi-même.
Regarder sans comprendre, c'est le paradis. L'enfer serait donc le lieu où l'on comprend, où l'on comprend trop...
Il est incroyable que la perspective d'avoir un biographe n'ait fait renoncer personne à avoir une vie.
Quand on revoit quelqu'un après de longues années, il faudrait s'asseoir l'un en face de l'autre et ne rien dire pendant des heures, afin qu'à la faveur du silence la consternation puisse se savourer elle-même.
Si je n'avance sur aucun plan, et si je ne produis rien, c'est que je cherche l'introuvable ou, comme l'on disais jadis, la vérité. Faute de pouvoir l'atteindre, je piétine, j'attends, j'attends.
Imaginer, c'est se restreindre, c'est exclure.
Dès que quelqu'un me parle d'élites, je sais que je me trouve en présence d'un crétin.
Je suis le contraire d'un aventurier : tout me fait peur et tout me fatigue ici-bas ; c'est seulement au niveau de l'idée que j'ai un vague goût de l'aventure.
Journal : le besoin de consigner toutes les réflexions amères, par l'étrange peur qu'on arriverait un jour à ne plus être triste...
Essayez d'être libre : vous mourrez de faim. La société ne vous tolère que si vous êtes successivement serviles et despotiques.
Ce qui est répugne à l'étreinte verbale et l'expérience intime ne nous en dévoile rien au-delà de l'instant privilégié et inexprimable. D'ailleurs, l'être lui-même n'est qu'une prétention du Rien.
Le scepticisme est l'élégance de l'anxiété.
Il est évident que Dieu était une solution, et qu'on n'en trouvera jamais une autre qui soit aussi satisfaisante.
Le travail : une malédiction que l'homme a transformée en volupté.
La recherche de l'originalité est presque toujours la marque d'un esprit de second ordre.
Tel qui se tue pour une garce fait une expérience plus complète et plus profonde que le héros qui bouleverse le monde.
J'aime la pensée qui garde une saveur de sang et de chair.
Faire autre chose que de l'extraordinaire est vraiment inutile.
C'est à coup d'excitants (café, tabac) que j'ai écrit tous mes livres. Depuis qu'il m'est impossible d'en prendre, ma "production" est tombée à zéro. A quoi tient l'activité de l'esprit !
Ces amis trop empressés qui vous rendent des services qu'on ne leur a pas demandés - La pire forme d'indiscrétion. On ne devrait pas s'occuper de nous sans notre consentement.
... tout malaise n'est qu'une expérience métaphysique avortée.
"La souffrance est l'unique cause de la conscience" (Dostoïevski). Les hommes se partagent en deux catégories : ceux qui ont compris cela, et les autres.
Dans les sensations de douleur très fortes, beaucoup plus que dans les faibles, on s'observe, on se dédouble, on demeure extérieur à soi, quand bien même on gémit ou on hurle. Tout ce qui confine au supplice réveille en chacun le psychologue, le curi
La sagesse, que rien ne fascine, recommande le bonheur donné, existant ; l'homme le refuse, et ce refus seul en fait un animal historique, j'entends un amateur de bonheur imaginé.
Il n'est guère qu'un signe qui atteste qu'on a tout compris : pleurer sans sujet.
Il ne faut pas s'astreindre à une oeuvre, il faut seulement dire quelque chose qui puisse se murmurer à l'oreille d'un ivrogne ou d'un mourant.
Le monothéisme judéo-chrétien est le stalinisme de l'Antiquité.
Sans l'idée du suicide, je me serais tué depuis toujours.
À quoi la musique fait appel en nous, il est difficile de le savoir ; ce qui est certain, c'est qu'elle touche une zone si profonde que la folie elle-même n'y saurait pénétrer.
Créer une littérature c'est créer une prose.
Le meurtre suppose et couronne la révolte : celui qui ignore le désir de tuer aura beau professer des opinions subversives, il ne sera jamais qu'un conformiste.
Si la mort n'avait que des côtés négatifs, mourir serait un acte impraticable.
Ce qui n'est pas déchirant est superflu, en musique tout au moins.
L'expérience du vide est la tentation mystique de l'incroyant, sa possibilité de prière, son moment de plénitude.
L'ennui... cette convalescence incurable.