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L'homme est le cancer de la terre.
Emil Cioran
Celui qui a vécu jusqu'au bout l'orgueil de la solitude n'a plus qu'un rival : Dieu.
Les Français ont tous les défauts, sauf un : ils ne sont pas obséquieux. Ils l'ont assez démontré pendant l'Occupation ; je n'en ai vu aucun qui, dans la rue ou ailleurs, se soit aplati devant l'occupant ou qui ait pris un air servile.
Je rêve d'une langue dont les mots, comme les poings, fracasseraient les mâchoires.
Supporter un rôle subalterne sans aigreur est beaucoup plus difficile que d'être un exclu, un réprouvé. Cette dernière condition comporte de grandes satisfactions d'orgueil. Elle est une réussite à rebours.
... la biographie d'une pensée...
Méfiez-vous de ceux qui tournent le dos à l'amour, à l'ambition, à la société. Ils se vengeront d'y avoir renoncé.
On ne peut être normal et vivant à la fois.
On périt toujours par le moi qu'on assume : porter un nom c'est revendiquer un mode exact d'effondrement.
Nous respirerions enfin mieux si un beau matin on nous apprenait que la quasi-totalité de nos semblables se sont volatilisés comme par enchantement.
Etre libre, c'est s'exercer à n'être rien.
En parlant de la mort on a sauve quelque chose de soi-même.
Les rides d'une nation sont aussi visibles que celles d'un individu.
Je vadrouille à travers les jours comme une putain dans un monde sans trottoirs.
Certains se demandent encore si la vie a un sens ou non. Ce qui revient en réalité à s'interroger si elle est supportable ou pas. Là s'arrêtent les problèmes et commencent les résolutions.
L'orgasme est un paroxysme ; le désespoir aussi. L'un dure un instant ; l'autre, une vie.
L'amour ou la haine que nous lui portons (à Dieu) révèle moins la qualité de nos inquiétudes que la grossièreté de notre cynisme.
Ne désespère pas : si tout le monde t'abandonne, tu pourras toujours compter sur tes douleurs.
Le tourment chez certains est un besoin, un appétit, et un accomplissement. Partout ils se sentent diminués, sauf en enfer.
Nous n'avons en somme le choix qu'entre une volonté malade et une volonté mauvaise ; l'une excellente, parce que frappée, immobilisée, inefficace ; l'autre, nuisible, donc remuante, investie d'un principe dynamique.
... nous sommes tous des Lucifers de statistique.
Je ne crois à rien, sauf à la liberté. J'avoue cette grande faiblesse. Pour tout le reste, je manque de convictions ; je n'ai que des opinions.
Don Quichotte représente la jeunesse d'une civilisation : il s'inventait des événements - nous ne savons comment échapper à ceux qui nous pressent.
Bergson avouait qu'il ne pouvait pas lire du Nietzsche ; que dirait-il aujourd'hui s'il voyait que nous ne pouvons pas lire du Bergson ?
Jamais à l'aise dans l'immédiat, ne me séduit que ce qui me précède, que ce qui m'éloigne d'ici, les instants sans nombre où je ne fus pas : le non-né.
Au zoo. Toutes ces bêtes ont une tenue décente, hormis les singes. On sent que l'homme n'est pas loin.
L'Occident : une pourriture qui sent bon, un cadavre parfumé.
Dissimuler ses rancunes, c'est là tout le secret de l'homme comme il faut.
Rien ne dessèche tant un esprit que sa répugnance à concevoir des idées obscures.
L'ignorance est un état parfait. Et on comprend que celui qui en jouit ne veuille pas en sortir.
Ce que les autres font, nous avons toujours l'impression que nous pourrions le faire mieux. Nous n'avons malheureusement pas le même sentiment à l'égard de ce que nous faisons nous-mêmes.
Plus encore que dans le poème, c'est dans l'aphorisme que le mot est dieu.
Ne cultivent l'aphorisme que ceux qui ont connu la peur au milieu des mots, cette peur de crouler avec tous les mots.
Ce qui nous distingue de nos prédécesseurs, c'est notre sans-gêne à l'égard du Mystère. Nous l'avons même débaptisé : ainsi est né l'Absurde.
Sans volonté, nul conflit : point de tragédie avec des abouliques. Cependant la carence de la volonté peut être ressentie plus douloureusement qu'une destinée tragique.
Alors qu'il faut la sensibilité d'un écorché ou une longue tradition de vice pour associer au plaisir la conscience du plaisir, la douleur et la conscience de la douleur se confondent même chez l'imbécile.
Sans l'espoir d'une douleur plus grande, je ne pourrais supporter celle du moment, fût-elle infinie.
Le "talent" est le moyen le plus sûr de fausser tout, de défigurer les choses et de se tromper sur soi. L'existence vraie appartient à ceux-là seuls que la nature n'a accablés d'aucun don.
S'il tient à préserver une quelconque dignité spirituelle, l'homme doit négliger son statut de contemporain.
L'insomnie est la seule forme d'héroïsme au lit.
Les actions d'éclat sont l'apanage des peuples qui, étrangers au plaisir de s'attarder à table, ignorent la poésie du dessert et les mélancolies de la digestion.
Par peur d'être quelconque, j'ai fini par n'être rien.
Une seule expérience absolue, à propos de n'importe quoi, et vous faites, à vos propres yeux, figure de survivant.
Tout problème profane un mystère ; à son tour, le problème est profané par sa solution.
Le processus de vieillissement dans l'univers verbal suit un rythme autrement accéléré que dans l'univers matériel. les mots, trop répétés, s'exténuent et meurent, alors que la monotonie constitue la loi de la matière.
Pendant des années, en fait pendant une vie, n'avoir pensé qu'aux derniers moments, pour constater, quand on en approche enfin, que cela aura été inutile, que la pensée de la mort aide à tout, sauf à mourir !
Dans Faust, le diable est le serviteur de Dieu. Je me demande si ce n'est pas l'inverse. Car si l'on admet que le démon gouverne le monde, tout s'explique. Par contre, si c'est Dieu qui règne, rien n'est explicable.
Il n'y a aucune raison de ne pas être triste. La tristesse est liée à la nature, de telle sorte qu'elle précède l'homme.
La véritable, l'unique malchance : celle de voir le jour. Elle remonte à l'agressivité, au principe d'expansion et de rage logé dans les origines, à l'élan vers le pire qui les secoua.
Dans les pays latins où la parole ne coûte rien, le laconisme est tenu pour de la bêtise.