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Faire le mal est un plaisir, non une joie. La joie, seule vraie victoire sur le monde, est pure dans son essence, elle est donc irréductible au plaisir, toujours suspect et en lui-même et dans ses manifestations.
Emil Cioran
Il y a du charlatan dans quiconque triomphe en quelque domaine que ce soit.
Les avantages d'un état d'éternelle virtualité me paraissent si considérables, que, lorsque je me mets à les dénombrer, je n'en reviens pas que le passage à l'être ait pu s'opérer jamais.
L'inconscience est une patrie ; la conscience, un exil.
J'aimerais perdre la raison à une seule condition : avoir la certitude de devenir un fou gai et enjoué, sans problèmes ni obsessions, hilare du matin au soir.
Il est aisé d'être "profond" : on n'a qu'à se laisser submerger par ses propres tares.
On meurt depuis toujours et cependant la mort n'a rien perdu de sa fraîcheur.
A l'égard de la mort, j'oscille sans arrêt entre le "mystère" et le "rien du tout", entre les Pyramides et la Morgue.
S'insurger contre l'hérédité c'est s'insurger contre des milliards d'années, contre la première cellule.
Le pluriel implicite du "on" et le pluriel avoué du "nous" constituent le refuge confortable de l'existence fausse. Le poète seul prend la responsabilité du "je", lui seul parle en son propre nom, lui seul a le droit de le faire.
La joie n'a pas d'arguments ; la tristesse en possède d'innombrables. Et c'est ce qui la rend si terrible et nous empêche d'en guérir.
A mesure que la mémoire s'affaiblit, les éloges qu'on nous a prodigués s'effacent au profit des blâmes. Et c'est justice : les premiers, on les a rarement mérités, alors que les seconds jettent quelque clarté sur ce qu'on ignorait de soi-même.
Je ne voudrais pas perdre ma raison. Mais il y a tant de vulgarité à la garder !
Il n'est pas élégant d'abuser de la malchance ; certains individus, comme certains peuples, s'y complaisent tant, qu'ils déshonorent la tragédie.
La vie n'est possible que par les déficiences de notre imagination et de notre mémoire.
S'il est vrai qu'à la mort on redevienne ce qu'on était avant de l'être, n'aurait-il pas mieux valu s'en tenir à la pure possibilité et n'en jamais bouger ? A quoi bon ce crochet ? Quand on pouvait demeurer pour toujours dans une plénitude irréalisée ?
Le pessimiste doit s'inventer chaque jour d'autres raisons d'exister : c'est une victime du "sens" de la vie.
Le délire est sans conteste plus beau que le doute, mais le doute est plus solide.
Tout désir outrepasse la vie : voilà l'inconvénient de l'être. Le développement de la pensée est une variation sur le thème de cet inconvénient.
Nous sommes tous dans l'erreur, les humoristes exceptés. Eux seuls ont percé comme en se jouant l'inanité de tout ce qui est sérieux et même de tout ce qui est frivole.
Dieu est une maladie dont on se croit guéri parce que plus personne n'en meurt et dont on est surpris, de temps en temps, de constater qu'elle est toujours là.
Pour entrevoir l'essentiel, il ne faut exercer aucun métier. Rester toute la journée allongé, et gémir...
La vie est le roman de la matière.
Je ne me pardonne pas d'être né. C'est comme si, en m'insinuant dans ce monde, j'avais profané un mystère, trahi quelque engagement de taille, commis une faute d'une gravité sans nom.
La barbarie est accessible à quiconque : il suffit d'y prendre goût.
L'homme est un animal surmené.
... devenir métaphysiquement étrangers.
Les abouliques, laissant les idées telles quelles, devraients seuls y avoir accès. Quand les affairés s'en emparent, la douce pagaille quotidienne s'organise en tragédie.
Il n'y a qu'un remède au désespoir : c'est la prière - la prière qui peut tout, qui peut même créer Dieu...
N'est profond, n'est véritable que ce que l'on cache. D'où la force des sentiments vils.
Sans le suicide la vie serait à mon avis insupportable. On n'a pas besoin de se tuer. On a besoin de savoir qu'on peut se tuer. Cette idée est exaltante. Elle vous permet de supporter tout.
Si l'on pouvait se voir avec les yeux des autres, on disparaîtrait sur-le-champ.
J'ai toujours pensé que Diogène avait subi, dans sa jeunesse, quelque déconvenue amoureuse : on ne s'engage pas dans la voie du ricanement sans le concours d'une maladie vénérienne ou d'une boniche intraitable.
Le vrai bonheur serait de se souvenir du présent.
Je ne suis moi-même qu'au dessus ou en dessous de moi, dans la rage ou dans l'abattement : à mon niveau habituel, j'ignore que j'existe.
Quand nous sommes à mille lieues de la poésie, nous y participons encore par ce besoin subit de hurler, - dernier stade du lyrisme.
Les douleurs imaginaires sont de loin les plus réelles, puisqu'on en a un besoin constant et qu'on les invente parce qu'il n'y a pas moyen de s'en passer.
Penser, c'est méditer le désastre.
C'est l'usage du concept qui nous rend maîtres de nos frayeurs. Nous disons : la Mort - et cette abstraction nous dispense d'en ressentir l'infini et l'horreur.
... un rien de plein...
Dans un monde sans mélancolie, les rossignols se mettraient à roter.
La seule chose qui élève l'homme au-dessus de l'animal est la parole ; et c'est elle aussi qui le met souvent au-dessous.
Avec du sarcasme, on peut seulement masquer ses blessures, sinon ses dégoûts.
Pour moi tout ce qui est gain est en même temps une perte. Et ainsi le progrès s'annule lui-même. Chaque fois que l'homme fait un pas en avant il perd quelque chose.
Dans les épreuves cruciales, la cigarette nous est d'une aide plus efficace que les évangiles.
La pâleur nous montre jusqu'où le corps peut comprendre l'âme.
Le tact, vice terrien, préjugé des civilisations enracinées, instinct du protocole.
Evolution : Prométhée, de nos jours, serait un député de l'opposition.
Mais que savons-nous de Dieu, sinon qu'il est un désespoir qui commence là où finissent tous les autres.
Un patrimoine bien à nous : les heures où nous n'avons rien fait... Ce sont elles qui nous forment, qui nous individualisent, qui nous rendent dissemblables.