Images
Sans moyens de défense contre la musique, force m'est d'en subir le despotisme et, suivant son bon plaisir, d'être dieu ou loque.
Emil Cioran
L'intérêt que nous portons au Temps émane d'un snobisme de l'Irréparable.
Tout est douleur - la formule bouddhique, modernisée, donnerait : Tout est cauchemar.
Tous les hommes cherchent le plaisir, la proposition est vraie, à condition d'y ajouter qu'il en est qui cherchent la douleur et que c'est là aussi une poursuite du plaisir. C'est l'hédonisme à rebours.
L'avantage qu'il y a à se pencher sur la vie et la mort, c'est de pouvoir en dire n'importe quoi.
Sur le plan spirituel, toute douleur est une chance ; sur le plan spirituel seulement.
Nos flottements portent la marque de notre probité ; nos assurances, celle de notre imposture. La malhonnêteté d'un penseur se reconnaît à la somme d'idées précises qu'il avance.
Le plaisir de se calomnier vaut de beaucoup celui d'être calomnié.
Se lever, faire sa toilette et puis attendre quelque variété imprévue de cafard ou d'effroi. Je donnerais l'univers entier et tout Shakespeare pour un brin d'ataraxie.
Si l'amour n'était pas ce mélange insoluble de crime prémédité et d'infinie délicatesse, comme il serait aisé de le réduire à une parole ! Mais les souffrances de l'amour dépassent les tragédies de Job... L'érotisme est une lèpre éthérée...
Ayant ouvert une anthologie de textes religieux, je tombe d'emblée sur ce mot du Bouddha : Aucun objet ne vaut qu'on le désire. - j'ai fermé aussitôt le livre, car, après, que lire encore ?
Je n'aimerais pas qu'on fût équitable à mon endroit : je pourrais me passer de tout, sauf du tonique de l'injustice.
Pouvoir souffrir seul est un grand avantage. Qu'arriverait-il si le visage humain exprimait fidèlement toute la souffrance du dedans, si tout le supplice intérieur passait dans l'expression ?
Je suis requis par la philosophie hindoue, dont le propos essentiel est de surmonter le moi ; et tout ce que je fais et tout ce que je pense n'est que moi et disgrâces du moi.
La musique est le refuge des âmes ulcérées par le bonheur.
Dès que je sors du "je", je m'endors.
Quand on se connaît bien, si on ne se méprise pas totalement, c'est parce que l'on est trop las pour se livrer à des sentiments extrêmes.
L'appesantissement sur la naissance n'est rien d'autre que le goût de l'insoluble poussé jusqu'à l'insanité.
Si l'attachement est un mal, il faut en chercher la cause dans le scandale de la naissance, car naître c'est s'attacher. Le détachement devrait donc s'appliquer à faire disparaître les traces de ce scandale...
La seule manière de supporter revers après revers est d'aimer l'idée même de revers. Si on y parvient, plus de surprises : on est supérieur à tout ce qui arrive, on est une victime invincible.
Chacun est pour soi le seul point fixe de l'univers. Et si quelqu'un meurt pour une idée, c'est qu'elle est son idée, et son idée est sa vie.
Et avec quelle quantité d'illusions ai-je dû naître pour pouvoir en perdre une chaque jour !
Tout est unique - et insignifiant.
Ce qui est terrible, c'est de se plaindre de ses difficultés devant un riche, et l'entendre, lui, se plaindre plus que vous, de sorte qu'à la fin on est obligé de s'apitoyer sur lui. Il faut bien consoler plus chanceux que soi !
La profondeur d'une pensée est fonction du risque que l'on y court. Ou nous mourons en héros de la pensée, ou nous renonçons à penser. Si penser n'est pas un sacrifice, à quoi bon penser encore ?
Une traduction est mauvaise quand elle est plus claire, plus intelligible que l'original. Cela prouve qu'elle n'a pas su en conserver les ambiguïtés, et que le traducteur a tranché : ce qui est un crime.
Je supprimai de mon vocabulaire mot après mot. Le massacre fini, un seul rescapé : Solitude. Je me réveillai comblé.
Je sais que ma naissance est un hasard, un accident risible, et cependant, dès que je m'oublie, je me comporte comme si elle était un événement capital, indispensable à la marche et à l'équilibre du monde.
... la volupté d'être épave...
Eût-il tous les mérites, un ambitieux ne peut être honnête qu'à la surface. N'ayez confiance que dans les indifférents.
Pensent profondément ceux-là seuls qui n'ont pas le malheur d'être affligés du sens du ridicule.
L'on ne ressent jamais plus douloureusement l'irréversibilité du temps que dans le remords. L'irréparable n'est que l'interprétation morale de cette irréversibilité.
Il n'y a rien de plus mystérieux que l'épaisseur d'un corps.
N'est révolutionnaire que celui qui met en cause le fait même d'exister ; tous les autres, l'anarchiste en tête, pactisent avec l'ordre établi.
Les larmes ne sont chaudes que dans la solitude.
Que de tracas pour s'installer dans le désert ! Plus malins que les premiers ermites, nous avons appris à le chercher en nous-mêmes.
... à quelques criminels près, tout le monde aspire à avoir une âme publique, une âme-affiche.
Tout commentaire d'une oeuvre est mauvais ou inutile, car tout ce qui n'est pas discret est nul.
N'est pas humble celui qui se hait.
Toute expérience profonde se formule en terme de physiologie.
Une interrogation ruminée indéfiniment vous sape autant qu'une douleur sourde.
L'interminable est la spécialité des indécis.
Je passe mon temps à conseiller le suicide par écrit et à le déconseiller par la parole. C'est que dans le premier cas il s'agit d'une issue philosophique ; dans le second, d'un être, d'une voix, d'une plainte...
Chercher un sens à quoi que ce soit est moins le fait d'un naïf que d'un masochiste.
Où sont mes sensations ? Elles se sont évanouies en moi, et ce moi qu'est-il, sinon la somme de ces sensations évaporées ?
Au contact des Français, on apprend à être malheureux gentiment.
Avoir commis tous les crimes, hormis celui d'être père.
On s'accommoderait aisément des chagrins, si la raison ou le foie n'y succombait.
Il est inélégant de se plaindre de la vie tant qu'on peut s'aménager une heure de solitude par jour.
Il faut savoir souffrir jusqu'au bout, jusqu'au moment où on cesse de croire à sa souffrance.