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On est et on demeure esclave aussi longtemps que l'on n'est pas guéri de la manie d'espérer.
Emil Cioran
On peut supporter n'importe quelle vérité, si destructrice soit-elle, à condition qu'elle tienne lieu de tout, qu'elle compte autant de vitalité que l'espoir auquel elle s'est substituée.
Toutes les eaux sont couleur de noyade.
Ces enfants dont je n'ai pas voulu, s'ils savaient le bonheur qu'ils me doivent !
Le secret de l'Histoire, c'est le refus du salut.
Je viens d'écrire une apologie de la haine. Mais au fond ce que j'entends par haine, c'est un mouvement de désespoir, c'est la noirceur du désespoir, état purement subjectif qui n'a rien à voir avec la volonté de nuire, avec l'acharnement contre autrui.
Le savoir, ayant irrité et stimulé notre appétit de puissance, il nous conduira inexorablement à notre perte.
La solitude n'apprend pas à être seul, mais le seul.
Qui sait si chacun de nous n'aspire au privilège de tuer tous ses semblables ? Mais ce privilège est départi à très peu de gens.
Un texte expliqué n'est plus un texte. On vit avec une idée, on ne la désarticule pas ; on lutte avec elle, on n'en décrit pas les étapes.
On a d'autant plus de prise sur ce monde qu'on s'en éloigne, qu'on n'y adhère pas. Le renoncement confère un pouvoir infini.
Le bon dramaturge doit posséder le sens de l'assassinat ; depuis les Elisabéthains, qui sait encore tuer ses personnages ?
Les stoïciens ont raison en théorie. En pratique, tout joue contre eux.
Le combat que se livrent en chaque individu le fanatique et l'imposteur est cause que nous ne savons jamais à qui nous adresser.
Ainsi, Hegel est un Héraclite qui a lu Kant ; et notre Ennui, un éléatisme affectif, la fiction de la diversité démasquée et révélée au coeur...
Pourquoi nous retirer et abandonner la partie, quand il nous reste tant d'êtres à décevoir ?
Quand la coutume de regarder les choses en face tourne à la manie, on pleure le fou qu'on a été et qu'on n'est plus.
Tant qu'on envie la réussite de qui que ce soit, fût-ce d'un dieu, on est un vil esclave comme tout le monde.
La vie se crée dans le délire et se défait dans l'ennui.
Vie, pseudonyme de Dieu
La multiplication de nos semblables confine à l'immonde ; le devoir de les aimer, au saugrenu. Il n'empêche que toutes nos pensées sont contaminées par la présence de l'humain, qu'elles sentent l'humain, et qu'elles n'arrivent pas à s'en dégager.
Puisqu'on ne se souvient que des humiliations et des défaites, à quoi donc aura servi le reste ?
L'éternité est la serre où Dieu se fane depuis les commencements, et l'homme, de temps en temps, par la pensée.
Après une bonne querelle, on se sent plus léger et plus généreux qu'avant.
Vivre à même l'éternité, c'est vivre au jour le jour.
L'Ennui nivelle les énigmes : c'est une rêverie positiviste...
On n'est soi qu'en mobilisant tous ses travers, qu'en se solidarisant avec ses faiblesses, qu'en suivant sa "pente". Dès qu'on cherche son "chemin", et qu'on s'impose quelque modèle noble, on se sabote, on s'égare...
Un livre qui, après avoir tout démoli, ne se démolit pas lui-même, nous aura exaspérés en vain.
Tout mot me fait mal. Combien pourtant il me serait doux d'entendre des fleurs bavarder sur la mort !
Comme l'honnêteté n'a ni biographie ni charme ..., le seul éclat du déshonneur a amusé et intrigué.
Rien ne surpasse en gravité les vilenies et les grossièretés que l'on commet par timidité.
La sagesse ? Subir dignement l'humiliation que nous infligent nos trous.
Contaminés par la superstition de l'acte, nous croyons que nos idées doivent aboutir.
Chacun croit qu'il poursuit seul la vérité, et que les autres sont incapables de la rechercher et ne méritent pas de l'atteindre.
La folie n'est peut-être qu'un chagrin qui n'évolue plus.
On ne devient invulnérable que par l'ascèse, c'est-à-dire en se refusant tout. C'est alors seulement que le monde ne peut plus rien sur nous.
En fin de compte nous ne sommes là que pour nous moquer de l'univers.
Un éclat de rire sinistre accompagne alors chacun de vos gestes.
A mesure que l'art s'enfonce dans l'impasse, les artistes se multiplient. Cette anomalie cesse d'en être une, si l'on songe que l'art, en voie d'épuisement, est devenu à la fois impossible et facile.
Nous sommes nés pour exister, non pour connaître ; pour être, non pour nous affirmer.
Ni mon intelligence, ni mes moyens d'expression ne sont à la hauteur de ma faculté de sentir, je veux dire de mes tortures.
Nous n'avouons nos chagrins à un autre que pour le faire souffrir, pour qu'il les prenne à son compte. Si nous voulions nous l'attacher, nous ne lui ferions part que de nos tourments abstraits, les seuls qu'accueillent avec empressement tous ceux qui
... chacun engendre son propre ennemi.
Le vrai contact entre les êtres ne s'établit que par la présence muette, par l'apparente non-communication, par l'échange mystérieux et sans parole qui ressemble à la prière intérieure.
On ne devrait écrire des livres que pour y dire des choses qu'on n'oserait confier à personne.
Dans la carrière d'un esprit qui a liquidé préjugé après préjugé, survient un moment où il lui est tout aussi aisé de devenir un saint qu'un escroc en tout genre.
Je suis renversé par la quantité de livres qui ne me disent rien, qui ne me regardent pas, et auxquels il m'est impossible de reconnaître une valeur objective. Je sais qu'ils n'auraient pas dû être écrits.
... la haine équivaut à un reproche que l'on n'ose se faire à soi, à une intolérance à l'égard de notre idéal incarné dans autrui.
Les instants se suivent les uns les autres ; rien ne leur prête l'illusion d'un contenu ou l'apparence d'une signification ; ils se déroulent ; leur cours n'est pas le nôtre ; nous en contemplons l'écoulement, prisonniers d'une perception stupide.
On ne désire la mort que lorsqu'on se porte à peu près bien, on la redoute dès qu'on est tant soit peu malade.