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La création est une préservation temporaire des griffes de la mort.
Emil Cioran
Le Français sait qu'il est intelligent ; de là viennent tous ses défauts.
Malheur au livre qu'on peut lire sans s'interroger tout le temps sur l'auteur !
Ne se suicident que les optimistes, les optimistes qui ne peuvent plus l'être. Les autres, n'ayant aucune raison de vivre, pourquoi en auraient-ils de mourir ?
L'homme est apparu trop tard. En soi, cela n'est pas si grave. Mais pour les illusions auxquelles nous avons naturellement droit, c'est une catastrophe.
Tout ce qui nous gêne nous permet de nous définir. Sans infirmités, point de conscience de soi.
Je dois me fabriquer un sourire, m'en armer, me mettre sous sa protection, avoir quoi interposer entre le monde et moi, camoufler mes blessures, faire enfin l'apprentissage du masque.
La lucidité complète, c'est le néant.
Rien ne gêne tant la continuité de la réflexion que de ressentir la présence physique du cerveau. C'est là peut-être la raison pourquoi les fous ne pensent que par éclairs.
S'il n'est pas réconfortant, il est en tout cas flatteur de penser qu'on mourra sans avoir donné toute sa mesure.
Qu'est-ce qu'une crucifixion unique, auprès de celle, quotidienne, qu'endure l'insomniaque ?
Plus on vit, moins il semble utile d'avoir vécu.
... la pensée de la mort aide à tout, sauf à mourir !
... l'art de vivre ... consiste dans l'expérience intégrale du présent.
Les événements sinistres - ou grotesques - exigent le lieu commun, le terrible, comme le pénible, ne s'accomodant que du cliché.
Lorsque rien ne vous lie à un lieu, quels regrets aurait-on dans les instants derniers.
"Depuis que je suis au monde" - ce depuis me paraît chargé d'une signification si effrayante qu'elle en devient insoutenable.
Ne regarde ni en avant ni en arrière, regarde en toi-même, sans peur ni regret. Nul ne descend en soi tant qu'il demeure dans la superstition du passé et de l'avenir.
Il fut un temps où le temps n'était pas encore. Le refus de la naissance n'est rien d'autre que la nostalgie de ce temps d'avant le temps.
Depuis des années, sans café, sans alcool, sans tabac ! Par bonheur, l'anxiété est là, qui remplace utilement les excitants les plus forts.
Je crois au salut de l'humanité, à l'avenir du cyanure...
Sans nos doutes sur nous-mêmes, notre scepticisme serait lettre morte, inquiétude conventionnelle, doctrine philosophique.
Donnez un but précis à la vie : elle perd instantanément son attrait.
Tout ce que je sais à 60 ans, je le savais déjà à vingt. Quarante ans d'un long et pénible travail de vérification.
Sur le même sujet, sur le même événement, il se peut que je change d'opinion dix, vingt, trente fois dans l'espace d'une journée. Et dire qu'à chaque coup, comme le dernier des imposteurs, j'ose prononcer le mot de "vérité" !
Notre mal ? Des siècles d'attention au temps, d'idolâtrie du devenir.
Qu'un sort clément nous dispense de notre raison ! Point d'issue tant de l'intellect demeure attentif aux mouvements du coeur, tant qu'il ne s'en désaccoutume pas !
L'écharde dans la chair, non le poignard dans la chair. Telle m'apparaît la conscience.
De tous les hommes, le héros est celui qui pense le moins à la mort. Pourtant, nul n'y aspire, d'une façon inconsciente, il est vrai, autant que lui. Ce paradoxe définit sa condition : volupté de mourir, sans le sentiment de la mort.
Pascal, Dostoïevski, Nietzsche, Baudelaire - tous ceux dont je me sens près ont été des malades.
Extraordinaire et nul ces deux adjectifs s'appliquent à un certain acte, et, par suite, à tout ce qui en résulte, à la vie en premier lieu.
Le cynisme de l'extrême solitude est un calvaire qu'atténue l'insolence.
Tout homme promet tout, mais tout homme vit pour connaître la fragilité de son étincelle et le manque de génialité de la vie.
Depuis deux mille ans, Jésus se venge sur nous de n'être pas mort sur un canapé.
Tout triomphe a quelque chose de profondément abject, si l'on en juge d'après la gueule du triomphateur.
... un peuple qui est un tourment pour lui-même est un peuple malade.
On voudrait parfois être cannibale, moins pour le plaisir de dévorer tel ou tel que pour celui de le vomir.
On n'habite pas un pays, on habite une langue. Une patrie, c'est cela et rien d'autre.
Je ne crois pas avoir raté une seule occasion d'être triste.
... un enfer trop parfait est presque aussi stérile que le paradis.
Toute idée est une exagération. Penser, c'est exagérer.
Tout pessimiste est un humoriste.
Je n'ai pas d'idées - mais des obsessions.
Un homme qui se respecte n'a pas de patrie. Une patrie, c'est de la glu.
Nulle différence entre l'être et le non-être, si on les appréhende avec une égale intensité.
Quand je crie : Seigneur ! Il existe l'espace de mon cri. Cela suffit : que puis-je souhaiter de plus ?
La souffrance est un état de solitude intérieure que rien d'extérieur ne peut soulager.
On appelle injustement imaginaires des maux qui ne sont que trop réels au contraire, puisqu'ils procèdent de notre esprit, seul régulateur de notre équilibre et de notre santé.
Toute idée féconde tourne en pseudo-idée, dégénère en croyance. Il n'est guère qu'une idée stérile qui conserve son statut d'idée.
La philosophie sert d'antidote à la tristesse. Et beaucoup croient encore à la profondeur de la philosophie.