Images
Les "vérités", nous ne voulons plus en supporter le poids, ni en être dupes ou complices. Je rêve d'un monde où l'on mourrait pour une virgule.
Emil Cioran
Il ne faudrait jamais blesser personne : comment faire ? En ne se manifestant pas. Car tout acte blesse quelqu'un. Par l'abstention on épargne tout le monde.
Tout absolu - personnel ou abstrait - est une façon d'escamoter les problèmes.
L'historien qui se mêle de juger le passé fait du journalisme dans un autre siècle.
Mot de mon frère à propos des troubles et des maux qu'endure notre mère : La vieillesse est l'autocritique de la nature.
Les enfants qui ne rougissent pas de la médiocrité de leurs parents sont irrévocablement condamnés à la médiocrité. Rien n'est plus stérilisant que d'admirer ses géniteurs.
Une larme a toujours des sources plus profondes qu'un sourire.
Le degré d'inhumanité d'une religion en garantit la force et la durée : une religion libérale est une moquerie ou un miracle.
La seule utilité des enterrements, c'est de nous permettre de nous réconcilier avec nos ennemis.
La hantise de la naissance, en nous transportant avant notre passé, nous fait perdre le goût de l'avenir, du présent et du passé même.
Les nuits où nous avons dormi sont comme si elles n'avaient jamais été. Restent seules dans notre mémoire celles où nous n'avons pas fermé l'oeil : nuit veut dire nuit blanche.
Tout homme qui a une conviction, quelle qu'elle soit, a un dieu ; que dis-je, il croit en Dieu. Car toute conviction postule l'absolu ou y supplée.
S'ennuyer c'est chiquer du temps.
Le grand art est de savoir parler de soi sur un ton impersonnel. (Le secret des moralistes).
Toutes les doctrines d'action et de combat, avec leur appareil et leurs schémas, ne furent inventées que pour donner aux hommes bonne conscience, en leur permettant de se haïr... noblement, sans gêne ni remords.
Je donnerais tous les paysages du monde pour celui de mon enfance.
Point de musique véritable qui ne nous fasse palper le temps.
Je m'intéresse à n'importe qui sauf aux autres.
Immoralité de l'amour : on ne saurait médire sans injustice d'un sentiment qui a survécu au romantisme et au bidet.
La mort pose un problème qui se substitue à tous les autres. Quoi de plus funeste à la philosophie, que la croyance naïve en la hiérarchie des perplexités ?
Si on me demandait de résumer le plus brièvement possible ma vision des choses, de la réduire à son expression la plus succincte, je mettrais à la place des mots un point d'exclamation, un ! définitif.
Le paradis n'était pas supportable, sinon le premier homme s'en serait accommodé ; ce monde ne l'est pas davantage, puisqu'on y regrette le paradis ou l'on en escompte un autre. Que faire ? où aller ? Ne faisons rien et n'allons nulle part, tout simplement.
La société libérale, éliminant le mystère, l'absolu, l'ordre et n'ayant pas plus de vraie métaphysique que de vraie police, rejette l'individu sur lui même, tout en l'écartant de ce qu'il est, de ses propres profondeurs.
Pour être heureux, il faudrait constamment avoir à l'esprit l'image des malheurs auxquels on a échappé. Ce serait là pour la mémoire une façon de se racheter, vu que, ne conservant d'ordinaire que les malheurs survenus, elle s'emploie à saboter le bo
La négation ne sort jamais d'un raisonnement, mais d'on ne sait quoi d'obscur et d'ancien. Les arguments viennent après, pour la justifier et l'étayer. Tout non surgit du sang.
Celui qui redoute le ridicule n'ira jamais loin en bien ni en mal, il restera en deçà de ses talents, et lors même qu'il aurait du génie, il serait encore voué à la médiocrité.
La pensée n'est jamais innocente. C'est parce qu'elle est sans pitié, c'est parce qu'elle est agression, qu'elle nous aide à faire sauter nos entraves.
Si les après-midi dominicales étaient prolongées pendant des mois, où aboutirait l'humanité ?
La passion de la musique est en elle-même un aveu. Nous en savons plus long sur un inconnu qui s'y adonne que sur quelqu'un qui y est insensible et que nous approchons tous les jours.
L'envie de prier n'a rien à voir avec la foi. Elle émane d'un accablement spécial, et durera autant que lui, quand bien même les dieux et leurs souvenirs disparaîtraient à jamais.
Personne ne peut sauver la jeunesse de ses chagrins.
'Ne juge personne avant de te mettre à sa place." Ce vieux proverbe rend tout jugement impossible, car nous ne jugeons quelqu'un que parce que justement nous ne pouvons nous mettre à sa place.
Un pauvre type qui sent le temps, qui en est victime, qui en crève, qui n'éprouve rien d'autre, qui est temps à chaque instant, connaît ce qu'un métaphysicien ou un poète ne devine qu'à la faveur d'un effondrement ou d'un miracle.
On a beau dire, la mort est ce que la nature a trouvé de mieux pour contenter tout le monde.
La dignité de l'amour tient dans l'affection désabusée qui survit à un instant de bave.
Virus de la prose, le style poétique la désarticule et la ruine : une prose poétique est une prose malade.
Il est impossible d'accepter d'être jugé par quelqu'un qui a moins souffert que nous. Et comme chacun se croit un Job méconnu...
Chaque fois que cela ne va pas et que j'ai pitié de mon cerveau, je suis emporté par une irrésistible envie de proclamer. C'est alors que je devine de quel piètres abîmes surgissent réformateurs, prophètes et sauveurs.
Tout compte fait, la vie est une chose extraordinaire.
Etre appelé déicide, c'est l'insulte la plus flatteuse qu'on puisse adresser à un individu ou à un peuple.
La clairvoyance est le seul vice qui rendre libre, libre dans un désert.
Un moine et un boucher se bagarrent à l'intérieur de chaque désir.
Un silence abrupt au milieu d'une conversation nous ramène soudain à l'essentiel : il nous révèle de quel prix nous devons payer l'invention de la parole.
Quand on usé l'intérêt que l'on prenait à la mort, et qu'on se figure n'avoir plus rien à en tirer, on se replie sur la naissance, on se met à affronter un gouffre autrement inépuisable.
La vieillesse, en définitive, n'est que la punition d'avoir vécu.
L'échec, toujours essentiel, nous dévoile à nous-mêmes, il nous permet de nous voir comme Dieu nous voit.
J'aimerais me déchaîner et fulminer, entreprendre une action sans précédent pour me décrisper, mais je ne vois pas contre qui ni contre quoi...
Etre, c'est être coincé.
Il n'est pas d'état mélancolique sans cette ascension, sans une expansion vers les cimes, sans une élévation au dessus du monde.
En paix avec lui-même et avec le monde, l'esprit s'étiole. Il s'épanouit à la moindre contrariété. La pensée n'est en somme que l'exploitation éhontée de nos gênes et de nos disgrâces.