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Ne dure que ce qui a été conçu dans la solitude, face à Dieu, que l'on soit croyant ou non.
Emil Cioran
L'esprit qui met tout en question en arrive, au bout de mille interrogations, à une veulerie quasi totale, à une situation que le veule précisément connaît d'emblée, par instinct. Car la veulerie, qu'est-elle sinon une perplexité congénitale ?
L'homme accepte la mort, mais non l'heure de sa mort. Mourir n'importe quand, sauf quand il faut que l'on meure.
J'aimerais être libre, éperdument libre. Libre comme un mort-né.
On peut dire tout ce qu'on veut, il est impossible de vivre sans aucun espoir. On en garde toujours un, à son insu, et cet espoir inconscient compense tous les espoirs qu'on a rejetés ou perdus.
Si loin s'étend la mort, tant elle prend de place, que je ne sais plus où mourir.
L'esprit n'avance que s'il a la patience de tourner en rond, c'est-à-dire d'approfondir.
L'espoir est une vertu d'esclaves.
"Après moi le déluge" est la devise inavouée de tout un chacun : si nous admettons que d'autres nous survivent, c'est avec l'espoir qu'ils en seront punis.
Quelques générations encore, et le rire, réservé aux initiés, sera aussi impraticable que l'extase.
Un croyant qui a perdu la foi, la grâce, pourrait à juste titre accuser Dieu de trahison.
Si les impuissants savaient combien la nature fut maternelle pour eux, ils béniraient le sommeil des glandes et le vanteraient aux coins des rues.
Les penseurs de première main méditent sur des choses ; les autres, sur des problèmes. Il faut vivre face à l'être, non à l'esprit.
C'est à la faveur du cafard que nous nous souvenons de nos goujateries lointaines que nous avions reléguées au plus lointain, au plus bas de notre mémoire. Le cafard est l'archéologie de nos hontes.
L'on ne peut goûter à la saveur des jours que si l'on se dérobe à l'obligation d'avoir un destin.
Ce que nous sommes et ce que nous avons été, nous ne pouvons plus l'être.
L'inaction est divine. C'est pourtant contre elle que l'homme s'est insurgé. Lui seul, dans la nature, est incapable de supporter la monotonie, lui seul veut à tout prix que quelque chose arrive, n'importe quoi. Par là, il se montre indigne de son an
Entre une gifle et une indélicatesse, on supporte toujours mieux la gifle.
Plus rien à poursuivre, sinon la poursuite du rien. La Vérité ? Une marotte d'adolescents, ou un symptôme de sénilité.
L'excès de vérité envers soi-même est incompatible avec l'action. Il est même néfaste.
On ne détruit pas, on se détruit.
S'il entre dans la lucidité tant d'ambiguïté et de trouble, c'est qu'elle est le résultat du mauvais usage que nous avons fait de nos veilles.
Le renoncement est la seule variété d'action qui ne soit pas avilissante.
Quiconque n'est pas mort jeune mérite de mourir.
Dire que tant et tant ont réussi à mourir !
Vivons donc puisque le monde est dépourvu de sens !
Les pauvres, à force de penser à l'argent, et d'y penser sans arrêt, en arrivent à perdre les avantages spirituels de la non-possession et à descendre aussi bas que les riches.
La vie est supportable uniquement parce que l'on ne va pas jusqu'au bout.
La timidité, source inépuisable de malheurs dans la vie pratique, est la cause directe, voire unique de toute richesse intérieure.
Le Temps, fécond en ressources, plus inventif et plus charitable qu'on ne pense, possède une remarquable capacité de nous venir en aide, de nous procurer à toute heure quelque humiliation nouvelle.
Rater sa vie, c'est accéder à la poésie - sans le support du talent.
Ne comprend vraiment la religion, que celui-là seul qui, s'il écoutait son instinct le plus profond, pousserait un "au secours" si fort, si dévastateur, qu'aucun dieu n'y survivrait.
Orgueil moderne : j'ai perdu l'amitié d'un homme que j'estimais, pour m'être acharné à lui répéter que j'étais plus dégénéré que lui...
Tous ces peuples étaient grands, parce qu'ils avaient de grands préjugés. Ils n'en ont plus. Sont-ils encore des nations ? Tout au plus des foules désagrégées.
La malchance est le produit du hasard ; c'est l'expression de la volonté du sort - sur laquelle, nous-mêmes issus du hasard et misérables prétextes d'un échec temporel, nous n'avons aucune prise.
Toute amitié est un drame inapparent, une suite de blessures subtiles.
Quand quelqu'un se plaint que sa vie n'a pas abouti, on n'a qu'à lui rappeler que la vie elle-même est dans une situation analogue, sinon pire.
Compter en vain sur l'aubaine d'être seul. Toujours escorté par soi-même !
Et nous parlons tous. Nous nous trahissons, nous exhibons notre coeur ; bourreau de l'indicible, chacun s'acharne à détruire tous les mystères, en commençant par les siens.
... songerie géologique.
La lucidité sans le correctif de l'ambition conduit au marasme. Il faut que l'une s'appuie sur l'autre, que l'une combatte l'autre sans la vaincre, pour qu'une oeuvre, pour qu'une vie soit possible.
Tant qu'on vit en deçà du terrible, on trouve des mots pour l'exprimer ; dès qu'on le connaît du dedans, on n'en trouve plus aucun.
Qui ne voit pas la mort en rose est affecté d'un daltonisme du coeur.
Expliquer quoi que ce soit par Dieu, c'est céder à une solution de facilité. Dieu n'explique rien, c'est là sa force.
Malheur à l'incroyant qui, face à ses insomnies, ne dispose que d'un stock réduit de prières !
Si une seule fois tu fus triste sans motif, tu l'as été toute ta vie sans le savoir.
Le désir de paraître subtil ne nuit pas à la subtilité. Un débile mental, s'il pouvait ressentir l'envie d'épater, réussirait à donner le change et même à rejoindre l'intelligence.
Ce n'est pas la peine de se tuer, puisqu'on se tue toujours trop tard.
Les gens ne s'intéressent qu'à ce que nous cachons.
Les critiques sont les maquereaux de la littérature.