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Car une fois choisie la seule action raisonnable, savoir s'enfuir au bout du monde, tout le problème était de s'en tenir là, de ne plus bouger, de ne plus agir, de ne pas accomplir autrement qu'en pensée le mouvement inverse.
Emmanuel Carrère
Sans me vanter, je suis exceptionnellement doué pour faire d'une vie qui aurait tout pour être heureuse un véritable enfer, et je ne laisserai personne parler de cet enfer-là à la légère : Il est réel, terriblement réel.
Il dit : "Le côté social était faux, mais le côté affectif était vrai." Il dit qu'il était un faux médecin mais un vrai mari et un vrai père, qu'il aimait de tout son coeur sa femme et ses enfants et qu'eux l'aimaient aussi.
Je me sentais impuissant, exilé dans cette banlieue de la vie qu'est un mariage malheureux, voué à un long et morose enlisement.
Est-ce que l'adulte qui fait une grande carrière dans le monde trahit l'adolescent intransigeant qu'il a été ? Est-ce qu'il y a un sens à se faire un idéal de l'enfance et à passer sa vie à se lamenter parce qu'on en a perdu l'innocence ?
Je savais, après avoir tué Florence, que j'allais tuer aussi Antoine et Caroline et que ce moment, devant la télévision, était le dernier que nous passions ensemble. Je les ai câlinés. J'ai dû leur dire des mots tendres, comme "Je vous aime." Cela m'arrivait souvent, et ils y répondaient souvent par des dessins. Même Antoine qui ne savait pas encore bien écrire savait écrire "Je t'aime".
Ce que je voulais le plus au monde, c'était cela : être conduit là où je ne voulais pas aller.
J'aimerais que vous compreniez que je ne viens pas à vous poussé par une curiosité malsaine ou par le goût du sensationnel. Ce que vous avez fait n'est pas à mes yeux le fait d'un criminel ordinaire, pas celui d'un fou non plus, mais celui d'un homme poussé à bout par des forces qui le dépassent, et ce sont ces forces terribles que je voudrais montrer à l'oeuvre.
Ne pas les juger, ses propres pensées, pas plus que son prochain. Les prendre pour ce qu'elles sont, les voir comme elles sont. Oui, c'est une troisième, et peut-être la plus juste, définition de la méditation : voir ses pensées comme elles sont. Voir les choses comme elles sont.
Comme c'est fragile, la vie !
On est toujours content quand les gens qui nous aiment relèvent nos travers comme des raisons supplémentaires de nous aimer.
Dire à un mélancolique que le bonheur est une décision, c'est comme dire à un affamé qu'il n'a qu'à manger de la brioche.
A un certain moment, c'est ne penser qu'à soi qui est le plus humain.
Les chrétiens sont les seuls dont il semble qu'on ait le droit de se moquer impunément, en mettant les rieurs de son côté.
C'est le propre de la dépression : on ne peut pas croire qu'un jour on ira mieux.
J'ai tendance à penser qu'on fait toujours oeuvre utile et bienfaisante en faisant état de sa propre misère, parce que nous avons tous en commun d'être absolument misérables. On boîte tous.
C'est un thème récurrent, je l'ai observé dans les foyers catholiques : l'humour du prêtre ; les blagues de prêtre : rien que d'y penser, j'en ai le frisson.
Il y a à l'intérieur de chacun de nous une fenêtre qui donne sur l'enfer, nous faisons ce que nous pouvons pour ne pas nous en approcher, et moi j'ai de mon propre chef passé sept ans de ma vie devant cette fenêtre, médusé.
Un petit garçon ou une petite fille qui prononce le mot "papa" devrait être certain que Papa est un héros, un preux, et un père qui n'est pas capable d'apparaître ainsi aux yeux de ses enfants n'est pas digne d'être appelé Papa.
Le retournement le plus radical, le plus fou, le plus extravagant, qui va le plus contre tout ce que l'on croit savoir de la vie en société, de la vie humaine, quoi qu'on fasse et deux mille ans après, c'est toujours le christianisme.
Si l'on savait à quoi l'on s'expose, on n'oserait jamais être heureux.
Quand on est pris dans cet engrenage de ne pas décevoir, le premier mensonge en appelle un autre, et c'est toute une vie...
Beaucoup de chrétiens ne mesurent pas l'extravagance de ce en quoi ils croient.
Personne n'a pu se reposer en toute confiance dans mon amour et je ne me reposerai, à la fin, dans l'amour de personne.
J'écris pour devenir un meilleur être humain, c'est vrai, j'écris parce que j'aime écrire, j'écris par goût du travail bien fait, j'écris parce que c'est ma façon de connaître la réalité. J'écris aussi pour être célèbre et admiré, ce qui n'est certainement pas le meilleur moyen de devenir un meilleur être humain. Mon travail est le bastion de mon ego.
J'écris ce livre pour ne pas me figurer que j'en sais plus long, ne le croyant plus, que ceux qui le croient et que moi-même quand je le croyais. J'écris ce livre pour ne pas abonder dans mon sens.
Être sage, c'est quand on se trouve devant une montagne voir cette montagne, et rien d'autre. Une vie, en principe, n'y suffit pas.
Je suis un assassin, j'ai l'image la plus basse qui puisse exister dans la société, mais c'est plus facile à supporter que les vingt ans de mensonges d'avant.
L'écriture, c'est le lieu de la vérité. La littérature est le lieu où on ne ment pas, c'est l'impératif absolu.
Quand le Christ vient dans son coeur, quand la certitude d'être aimé malgré tout fait couler sur ses joues des larmes de joie, est-ce que ce n'est pas encore l'Adversaire qui le trompe ?
Un ami, un véritable ami, c'est aussi un témoin, quelqu'un dont le regard permet d'évaluer mieux sa propre vie, et chacun depuis vingt ans avait sans faillir, sans grands mots, tenu ce rôle pour l'autre.
Les Russes, pensent Edouard, savent mourir, mais pour ce qui est de l'art de vivre ils sont toujours aussi nuls.
Les gens ne savent pas ce que c'est, la folie. C'est terrible. C'est ce qu'il y a de plus terrible au monde.
Le silence est le pire ennemi des couples. Au contraire, une crise surmontée en commun peut se révéler leur meilleur allié.
Transposons, scénarisons, n'ayons pas peur d'enfoncer le clou.
C'est une chose étrange, quand on y pense, que des gens normaux, intelligents, puissent croire à un truc aussi insensé que la religion chrétienne, un truc exactement du même genre que la mythologie grecque ou les contes de fées.
On croit que c'est un homme qu'on a devant nous, mais en fait ça n'est plus un homme, ça fait longtemps que ça n'est plus un homme. C'est comme un trou noir, et vous allez voir, ça va nous sautez à la gueule. Les gens ne savent pas ce que c'est, la folie. C'est terrible. C'est ce qu'il y a de plus terrible au monde.
Un type qui se trouve tout en bas de l'échelle, humilié de tous, trouve habituellement du réconfort à en trouver un autre encore plus bas que lui, et à l'humilier à son tour.
Soljenitsyne l'avait annoncé : Dès que l'on commencera à dire la vérité, tout s'effondrera.
La rencontre de Dieu est à la maladie mentale ce que la mort est au cancer : l'aboutissement logique d'un processus morbide.
Il est toujours jouissif, quand un petit chef vous brime en disant : c'est comme ça, pas autrement, je n'ai de comptes à rendre à personne, de découvrir qu'il y a au-dessus de lui un grand chef, et qu'en plus ce grand chef vous donne raison.
La pratique du pieux mensonge allait de soi dans cette famille où la règle était de ne mentir jamais.
Le code pénal est ce qui empêche les pauvres de voler les riches et le code Civil ce qui permet aux riches de voler les pauvres.
Ce que les sages de tous les temps désignent comme le secret du bonheur, être ici et maintenant, sans regretter le passé ni s'inquiéter de l'avenir, il le pratiquait spontanément.
Il comprend une chose essentielle, c'est qu'il y a deux espèces de gens : ceux qu'on peut battre et ceux qu'on ne peut pas battre, et ceux qu'on ne peut pas battre, ce n'est pas qu'ils sont plus forts ou mieux entraînés, mais qu'ils sont prêts à tuer.
Une lucidité douloureuse vaut mieux qu'une apaisante illusion.
Un mensonge normalement, sert à recouvrir une vérité, quelque chose de honteux peut-être mais de réel.
Comme ce serait bien tout de même, comme ce serait reposant, quel immense progrès ce serait de faire moins de phrases et de voir davantage. De voir les choses comme elles sont au lieu de plaquer sur cette vision l'espèce de commentaire ininterrompu, subjectif, bavard, partisan, conditionné que nous produisons sans arrêt et sans même nous en rendre compte.
La plupart se croient sur terre pour trouver l'amour, devenir riche, exercer un pouvoir, produire des points de croissance ou laisser son empreinte dans les sables du temps. Les gens qui se savent sur terre pour contempler le ciel, ils sont rares.
L'histoire du christianisme ressemble à un récit de science-fiction.