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Ils sont vieux. J'arrive trop tard dans leur vie. Ils ne savent plus cacher leurs émotions, réguler leurs humeurs, tenir leur langue. J'arrive après la dissimulation, la pudeur, le self-control. Il leur reste les bonnes manières, mais c'est tout juste et sa condition que rien ne soit préalablement venu perturber la monotonie sécuritaire de leur emploi du temps.
Emmanuelle Bayamack-Tam
Une horde, ça finit toujours par resserrer les rangs autour de ses intérêts propres et par faire front contre un ennemi commun – un ennemi déjà terrassé, si possible.
En fait, rien ne s'arrange jamais car ce qui est abîmé l'est une fois pour toutes. La résilience, c'est un conte inventé pour les gogos : ça permet à tout le monde de vivoter tranquillement, les victimes comme les tortionnaires - les uns survivant dans l'espoir inepte d'une amélioration, les autres disposant d'un alibi pour torturer ad libitum.
Avec un lifting, on a l'air d'une vieille au menton pointu ; avec le Botox, on a l'air d'une vieille au front lisse.
Avant-hier est aussi loin que l'Inde ou que la Chine, avant-hier est un vert paradis saccagé par la trahison.
Mords la main qui te nourrit, telle est la devise du serpent que j'ai introduit dans notre foyer.
T'en fais pas, Lolo, ça va aller, ça va aller, mon petit lapin. Tout finit toujours par s'arranger. En fait, rien ne s'arrange jamais car ce qui est abîmé l'est une fois pour toute. La résilience, c'est un conte inventé pour les gogos : ça permet à tout le monde de vivoter tranquillement, les victimes comme les tortionnaire
J'essaie d'expliquer à ma petite amoureuse que le désir n'a jamais attendu la perfection d'un corps ni tenu à la beauté d'un visage.
Si je dois éprouver de la compassion, autant qu'elle aille aux vrais nécessiteux, et pas aux quinquagénaires charismatiques qui ne se réclament de l'amour que pour mieux baiser les jeunettes.
Si on n'aimait que les gens qui le méritent, la vie serait une distribution de prix très ennuyeuse
Quand on aime les femmes, ma chérie, on les aime jeunes, vieilles, minces, grosses !
L'amour est faible, facilement terrassé, aussi prompt à s'éteindre qu'à naître. La haine, en revanche, prospère d'un rien et ne meurt jamais.
En tout cas c'est comme ça avec les vieux, et ils ont bien raison de déserter le présent, qui n'a plus rien à offrir.
Dans ce monde qui n'est que mensonges, je suis peut-être née pour rappeler aux gens les vérités pénibles qu'ils préfèrent ignorer, surtout quand elles les touchent de près.
Regarde, rien que les titres sont tout un programme : seul un homme pouvait écrire Guerre et paix, et seule une femme pouvait écrire Raison et sentiments !
Savent-ils seulement que la plupart des gens meurent d'être exaucés dans leurs vœux ineptes de stabilité, de confort et de sécurité ?
Les romans, la poésie, le théâtre, c'est quand même un bon moyen de connaître des tas de gens, les auteurs, de façon très intime, et sans tout le tralala social qui brouille un peu les cartes.
Aucun adulte ne s'imagine faire son âge : tous sont convaincus qu'on leur donne dix ans de moins.
Dans le monde extérieur, c'est tous contre tous et chacun pour soi – non, même pas : chacun procède d'abord à sa propre tuerie intime, parce qu'il faut être mort avant de partir en guerre.
Je prétends même que mes débuts dans la vie font de moi une spécialiste du nous, contrairement à la plupart des gens qui n'y entravent que dalle et passent toute leur vie sans imaginer qu'on puisse être autre chose que soi. J'ai été nous dès l'enfance, ça aide.
Les adultes admirables, ça se compte sur les doigts de la main et c'est bien le problème.
Dans un monde où les gens n'ont ni gouvernail ni grappin, n'importe qui peut s'improviser capitaine et traîner tous les coeurs derrière lui.
On croit que les gens sont avec nous mais ils n'y sont pas, ils se barricadent dans leur petit for intérieur ou alors ils batifolent dans leurs souvenirs, revenus aux temps heureux où ils étaient jeunes et aimables. En tout cas c'est comme ça avec les vieux, et ils ont bien raison de déserter le présent, qui n'a plus rien à leur offrir.
Non seulement les miroirs contribuent à vos souffrances psychiques, mais je ne vois pas ce que vous cherchez à y apprendre ou à y vérifier ! Ne serait-ce que parce qu'ils ont leur propre réalité géométrique ! Essayez un peu de lever la main gauche devant votre miroir, vous verrez si votre reflet ne lève pas la droite !
L'amour, ça n'arrive qu'une fois, pas deux, et ça n'a de sens que dans la réciprocité et l'honnêteté.
L'un des grands avantages de la négligence parentale, c'est qu'elle habitue les enfants à se tenir pour négligeables. Une fois adultes, ils auront pris le pli et seront d'un commerce aisé, faciles à satisfaire, contents d'un rien.
Hardi mon lecteur, toi qui as emprunté avec moi les chemins sinueux par lesquels l'esprit vient aux filles, toi qui as suivi l'âpre récit de mes commencements, ta patience va être récompensée.
Pour réussir, les gens comme moi doivent se vouer entièrement à leur entreprise, un seul objectif à la fois. En plus, je suis douée pour ça ; la focalisation, la précision, la persévérance, les travaux de longue haleine.
On peut naître à neuf ans, j'en suis la preuve. On peut naître dans l'humiliation et par l'humiliation, dans le sentiment d'une intimité profanée et d'une innocence bafouée.
Rien de tel qu'une enfance compliquée pour vous ôter le goût des complications.
J'ai reçu l'amour en héritage, et avec lui, le devoir d'en divulguer la bonne nouvelle, comme une traînée de poudre incandescente dans une société qui ne veut pas d'amour et encore moins d'incandescence, une société qui préfère être une décharge à ciel ouvert, un gigantesque établissement d'hébergement pour personnes malheureuses et cruellement dépendantes de ce qui les tue.
C'est juste que la vie est trop dure pour moi qui suis trop doux.
Car à quoi bon prêcher l'altruisme à tous crins, le désir ardent, à la grande mansuétude, la bonté, le pardon, si c'est pour renâcler au premier obstacle, au premier demandeur d'asile, au premier migrant noir et désargenté ?
La puberté a oeuvré comme elle le fait parfois, transformant un cygne splendide en un canard boiteux.