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Mais les entreprises ne meurent pas comme les hommes. Ce sont des corps mystiques qui ne périssent jamais
Eric Vuillard
Le soleil est un astre froid. Son coeur, des épines de glace. Sa lumière, sans pardon. En février, les arbres sont morts, la rivière pétrifiée, comme si la source ne vomissait plus d'eau et que la mer ne pouvait en avaler davantage.
La corruption est un poste incompressible du budget des grandes entreprises, cela porte plusieurs noms, lobbying, étrennes, financement des partis.
Il n'a pas voulu voir la vérité en face. Mais, à présent, la voici qui vient à lui, tout près, horrible, inévitable. Et elle lui crache au visage le secret douloureux de ses compromis.
Car on le sait, toutes les misères ont pour chef-lieu l'âme humaine.
Le dénigrement de soi, lorsqu'il paraît franc et brutal, est une façon de faire mal. Il faut être capable de se blesser soi avec beaucoup de cruauté, en usant des arguments les plus justes, si l'on veut vraiment blesser l'autre. Car, au fond, les hommes ont tous mal aux mêmes endroits, ils souffrent des mêmes blessures.
La vraie pensée est toujours secrète, depuis l'origine du monde. On pense par apocope, en apnée. Dessous, la vie s'écoule comme une sève, lente, souterraine
Les conquistadors, en matière de droit, étaient évidemment très frustres. Un coup d'épée suffisait à rompre un accord. Les notaires n'étaient pas si nombreux que les assassins, et les pupitres étaient moins solides que les lames d'acier. Le sang effaçait l'encre. L'évidence d'un profit arasait les promesses
Quand tu discutes avec un adversaire, essaie de te glisser dans sa peau.
Qui a dansé sur le cadavre de la liberté ne peut pas espérer qu'elle vole soudain à son secours !
Et l'histoire est là, déesse raisonnable, statue figée au milieu de la place des Fêtes, avec pour tribut, une fois l'an, des gerbes séchées de pivoines, et en guise de pourboire, chaque jour, du pain pour les oiseaux.
Mais le réveil s'était produit. L'inca était mort, les Espagnols l'avaient tué. Ils ne tenaient aucune de leurs promesses. Le goût de l'or était celui du sang. Exactement le même. Il n'y avait rien à espérer, il était impossible de les émouvoir ou de les corrompre.
Si l'on soulève les haillons hideux de l'Histoire, on trouve cela : la hiérarchie contre l'égalité et l'ordre contre la liberté.
Oh, il devrait bien savoir pourtant que, dans toute partie, il existe un stade critique au-delà duquel il devient impossible de se refaire ; on n'a plus qu'à regarder l'adversaire abattre à poignées ses cartes maîtresses et récolter les plis : les dames, les rois, tout ce qu'on n'a pas su jouer à temps et qu'on a fébrilement gardé en main dans l'espoir de ne pas le perdre.
Dans la vie des affaires, les luttes partisanes sont peu de chose. Politiques et industriels ont l'habitude de se fréquenter.
Le monde cède au bluff. Même le monde le plus sérieux, le plus rigide, même le vieil ordre, s'il ne cède jamais à l'exigence de justice, s'il ne plie jamais devant le peuple qui s'insurge, plie devant le bluff.
Les personnes morales ont leurs avatars, comme les divinités anciennes prenaient diverses formes et, au fil du temps, s'agrégeaient d'autres dieux.
La cervelle est un organe étanche. Les yeux ne trahissent pas la pensée, les mimiques imperceptibles sont illisibles aux autres ; on croirait que le corps entier est un poème dont nous brûlons, et dont nos voisins ne comprennent pas un mot
On voit que l'ingénierie financière sert depuis toujours aux manoeuvres les plus nocives.
On ne tombe jamais deux fois dans le même abîme. Mais on tombe toujours de la même manière, dans un mélange de ridicule et d'effroi. Et on voudrait tant ne plus tomber qu'on s'arc-boute, on hurle.
Et, parfois, la scène semble exister davantage que le monde, elle est plus présente que nos vies, plus émouvante et vraisemblable que la réalité, plus effrayante que nos cauchemars.
Et en réalité, c'est un peu l'effet que nous font les livres. Le temps des mots, compact ou liquide, impénétrable ou touffu, dense, étiré, granuleux, pétrifie les mouvements, méduse
Une entreprise est une personne dont le sang monte à la tête. On appelle cela une personne morale. Leur vie dure bien au-delà des nôtres.
On répète à longueur d'années, dans tous les amphithéâtres possibles, qu'une allure de légalité constitue un premier remède contre l'arbitraire, un peu comme la perruque est un remède contre la calvitie.
La vérité est dispersée dans toute sorte de poussière
Un mot suffit parfois à congeler une phrase, à nous plonger dans je ne sais quelle rêverie ; le temps, lui, n'y est pas sensible
Les plus grandes catastrophes s'annoncent souvent à petits pas.
La nature est un livre pour les illettrés.
On n'ose rien dire. Un être trop poli, trop timide, tout au fond de nous, répond à notre place ; il dit le contraire de ce qu'il faudrait dire.