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L'enfance se termine officiellement quand on ajoute un zéro aux années mais il ne se passe rien, on est dans le même corps de mioche emprunté des étés précédents, troublé à l'intérieur et calme à l'extérieur.
Erri De Luca
Dans chaque espèce, ce sont les solitaires qui tentent de nouvelles expériences. Ils forment un quota expérimental qui va à la dérive. Derrière eux, se referme la trace ouverte.
Je suis un insatisfait du mot espoir, j'essaie de ne pas faire entrer la nostalgie dans mon système nerveux.
A ce moment-là, j'ai dû comprendre que le mal est irrémédiable et qu'il est impossible de réparer un tort quoi que l'on fasse. Le seul remède est de ne pas commettre et ne pas en commettre est en ce monde l'oeuvre la plus ardue et secrète.
J'ai plus de vie passée à regarder la terre, l'eau, les nuages, les murs, les outils, que les visages. Et je les aime.
Mais il a bien dû exister pour moi une heure où j'ai connu de quoi était fait l'envers des solitudes, le contraire de un.
Les souvenirs appartiennent au règne des oiseaux, ils laissent une plume quand ils s'en vont. Grâce à elle, on sait à quelle espèce ils appartiennent.
Un homme est ce qu'il a commis. S'il oublie, c'est un verre renversé, du vide enfermé.
Les prophéties sont des mots qui donnent des ordres à l'avenir.
Pour celui qui boit le soir, les gorgées sont des baisers à toutes les femmes absentes.
Les arbres de montagne écrivent dans l'air des histoires qui se lisent quand on est allongé dessous.
Quand un homme s'arrête pour regarder les nuages, il voit défiler le temps au-dessus de lui, un vent qui enjambe. Alors il faut se remettre debout et le rattraper.
Dieu : le plus grand personnage littéraire de tous les temps.
Celui qui ne rit pas ne peut imaginer le monde.
Je ne crois pas aux écrivains, mais à leurs histoires.
La guerre est la meilleure occasion pour faire des saloperies. Elle donne la permission. En revanche, pour une bonne action, aucune permission n'est nécessaire.
Penser longtemps le texte au lieu de pouvoir l'écrire est le meilleur des tamis.
En mer, c'est pas comme à l'école, il n'y a pas de professeurs. Il y a la mer et il y a toi. Et la mer n'enseigne pas, la mer fait, à sa façon.
Les hommes donnent tant d'importance aux mots, pour eux c'est tout ce qui compte, ce qui a de la valeur.
Elle est belle la pacienza en napolitain car elle met un peu de pace, de paix, dans la patience.
Le verbe aimer était responsable du mariage de mes parents. Ma soeur et moi étions un effet, une des étranges conséquences de la conjugaison.
Je sais maintenant qu'une justice nouvelle, attentive au cas particulier et qui invente sur mesure la sentence, part de la miséricorde pour l'offensé et arrive ainsi à être impitoyable. La miséricorde est implacable et ne se laisse pas étouffer.
Je prends le livre ouvert à la pliure, je me remets à son rythme, à la respiration d'un autre qui raconte.
J'aime l'usage de nos hommes qui pêchent un verset ancien pour s'expliquer au présent. Ils nouent le jour unique au tapis du temps.
Le cerveau de l'homme est un ruminant, il remâche les informations des sens, les combine en probabilités. L'homme est ainsi capable de préméditer le temps, de le projeter. C'est aussi sa damnation, car il en retire la certitude de mourir.
On donne trop d'importance aux mots, il arrive qu'ils contraignent à l'exil, aux prisons ou pire. Ils sont chargés de poids et pourtant ils ne sont que souffle.
L'amour est un échange de fortes étreintes, un besoin de noeuds. Et au bout de chaque étreinte, au bout de cette paix donnée, il reste le non-dit d'un adieu endurci.
Toute notre histoire est une chaussure qui nous détache du sol du monde.
Seul le péril d'amour, dur seulement envers soi-même mais docile pour autrui, entraîne vers une vie nouvelle.
Les livres sont la plus forte contradiction des barreaux. Ils ouvrent le plafond de la cellule du prisonnier allongé sur son lit.
Les enfants ne comprennent pas l'âge, pour eux quarante ou quatre-vingts ans sont un même désastre.
Les femmes font des gestes de coquillage, qui s'ouvre pour expulser comme pour attirer à l'intérieur.
Un ouvrier a la peau foncée sur le visage, la nuque, les mains : le reste c'est de la villégiature.
Un arbre est une alliance entre le proche et le lointain parfait.
Je lis des vieux livres parce que les pages tournées de nombreuses fois et marquées par les doigts ont plus de poids pour les yeux, parce que chaque exemplaire d'un livre peut appartenir à plusieurs vies.
On découvre des horizons aussi dans un microscope, pas seulement du haut d'une montagne.
Les amoureux prient avec un seul mot, un nom.
La foudre est un enfant qui cherche l'âme des jouets à coups de marteau.
Ce soir-là, il avait joué de l'harmonica pour l'assistance. C'était sa façon de rester avec les autres sans répondre aux questions.
Si moi aussi je suis un autre, c'est parce que les livres, plus que les années et les voyages, changent les hommes. Après bien des pages, on finit par apprendre une variante, un geste différent que celui commis et cru inévitable.
Certaines personnes savent, le jour d'avant, qu'elles ont rendez-vous avec lui. Et, malgré cette intuition, elles ne seront pas prêtes. Le bonheur est toujours une embuscade. On est pris par surprise. Le jour d'avant est donc le meilleur.
Nous sommes des rédacteurs de variantes, jamais des auteurs.
Dors, rêve que tu es encore là, que ta vie a encore mon adresse. En rêve, tu pourras toujours y retourner.
Un homme qui change d'avis pour être d'accord avec une femme lui donne la plus belle preuve d'amour.
Quel vide tu m'as laissé, quel espace inutile en moi doit apprendre à se refermer. Mon corps a perdu son centre, à partir de maintenant nous sommes deux détachés, qui peuvent s'embrasser et qui jamais ne redeviendront une seule personne.
La beauté féminine est un mystère qui tourmente la pensée et les sens.
Le monde me pourchasse, même les étoiles sont des chiens sur mes traces.
L'avenir est un serviteur lent, mais fidèle.
La tâche d'un écrivain est aussi de donner au passé une autre possibilité, une autre intelligence.
Je ne peux admettre d'être pardonné, ce qui me laisse en dehors des croyants.