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Les humains, il les observe habituellement dans la lunette de sa carabine, de loin. Les humains, c'est un autre gibier qu'il n'est pas forcément utile de tuer. Détruire peut suffire. Humilier aussi.
Franck Bouysse
Tu penses que c'est une fatalité de ne pas dire les choses importantes tant qu'on peut et de passer le reste de sa vie à regretter de ne pas les avoir dites, ou alors qu'on obéit à un genre d'instinct de préservation de l'espèce ?
Tant de fois il a rêvé d'ailleurs, au fil des pages froissées dans de fiévreuses nuits dévalant des jours sans frissons.
La vertu sans mérite n'est rien d'autre qu'un déguisement de carnaval.
Les distances, dans ce coin-là, c'est du temps, pas des mètres.
C'est un drôle de cadeau, la vie... ça se refuse pas, n'empêche, on se demande parfois si y aurait pas mieux à faire que de l'ouvrir sans savoir ce qu'il y a dedans.
Il se demande si la condition ultime de tout homme, face à une femme, est d'évoluer dans une forme de déséquilibre.
Les hommes appartiennent à ce royaume et pas l'inverse. Ils ont pas la main ici, ils sont comme des épouvantails éventrés qui font plus peur à personne. C'est ça la vérité.
Quand on vit les uns sur les autres à longueur d'années, ça aide à se supporter de pas tout se dire. J'imagine que ça entretient aussi l'espoir.
Chacun est éprouvé, attiré et trompé par son propre désir. Puis le désir engendre le péché, et le péché la mort.
Il faut croire que, tant qu'on n'a pas goûté à mieux que ce qu'on a sous la main, on se trouve des raisons d'apprécier sa pitance, peut-être même de ne pas du tout en chercher d'autre.
Le temps, c'est rien que de la soustraction depuis qu'on naît, comme sur le cahier de mon père, et on n'en a même pas conscience tant qu'on est qu'une enfant.
La fuite est la seule chose qui reste aux hommes civilisés.
Les histoires sont des maisons aux murs de papier, et le loup rôde.
La solitude est un point commun à beaucoup d'hommes et de femmes, comme si la mort s'invitait à tous les mariages. Chacun sait que les ménages à trois ne fonctionnent jamais, et que c'est l'humain qui finit toujours par être raboté.
Au moins il n'y avait pas de femme pour leur jeter la pierre, pas de môme pour leur percer les tympans, rien ni personne pour leur faire des reproches. La liberté en quelque sorte. S'en convaincre.
La terre n'avait pas créé les obstacles pour que les hommes les surmontent et se rapprochent ainsi du Ciel, elle les avait créés pour rien, simplement parce que çà lui chantait.
Tu sais, y a pas tant de belles choses qui passent à notre portée dans une vie, pour qu'on se retienne de pas les voir.
Il y avait aussi des couleurs qui disaient les saisons, des animaux, et puis des humains, qui tour à tour espéraient et désespéraient, comme des enfants battant le fer de leurs rêves, avec la même révolte enchâssée dans le coeur, les mêmes luttes à mener, qui font les victoires éphémères et les défaites éternelles.
La grand-mère lui avait toujours dit que le bonheur était comme la promesse de l'aube, si l'on s'en tient à la promesse sans s'obstiner à vouloir deviner ce qu'on aurait envie qu'elle révèle à l'avance.
J'aime pas les saisons d'ici. Y a jamais rien qui change durablement, rien à espérer que de dérouler une corde que d'autres ont enroulée pour nous, rien qui vaille la peine de se battre. On gagne jamais, on attend que ça se passe.
Dans les fermes, on en prenait soin, des chiens, même s'il s'agissait des seuls animaux pas véritablement productifs, fidèles commis pourtant, à qui l'on confiait bien souvent les tourments et les secrets de l'âme, qui semblaient avoir été conçus pour cela également, et peut-être surtout, en échange d'un peu de soupe et parfois de caresses.
Il n'existe pas de beauté sur le Plateau, au sens où il entend ce mot. Pas d'émotion palpable, rien que le froid déroulement du temps.
En cet instant, son ultime projet était d'épouser le ciel, après avoir rompu ses fiançailles avec cette nature maquillée.
C'est pas facile d'être l'homme qu'on voudrait être... on y arrive jamais vraiment.
C'est avoir que veulent les hommes, les femmes, c'est pouvoir.
Tout homme est un souffle, une image vouée à disparaître, une ombre qui s'agite.
Être lâche, c'est pas forcément reculer, ça peut simplement consister à faire un pas de côté pour plus rien voir de ce qui dérange.
Moi, je trouve suspect de te forcer à apprendre des phrases entières de ta Bible. Enfin, je suppose que c'est pratique pour avoir une réponse à tout ce qui se présente.
Faut croire que ce qu'on a vécu enfant rien ni personne peut le retirer, que c'est pour toujours dedans.
L'adolescence sonne le glas de l'enfance. La difficulté, c'est de refuser les schémas promis, tout en sachant qu'on n'y échappera pas. Cet aveu d'impuissance-là, cette défaite-là, cette lucidité-là. Alors à quoi bon passer à l'âge adulte et constater son échec ?
Il avait la sensation que sa tête butait contre les nuages, tellement ils étaient bas, et qu'ils essayaient d'expulser des petits flocons tout biscornus, des gros et des moins gros allant se poser délicatement au sol sur la couche de neige déjà formée, sans que rien de vivant ne soit responsable de ce mouvement-là.
Le coeur d'un homme, personne peut le comprendre, et ce qui se passe dedans, ça appartient qu'à lui...
La lune était enfoncée dans le ciel, tel un bouton tout rond piqué sur un gilet de laine noir chiné.
Le ciel était une toile tendue, boulochant en altitude sous quelques nuages filandreux.
Les morts, on a l'habitude de leur pardonner bien des choses, même des choses qu'on ne devrait pas.