Images
L'encre me tient lieu de sang.
Françoise Lefèvre
Y a-t-il un moment où l'on doive se partager entre les âmes des défunts et l'appel des vivants ?
Aujourd'hui les histoires les plus surprenantes nous arrivent par le petit écran ou par les journaux. Alors, pourquoi écrire ? Justement parce que c'est autre chose. Parce que cela procède d'un rendez-vous surnaturel.
Une seule phrase compte dans un livre, et il n'est pas donné à celui qui écrit de savoir laquelle.
De retour à la maison elle griffonne les mots d'amour qu'elle aimerait recevoir. Elles les écrit pour elle même, c'est à dire personne.
Commencer un livre, ce sont les ténèbres à traverser. Pis encore, c'est un voyage au pays des morts.
Les livres m'apparaissent comme les tombes d'êtres aimés qu'on oublie de visiter. Oui, les livres ont à voir avec la mort.
Ecrire c'est traverser une saison qui n'est sur aucun calendrier.
Elle écrase son chagrin contre la vitre. La tentation est grande d'imaginer que c'est un front qu'elle a contre le sien. Un front pour y appuyer sa peine.
J'écris. C'est mon immense consolation glacée.
Il faudrait écrire sans jamais penser qu'on sera lue ou alors par des êtres dotés d'une immense compassion et qui vous pardonneront d'user votre vie à restituer l'impalpable traversée des heures, des minutes, des secondes. Autant dire rien.
On voudrait avoir ce courage des oiseaux en hiver.
La neige qui tombe n'est jamais froide quand on est heureux.
La fin des amours est éreintante. Même lorsqu'on y pense longtemps après.
Parfois il faut peu de chose pour être heureux. Un oiseau qui vole plus bas qu'à l'ordinaire et vient picorer à la fenêtre. L'odeur des champs juste fumés. L'odeur du fumier dans la brume.
Ecrire c'est une autre façon de prier. C'est espérer que les mots protègeront ceux qu'on aime.
Il y a des phrases qui ne peuvent s'écrire qu'à la main.
Tout nouvel amour, toute jouissance, ce qu'on appelle le coup de foudre est fondé sur un crime. Un sacrifice humain. La mort d'un autre. Celle ou celui qu'on abandonne sur le bord du chemin. Je le sais pour avoir été des deux côtés.
Comment se protéger derrière un masque quand on entend le raclement de la pelle qui creuse la fosse ?
Fermer les yeux, c'est rendre grâce.
Le bonheur rend liquide.
Il faut tellement croire à la vie pour écrire. Nous devrions tous faire un testament en nous imprimant dans la roche, la pierre, la terre.
Aujourd'hui, les histoires les plus surprenantes nous arrivent par le petit écran, ce sont les reporters et les journalistes les vrais romanciers de cette fin de siècle.
On garde toujours le souvenir d'un grand amour même s'il s'est transformé en une poignée de neige. C'est-à-dire rien. Rien qu'une flaque minuscule qu'un souffle d'air a déjà séchée. C'est à dire moins que rien.
Pourquoi faut-il toujours forcer le destin, c'est-à-dire les autres ?
Voilà exactement ce qu'il ne faut jamais faire pour un homme : lui infuser toute son énergie, au nom de l'amour lui transfuser totalement les dons et la chance qu'on ose pas exploiter pour soi-même.
Que j'écrive ou non, la face du monde n'en sera pas changée. Et pourtant, c'est un peu comme si j'étais en sursis et que chaque mot fût un rempart contre la mort.
Même sans prendre un crayon, j'ai toujours écrit. Ecrire est devenu pour moi une manière de combler le temps entre l'intolérable naissance et l'intolérable mort.
Si on n'y prend garde, les souvenirs finissent aussi par vous perdre.
C'est inouï le nombre de gens qu'il faut chasser de sa route pour qu'ils ne viennent pas piétiner les joies minuscules d'une journée.
Et l'on sait que l'absence grossit dans la poitrine, fait le coeur énorme et qu'on la porte en plus de son propre poids. Elle est partout, remplit tout.
Qui peut croire qu'on écrit simplement pour faire un livre ?
Je sens une menace entre mes omoplates si je n'écris pas.
J'aime la page que je vais écrire comme une amoureuse qui court à son rendez-vous.
Aucune page, jamais, ne vaudra le regard d'un enfant qui vous attend.
Comment peut-on créer la vie avec des mots ? Car, enfin, écrire c'est le contraire de vivre. Pour raconter le temps, il faut s'enfermer soi-même dans une mortelle saison, d'où l'on sent mieux le temps qui passe et qu'on en est le passager.
Ecrire ne serait donc qu'un leurre, une autre compromission avec le temps.
Je me jurais que mon destin ne stagnerait pas là, au coeur anonyme de cette ville monstrueuse, que ses promoteurs appelaient "ville nouvelle", fosse commune où les gens sont enterrés vifs avec leurs désirs.
Les gens aiment à dire n'importe quoi d'inquiétant, de vaguement dégoûtant pourvu que cela s'en aille nourrir une rumeur.
Pour garder dans sa mémoire le souvenir de quelques minutes heureuses, il faut chaque jour s'exercer à y penser, chaque jour les glaner, comme ces femmes ramassant l'hiver pour se chauffer un peu de bois mort qu'elles serrent au creux de leur tablier.
L'amour maternel ne peut être confiné dans la mièvrerie ou la naïveté, comme le voudraient certains. L'amour maternel est le moins mièvre des sentiments. C'est avant tout un acte de résistance contre la férocité du monde.
Quand j'ai écrit ce que je voulais (et surtout ce que je ne voulais pas), j'ai moins peur que le temps passe.
Ecrire, c'est risquer un pas vers la mort. Mais c'est aussi sentir que la résurrection vous brûle les ailes
O vie terrestre et rampante, tu ne pourras nier que l'écriture est une consolation.
Rien n'est acquis. Tout est à refaire.
La reconnaissance posthume d'un alpiniste ou d'un écrivain a quelque chose à voir avec les glaces éternelles.
La fin d'un amour sent toujours la charogne.
C'est peut-être cela la liberté : choisir ses contraintes.
Pour apprendre à aimer et tenter de guérir un enfant autiste, c'est beaucoup plus simple de l'imaginer comme un Petit Prince. J'apprendrai ton langage. J'entrerai dans ton silence.
L'amour maternel est le moins mièvre des sentiments. C'est avant tout un acte de résistance contre la férocité du monde.