Images
L'homme animé par l'esprit scientifique désire sans doute savoir, mais c'est aussitôt pour mieux interroger.
Gaston Bachelard
La valeur est la qualité occulte la plus insidieuse. C'est elle qu'on exorcise la dernière. Car c'est elle à laquelle l'inconscient s'attache le plus longtemps, le plus énergiquement.
Au-dessus du sujet, au-delà de l'objet, la science moderne se fonde sur le projet. Dans la pensée scientifique, la méditation de l'objet par le sujet prend toujours la forme du projet.
La connaissance s'élabore contre une connaissance antérieure.
L'individu n'agit que s'il éprouve un besoin.
Le rêveur ! ce double de notre être, ce clair-obscur de l'être pensant.
Qui ne continue pas à apprendre est indigne d'enseigner.
La manière dont on imagine est souvent plus instructive que ce qu'on imagine.
Allons chercher nos images dans l'oeuvre de ceux qui ont le plus longuement rêvé et valorisé la matière : adressons-nous aux alchimistes.
Avant d'être le fils du bois, le feu est le fils de l'homme.
Impossible d'imaginer un petit nuage qui disparaisse en tombant. Le petit nuage, le nuage léger est le thème d'ascension la plus régulière, la plus sûre. Il est un conseil permanent de sublimation.
L'opinion pense mal ; elle ne pense pas : elle traduit des besoins en connaissances. En désignant les objets par leur utilité, elle s'interdit de les connaître.
On veut toujours que l'imagination soit la faculté de former des images. Or elle est plutôt la faculté de déformer les images fournies par la perception, elle est surtout la faculté de nous libérer des images premières, de changer les images.
Sans doute, en sa vie prodigieuse, l'imaginaire dépose des images, mais il se présente toujours comme un au-delà des images, il est toujours un peu plus que ses images.
La première tâche du poète est de désancrer en nous une matière qui veut rêver.
La forêt est un état d'âme.
La mort de l'eau est plus songeuse que la mort de la terre : la peine de l'eau est infinie.
L'individu n'est pas la somme de ses impressions générales, il est la somme de ses impressions singulières.
Au fond de la matière pousse une végétation obscure ; dans la nuit de la matière fleurissent des fleurs noires. Elles ont déjà leurs velours et la formule de leur parfum.
On ne veut bien que ce qu'on imagine richement.
C'est encore en méditant l'objet que le sujet a le plus de chance de s'approfondir.
L'imagination a besoin d'un allongement, d'un ralenti. Et en particulier, plus que tout autre, l'imagination de la matière nocturne a besoin de lenteur.
Une psychologie de l'esprit en action est automatiquement la psychologie d'un esprit exceptionnel, la psychologie d'un esprit que tente l'exception : l'image nouvelle greffée sur une image ancienne.
La pensée scientifique moderne réclame qu'on résiste à la première réflexion.
La clarté est parfois une séduction qui fait des victimes dans le rang des professeurs. On en rencontre qui, doucement, dans le ronronnement des leçons, se contentent d'une clarté ancienne et qui reculent d'une génération. Avoir su est souvent une excuse pour se désintéresser d'apprendre.
La vie est probablement ronde.
L'opinion a, en droit, toujours tort.
La connaissance du réel est une lumière qui projette toujours quelque part des ombres.
Le paradis, à n'en pas douter, n'est qu'une immense bibliothèque.
Tout savoir scientifique doit être à tout moment reconstruit.
Le courage intellectuel, c'est de garder actif et vivant cet instant de la connaissance naissante, d'en faire la source sans cesse jaillissante de notre Intuition.
Les grandes passions se préparent en de grandes rêveries.
L'avenir, si tendu que soit notre désir, est une perspective sans profondeur. Il n'a vraiment nulle attache solide avec le réel. C'est pourquoi nous disons qu'il est dans le sein de Dieu.
La sublimation n'est pas toujours la négation d'un désir ; elle ne se présente pas toujours comme une sublimation contre des instincts. Elle peut être une sublimation pour un idéal.
La vie réelle se porte mieux si on lui donne ses justes vacances d'irréalité.
La richesse d'un concept scientifique se mesure à sa puissance de déformation.
Face au réel, ce qu'on croit savoir clairement offusque ce qu'on devrait savoir. Quand il se présente à la culture scientifique, l'esprit n'est jamais jeune. Il est même très vieux, car il a l'âge de ses préjugés.
L'histoire est toujours écrite par les gagnants. Lorsque deux s'affrontent c'est toujours celles des perdants qui disparaît.
En s'éloignant vers le ciel, l'oiseau se désindividualise ; il devient un vol, un vol en soi.
Le réel n'est jamais ce qu'on pourrait croire, mais il est toujours ce qu'on aurait dû penser.
Le temps n'a qu'une réalité, celle de l'instant. Autrement dit, le temps est une réalité resserrée sur l'instant et suspendue entre deux néants.
L'homme est une création du désir, non pas une création du besoin.
La poétique de Shelley est une poétique de l'immensité bercée. Le monde est pour Shelley un immense berceau - un berceau cosmique - d'où, sans cesse, s'envolent des rêves.
La vie et peut-être la réalité entière seraient une conquête progressive de la liberté.
Pour le savant, la connaissance sort de l'ignorance comme la lumière sort des ténèbres. Le savant ne voit pas que l'ignorance est un tissu d'erreurs positives.
Parce que le poète nous découvre une nuance fugitive, nous apprenons à imaginer toute nuance comme un changement. Seule l'imagination peut voir les nuances, elle les saisit au passage d'une couleur à une autre.
L'imagination trouve plus de réalité à ce qui se cache qu'à ce qui se montre.
Le rêve est plus fort que l'expérience.
Il faut forcer la nature à aller aussi loin que notre esprit.
L'eau est l'élément de la mort jeune et belle, de la mort fleurie, et, dans les drames de la vie et de la littérature, elle est l'élément de la mort sans orgueil ni vengeance, du suicide masochiste.