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Lorsqu'il se sent à court d'idées, quand son imagination se tarit, il lui raconte des histoires vraies.
Ivan Repila
Le frère aîné est grand. Il gratte la terre pour former des marches, mais lorsqu'il y pose le pied, tout son corps s'affaisse et le mur s'éboule. Le frère cadet est petit. Assis par terre, les bras autour des jambes, il souffle sur la blessure fraîche qu'il a au genou. En se disant que le premier sang coule toujours dans le camp des plus faibles, il observe son frère tomber, une, deux, trois fois.
N'aie pas peur des rêves, ils ne sont pas réels. Ce sont des pensées qui se mélangent dans nos têtes, des souvenirs qu'on ne peut pas exprimer avec des mots. Si tu rêves que tu manges, ça veut dire que tu as faim, c'est tout. Si tu rêves que tu voles, ça veut dire que tu veux rentrer à la maison...
Voilà tout ? Les hommes doivent-ils vivre entre des murs sans portes ni fenêtres ? Y a-t-il autre chose au-delà ? Oui, mon frère, oui, il y a autre chose ! Je le sais ! Car nul ne peut retenir ce que j'ai dans la tête, là, à l'intérieur. C'est un territoire sans murs, sans puits, juste à moi. Et bien réel puisqu'il me fait évoluer.
Le Petit rêve d'un banc de papillons et se voit les chasser avec sa grande langue rétractile. Blancs, ils ont un goût de pain ; roses ou rouges, un goût fruité, mélange de fraise et d'orange ; s'ils sont verts, de menthe ; foncés, ils n'ont aucun goût, comme s'il léchait des cristaux.
Dans son rêve, le puits est aussi grand qu'une ville. Ses habitants sont affamés parce que la terre n'en peut plus, disent certains. Le Petit ne se souvient pas de la vie à l'extérieur du puits, mais le Grand est plus âgé, il a de la mémoire, lui.
Ce puits est un utérus. Nous allons bientôt naître, toi et moi. Nos cris sont la douleur du monde qui accouche.
Pour des personnes comme toi et moi, le plus important, c'est la rage. Sans rage, nous serions incapables de trouver la force pour ôter la vie. Certains sont différents : ils obéissent à d'autres instincts ou ont grandi dans une violence inouïe ; ces gens-là te regardent depuis des cavernes inconnues.
Les démonstrations de tendresse ne sont plus nécessaires lorsque gouverne l'instinct de conservation.
La dernière traînée de soleil quitte le puits et décolore le monde, exacerbant leur lassitude de vivre ensemble. Comme lorsque la farce prend fin au beau milieu d'un songe et qu'on se réveille dans un mauvais film.
Quelques secondes nous suffisent pour tuer car nous ne savons pas faire autrement. Nous sommes directs, impatients. N'aie aucune hésitation : ton esprit saura quel est le geste à accomplir, et une fois la boucle bouclée, tu seras aussi grand que les grands hommes qui furent sur terre avant toi.
Ces parois sont des membranes entre lesquelles nous flottons et nous nous retournons dans l'attente de notre tardive mise au monde. Ce puits est un utérus. Nous allons bientôt naître, toi et moi. Nos cris sont la douleur du monde qui accouche.
Un instant, le puits exhale l'odeur rassurante d'un foyer imprenable. Un geyser de quiétude jaillit, apaisant, rampe jusqu'en haut du puits, s'étend ensuite par-delà les bords escarpés et fait taire les bêtes ; le temps d'un soupir, la forêt tout entière repose dans une implosion de paix.
Le Petit continue de mourir quelques jours tandis que son frère essaie de le maintenir encore en vie. Comme si ce n'était qu'un jeu.