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Il était d'ailleurs trop précieux et trop raffiné : l'un de ces poètes, à qui l'on voudrait dire : Si j'étais huître, je ne cultiverais pas ma perle.
Jean Paulhan
On dit d'un monsieur un peu raide qu'il a avalé sa canne. C'est que la canne est un objet plutôt rigide. Mais nous avons tous avalé notre squelette, et nous n'en sommes que plus adroits.
Sainte-Beuve tâche à classer les esprits ; les oeuvres lui paraissent sans conséquence.
Il est des mots qu'on aime répéter. Il en est d'autres que l'on craint. L'on évite (en temps de paix) le mot guerre : l'on dit plutôt défense nationale. Le mot dévaluation : l'on dit alignement monétaire.
Des mots sans suite porteurs de sens embroussaillés tournent en rond autour de toi.
Bref, le cliché nous est signe que le langage soudain a pris le pas sur un esprit dont il vient contraindre la liberté, et le jeu naturel.
Sade fait songer aux livres sacrés des grandes religions.
Le verbalisme, c'est la pensée des autres.
Il arrive aux coeurs les plus naïfs et sincères, et les moins soucieux de mots, de s'épancher spontanément en proverbes, locutions banales et lieux communs.
Un critique ne doit jamais hésiter à se rendre ridicule.
Qui veut se connaître, qu'il ouvre un livre.
L'auteur de lieux communs cède à la puissance des mots, au verbalisme, à l'emprise du langage, et le reste.
Si les règles et les genres ont jamais été imaginés, c'était pour assurer à l'esprit humain sa pleine liberté, pour lui permettre les cris, et la surprise, et le chant profond.
Il est de la nature de l'évidence qu'elle passe inaperçue.
L'esprit occupe à chaque instant tout l'espace dont il dispose.
Qui ne se voit humilié, parcourant le Dictionnaire des idées reçues ou tout autre recueil de clichés, d'y retrouver telle "pensée" (et le mot déjà en dit long) qu'il croyait avoir inventée ; telle phrase qu'il disait jusque-là fort innocemment ?
Il n'y a en littérature qu'un sentiment absolument sot : c'est la peur d'être influencé.
Qu'il s'applique donc à fuir - s'il ne les a d'instinct évitées - les expressions toutes faites, les fausses grâces, les fleurs.
Je ne sais s'il est vrai que les hommes de lettres se soient contentés jadis de distraire d'honnêtes gens. (Ils le disent du moins).
Il y a longtemps que l'homme a trouvé tout ce qu'il importe de savoir. (C'est Hérodote qui le dit.) Oui, et sans doute tout ce qu'il n'importe pas de savoir. Et peut-être tout ce qu'il importe de ne pas savoir. Il faut donc continuer.
Il n'y a pas une idée qui ne passe par la politique ; bien heureux si elle ne s'y arrête pas.
J'espère vivre jusqu'à ma mort.
C'est au point que la conscience langagière d'un peuple doit s'employer, d'une action insensible mais têtue, soit à maintenir en valeur les termes dont elle use, soit à leur substituer de nouveaux termes qui fassent le même service.
Je ne crois pas qu'il nous faille approuver sans réserve nos larmes.
On sait bien que nous jugeons les hommes et qu'ils se jugent eux-mêmes, sur les succès, bon ou mauvais, comme s'ils avaient de tout temps préparé ce succès.
Tous les critiques sont justes. Il ne reste qu'à les comprendre.
Ainsi, d'un texte "bien écrit" je puis supposer que l'auteur n'avait en tête que grammaire et que règles.
L'on ne voulait rompre qu'avec un langage trop convenu et voici que l'on est près de rompre avec tout le langage humain.
La puissance des mots révèle en tous cas un décalage, et comme une rupture des rapports qui jouent à l'intérieur du langage entre le mot et le sens, entre le signe et l'idée.
Nous ne parlons presque jamais de ce dont nous paraissons parler.
C'est le langage qui a besoin d'être simple et les opinions un peu compliquées.
Je suis comme tout le monde : je n'ai pas continuellement la certitude de mener une vie véritable.
Un savant, c'est quelqu'un qui sait des choses qu'il faudrait savoir mieux que lui pour être sûr que ce n'est pas un imbécile.
Une nation périclite quand l'esprit de justice et de vérité se retire d'elle.
Et quel lecteur, s'il a le moindre souci d'exactitude, s'y délivrerait de la hantise - de l'influence - des mots et des phrases.
La force a les droits de la force. Elle se dégrade et s'humilie - et nous humilie tous - dès qu'elle ment, et couvre d'un manteau légal ses assassinats.
Qui passe et ne désire pas a l'air orgueilleux, - Qui désire trop souvent a l'air importun.
Qu'est-ce que l'inspiration ? C'est d'avoir une seule chose à dire, que l'on n'est pas fatigué de dire.
Il ne suffit pas de croire aux sirènes pour en rencontrer sur les eaux, mais il suffit parfaitement de croire à l'influence des mots, pour que cette influence aussitôt surgisse.
Boileau, Voltaire ou La Harpe jugeaient d'un poème qu'il était aimable ou déplaisant, qu'il flattait ou froissait le goût, les règles, la nature.
Les faits sont là : clichés, grands mots, lieux communs, les plus faciles à observer qui soient.
Au lieu d'une opinion subtile et nuancée emporte toujours quelque vague soupçon d'hypocrisie.
Il n'est rien de parfait et de simple - de limité, d'harmonieux - comme un tableau accompli. On dirait une pensée.
Ne m'aimez pas comme l'argent : - On l'échange pour du riz. - Aimez-moi comme un petit crabe : - On le mange jusqu'aux pattes.
Il existe une façon pratique d'éviter la contagion des maladies : c'est de supprimer les malades.
Il n'est pas de manière plus sûre de compromettre un innocent (et tout aussi bien un coupable) que de le louer sans mesure ou de le défendre avant que personne songe à l'attaquer.
L'on sait, depuis Flaubert et Bloy, qu'il n'est idée ni phrase "reçue" où la bêtise ne coudoie la méchanceté.
Où est le temps où les artistes étaient sots ? Ils n'arrêtent pas aujourd'hui de poser des problèmes. Ils vont même jusqu'à les résoudre.
Le mot de Liberté, disait Novalis, a fait des millions de révolutionnaires. Sans doute : tous ceux pour qui la Liberté était le contraire d'un mot.
Il est bien vrai que Sade est monotone. L'Odyssée ne l'est pas moins, ni le Ramayana. Qu'est-ce que l'inspiration ? C'est d'avoir une seule chose à dire, que l'on n'est jamais fatigué de dire.