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En ce temps-là, l'interdiction de nous embrasser mettait tout à coup en relief l'intensité d'une embrassade. La poignée de main la plus conventionnelle, de ne plus pouvoir se produire, retrouvait dans notre pensée une chaleur originelle et nostalgique. La distance nous faisait éprouver un bienfait paradoxal : elle remettait à zéro l'horloge des signes d'affection.
Jean-Pierre Martin
Fou n'est pas le mot, même si je le prononce avec affection. Je préfère dire : corps errants.
Tous cherchaient une pensée qui ne se cantonnât point dans des pâturages où broutent déjà des troupeaux de penseurs patentés.
Ainsi d'autres partent en mer, d'autres se font fils de leurs oeuvres, d'autres finissent de s'arracher les yeux aux livres, d'autres s'absentent au monde, d'autres s'enfouissent dans l'orient populeux, d'autres s'injectent la mort, d'autres se pendent à leur famille.
L'habitude de l'usine sera peut-être devenue drogue : chaque jour dans cette mélasse, absorber une dose d'hébétude. Il aura peine à se défaire de cet abrutissement providentiel, de cette sensation quotidienne d'un corps tellement courbatu que chaque soir la pensée s'endort dans une terrible sérénité.
L'autre est un autre, voilà ce que reconnaît le curieux existentiel. Et la recherche de l'autre est infinie. A vrai dire, je n'ai pas trouvé de meilleur antidote à l'indifférence.
J'étouffe dans les livres. Je suis constamment dans une espèce de nostalgie de la vie immédiate, qui saurait se passer de toute médiation, juste se tenir face au ciel bleu, aux enfants, à l'amour...
Le fou, c'est d'abord celui qui est sans interlocuteur.
Qui est le plus fou ? Celui qui pense à la mort chaque jour, comme moi, ou celui qui est possédé par le langage de l'entreprise ?
Par la faute de ces livres désirés, volés, dévorés, je me suis retranché outre mesure, dit silencieusement l'incendiaire. J'ai contracté la maladie de la solitude. Je n'ai pas vu la vie.
J'ai une conception artisanale de la littérature.
J'aime retrouver la trivialité de la vie dans les livres, c'est aussi pour ça que j'apprécie tant Raymond Queneau.
Virginia Woolf affirmait : "Je pense parfois que seule l'autobiographie relève de la littérature : les romans sont les pelures que nous ôtons pour arriver enfin au coeur qui est vous ou moi et rien d'autre." Magnifique, non ? Mais je cite trop de gens.