Images
Pour mériter l'amour, il fallait se montrer capable de créer.
Joann Sfar
On m'explique depuis quelque temps que le travail n'est pas une valeur de gauche et j'ai du mal à m'y faire. Si l'on aime les travailleurs, il faut bien se résoudre à avoir un minimum de bienveillance pour le travail
Il se force à ne pas me sauter dessus. Il essaie de se convaincre que je ne suis pas son dîner, ou qu'il n'a pas faim. Combien de temps ça reste efficace, chez un vampire, le surmoi ?
Pendant longtemps, j'ai pensé qu'il était superflu de faire un album contre le racisme. Il me semblait que c'était une évidence, qu'il ne fallait pas enfoncer les portes ouvertes. Les temps changent, semble-t-il. Tout a sans doute été dit, mais comme personne n'écoute, il faut recommencer.
Je suis le chat du rabbin. Il m'arrive des tas de choses. Par exemple, une fois, je suis allé à Paris et il a plu. Alors je suis rentré chez moi, en Algérie.
J'ai beaucoup aimé être orphelin. Cela m'a mis très tôt face au monde. Au moment où les autres connards attendaient encore que Dieu leur serve de petites roues au vélo, je tenais debout correctement, comme un adulte bizarre, de trois ans et demi.
La littérature n'a aucun sens si elle ne s'adresse pas à un lecteur universel. Pourquoi les livres qu'on écrit n'atteignent -ils qu'un nombre restreint de quartiers français ? Pourquoi les lecteurs qui se rendent aux salons du livre ont-ils toujours le même profil (plutôt âgé et plutôt blanc) ?
On n'y peut rien si l'on devine toujours les pensées de l'autre.
Si Dieu existe, je suis certain qu'il passe beaucoup de temps au musée du Louvre.
Sur les tombes juives, on interdit de faire figurer des photographies afin que la mémoire ne se fixe pas sur un moment de l'existence du défunt. Il faut beaucoup d'imagination pour remonter le temps et laisser derrière soi les images de l'agonie ou de la vieillesse.
Bizarrement, je n'ai jamais rien attendu de mes éditeurs. J'entends par là que je ne cherche pas chez eux la grandeur paternelle
Je refuse d'être écrasé par la culpabilité de ne pouvoir trouver le temps de lire ou d'aller au bout des lectures que j'ai commencées. Je passe ma vie à acheter des œuvres que je ne lis pas, je tapisse mes murs de livres que je lirai un jour. C'est toujours ça de donné aux libraires.
La catastrophe est déjà là, dans la haine et le manque de dialogues aimants. Il faut parler à chacun. Et raconter des histoires qui donnent envie du monde.
Mieux valait rester vivante avec des doutes que crever avec une certitude
On l'aime un siècle après sa mort, l'homme qui vous dit vrai. Et celui qui par amour vous cache un morceau du monde, je veux dire papa, on l'aime tout autant, mais on met quarante ans à comprendre combien il avait peur, et combien c'est lui qui redoutait les mots.
A l'instar de la momie de Toutankhamon qui a clairsemé les rangs des archéologues depuis un siècle, il existe un vampire qui décime les éditeurs de fiction et j'ai le regret de vous avouer qu'il s'agit de moi.
On est moins con quand on est mort, se dit-il en souriant.
Dieu est un intermittent du spectacle, dur de lui faire confiance. Je suis l'inverse de Diam's. Depuis un an, j'ai perdu la foi.
Penser l'image sans le texte n'a pour moi aucun sens. Ça ne m'intéresse pas. Tout mon dessin est un dessin d'écriture.
Je tiens pour inepte toute tentative de valorisation d'une culture d'origine. Il faut toujours postuler l'universalité du lecteur.
Si un de tes philosophes t'a fait croire que la vie est juste, tu peux te faire rembourser.
Le dessin comme l'écriture sont tous deux une affaire d'équilibre. Il faut parvenir à marcher sur ces deux pieds que sont l'imagination et l'observation, en essayant de recréer cet équilibre très ancien entre le monde réel et le monde de la représentation.
Notre seule façon d'échapper au nihilisme, c'est de donner un sens au monde.
Le livre est l'objet fétichisme ultime : on tourne la page, comme si on soulevait une jupe, sauf que le dévoilement ne vient jamais. Lire, c'est dévoiler l'objet du désir pour s'apercevoir que le voile est toujours
Je défends une position compliquée mais cohérente : comme citoyen, je suis intraitable sur le droit à l'outrance. Je veux vivre dans un pays où la liberté des uns n'est pas limitée par la croyance des autres. Les dessins venimeux, vaches, extrêmes, je ne saurais pas les faire, mais je suis heureux que ceux dont c'est le style puisse les réaliser.
Nous sommes lus par des lecteurs informés, spécialistes, à qui on ne peut plus ni faire la morale ni raconter des bobards. On ne peut plus faire croire que Tintin ce n'est pas Hergé
Cette volonté que nous avons d'accomplir des belles choses, de s'aimer, de créer des œuvres, c'est la conscience de notre mort qui la rend possible.
La chirurgie esthétique consiste à créer sur la peau et les muscles des blessures agréables à regarder.
J'essaie juste de vous dire que si on tente, comme moi, de sauver la psychanalyse, on est contraint de la réfuter comme science exacte et de ne garder que son aspect poétique, littéraire, et, pardonnez-moi de le dire, religieux.
Je suis fondamentalement en désaccord avec Plantu quand il prétend qu'il faut s'autocensurer car nos dessins voyagent dans le monde entier. Un artiste doit être libre. Ça ne souffre pas la discussion.
L'Occident a sans doute répandu pas mal de saloperies de par le monde. Mais les livres, dans leur pluralité, sont ce qui nous sauve de la sauvagerie
Le problème, ce ne sont pas les mythes, c'est la pauvreté des mythes dont on se nourrit.
En Amérique, les juifs ne servent à rien, alors on leur fiche la paix. Ici, ils servent à calmer les nerfs des gens.
Je crois beaucoup plus aux vertus du rire qu'à celles du militantisme.
Lire un livre, c'est être disposé à changer d'avis.
Il paraît que c'est ça, devenir adulte : le père meurt, on n'a plus d'autre ennemi que soi-même.
Se sentir juif ou musulman ou chrétien, c'est décider qu'il existe des peuples et c'est le début de la guerre qui se terminera par l'extermination des uns par les autres.
Il fallait bien que mes larmes aillent quelque part, donc je les ai mises dans le monde de la représentation.
Des récits qui donnent sens à ce que nous vivons, c'est exactement ce dont nous avons besoin.
Il ne faut pas, sciemment, mentir à son gosse. Sinon ensuite il passe sa vie à raconter des histoires.
Je crois profondément que tous les humains sont assez intelligents pour s'identifier au texte d'un autre.
Je n'y suis pour rien puisque c'est mon instinct. Si quelqu'un a mal agi dans l'histoire, c'est Dieu, il n'avait qu'à pas mettre au monde un vampire.
Il me dit que lorsqu'on est sorti du jardin d'Eden, on ne peut pas y retourner
Mes convictions, c'est que les individus valent mieux que l'étiquette qu'on leur colle. J'aime mieux les gens que leurs idées.
J'ai dessiné, car mon père était incapable de dessiner, le seul domaine où il ne pouvait pas me juger !
Il n'y a rien de plus facile que de faire un livre intelligent pour les gens intelligents. En revanche, essayer de faire un texte intelligent qui s'adresse à tous, voilà le vrai défi !
Quand on sacralise le théâtre, on ne peut pas donner aux vœux prononcés à l'église trop d'importance, ce serait abdiquer devant la concurrence.
Merci, papa, d'avoir laissé un espace vierge, dans lequel aujourd'hui encore je m'efforce de grandi