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Je n'avais pas vraiment survécu. Je n'étais pas sûr d'être un vrai survivant. J'avais traversé la mort, elle avait été une expérience de ma vie.
Jorge Semprún
Ai-je été trop peu disponible ? Ou trop peu généreux ? Ai-je manqué une occasion de tendresse, de douceur féminine ? Ça m'est arrivé, dans ma jeunesse, de manquer ces choses-là. L'orgueil de la solitude, de la différence, vous joue des tours, souvent.
La vie en soi, pour elle-même, n'est pas sacrée : il faudra bien s'habituer à cette terrible nudité métaphysique.
Une sorte de tristesse physique m'a envahi. J'ai sombré dans cette tristesse de mon corps. Ce désarroi charnel, qui me rendait inhabitable à moi-même.
C'est l'horreur de mon regard que révèle le leur, horrifié. Si leurs yeux sont un miroir, enfin, je dois avoir un regard fou, dévasté.
Un homme devrait pouvoir être un homme même s'il n'est pas capable de résister à la torture.
Sans doute la mort est-elle l'épuisement de tout désir, y compris celui de mourir.
Une année à Buchenwald m'avait appris concrètement ce que Kant enseigne, que le Mal n'est pas l'inhumain, mais, bien au contraire, une expression radicale de l'humaine liberté.
Une beauté évidente ne suscite pas la pensée, mais le bonheur : une sorte de béatitude.
La vie était encore vivable. Il suffisait d'oublier, de le décider avec détermination, brutalement.
S'il y a une morale, ici, ce n'est pas celle de la pitié, de la compassion, moins que jamais une morale individuelle. C'est celle de la solidarité. Une solidarité de la résistance, bien sûr : une morale de résistance collective.
Comme la découverte de l'amour, comme la découverte de la mer, celle de Dostoïevski marque une date mémorable de notre vie. Elle correspond généralement à l'adolescence : la maturité cherche et trouve des écrivains plus sereins.
Peut-être Dieu est-il épuisé, exsangue, peut-être n'a-t-il plus de forces. Son silence serait le signe de sa faiblesse, non de son absence, de son manque à exister.
Le repos physique est secondaire, tout compte fait. La chose que je voudrais plus que tout, c'est le repos spirituel.
A quoi bon écrire des livres si on n'invente pas la vérité ? Ou, encore mieux, la vraisemblance ?
Le désintérêt, le désamour de soi, d'une certaine idée de soi-même, était le premier pas sur le chemin de l'abandon.
J'allonge son cadavre sur le plancher du wagon, et c'est comme si je déposai ma propre vie passée, tous les souvenirs qui me relient encore au monde d'autrefois.
Et sans doute l'être du résistant torturé devient-il un être-pour-la-mort mais c'est aussi un être ouvert au monde, projeté vers les autres : un être-avec, dont la mort individuelle, éventuelle, probable, nourrit la vie.
Plus je me remémore, plus le vécu d'autrefois s'enrichit et se diversifie, comme si la mémoire ne s'épuisait pas.
Je suis emprisonné parce que je suis un homme libre, parce que je me suis vu dans la nécessité d'exercer ma liberté, que j'ai assumé cette liberté.
Il n'y a rien de pire que la transparence absolue de la vie privée, où chacun devient le big brother de l'autre.
Elle n'avait nulle autre raison de s'intéresser à moi que moi-même : c'est ça qui était bouleversant.
La vie n'est pas parfaite on le sait, elle peut-être un chemin de perfection.
Mais oui, je me rends compte. Je ne fais que ça, me rendre compte et en rendre compte.
Les livres, la musique, c'est différent. Pour enrichissants qu'ils soient, ils ne sont jamais que des moyens d'accéder aux êtres.
Tout a une fin dans la vie, même les raisons de vivre. Mais pourquoi ne vivrait-on pas sans raisons ? Je veux dire, sans autre raison que celle de vivre, précisément, avec toutes ses conséquences.
Le bonheur, c'est toujours le présent, au moment même.
Le contraire d'une connerie, ce n'est jamais qu'une autre connerie.