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La moitié de mon âme est dans la nef fragile - Qui sur la mer sacrée où chantait Arion - Vers la terre des Dieux porte le grand Virgile.
José-Maria de Heredia
Comme un vol de gerfauts hors du charnier natal, - Fatigués de porter leurs misères hautaines, - De Palos de Moguer, routiers et capitaines - Partaient, ivres d'un rêve héroïque et brutal.
Chaque soir de marché, fait tinter dans sa main - Les deniers d'argent clair qu'il rapporte de Rome.
La mer qui se lamente en pleurant les sirènes.
Ou penchés à l'avant des blanches caravelles, Ils regardaient monter en un ciel ignoré Du fond de l'océan des étoiles nouvelles.
Mais tout sembla d'abord démentir son espoir.
Midi. L'air brûle et sous la terrible lumière - Le vieux fleuve alangui roule des flots de plomb ; - Du zénith aveuglant le jour tombe d'aplomb, - Et l'implacable Phré couvre l'Egypte entière.
Le bonheur est mélancolique. Le cri des plus joyeux oiseaux Paraît lointain comme de l'eau Où se noierait une musique.
Pour l'artiste scrupuleux, l'oeuvre réalisée, qu'elle qu'en puisse être la valeur, n'est jamais que la scorie de son rêve.
Vous sortiez de l'église et, d'un geste pieux, - Vos nobles mains faisaient l'aumône au populaire, - Et sous le porche obscur votre beauté si claire - Aux pauvres éblouis montrait tout l'or des cieux.
Et là-bas, sous le pont, adossé contre une arche, - Hannibal écoutait, pensif et triomphant, - Le piétinement sourd des légions en marche.
Et le Conquistador, bénissant sa folie, Vint planter son pennon d'une main affaiblie Dans la terre éclatante où s'ouvrait son tombeau.
Et ses yeux n'ont pas vu, présage de son sort, - Auprès d'elle, effeuillant sur l'eau sombre des roses, - Les deux Enfants divins, le Désir et la Mort.
Ils allaient conquérir le fabuleux métal - Que Cipango mûrit dans ses mines lointaines, - Et les vents alizés inclinaient leurs antennes - Aux bords mystérieux du monde occidental.
Heureux qui peut dormir sans peur et sans remords Dans le lit paternel, massif et vénérable, Où tous les siens sont nés aussi bien qu'ils sont morts.
L'aube d'un jour sinistre a blanchi les hauteurs.
Et sur elle courbé, l'ardent Imperator, - Vit dans ses larges yeux étoilés de points d'or - Toute une mer immense où fuyaient des galères.
Mais l'homme indifférent au rêve des aïeux - Ecoute sans frémir au fond des nuits sereines - La mer qui se lamente en pleurant les sirènes.
Avril jonche la terre en fleur d'un frais tapis.
Là-bas les muezzins ont cessé leurs clameurs. - Le ciel vert, au couchant, de pourpre et d'or se frange ; - Le crocodile plonge et cherche un lit de fange, - Et le grand fleuve endort ses dernières rumeurs.
Les ajoncs éclatants, parure du granit, - Dorent l'âpre sommet que le couchant allume ; - Au loin, brillante encor par sa barre d'écume, - La mer sans fin commence où la terre finit.
La gloire a sillonné de ses illustres rides - Le visage hardi de ce grand Cavalier - Qui porte sur son front que nul n'a fait plier - Le hâle de la guerre et des soleils torrides.
La lande rase, rose et grise et monotone - Où croulent les manoirs sous le lierre et les ifs.
Brandis-la ! L'acier souple en bouquets d'étincelles - Pétille. Elle est solide, et sa lame est de celles - Qui font courir au coeur un orgueilleux frisson.
Des larmes d'un enfant sa tombe est arrosée, - Et l'Aurore pieuse y fait chaque matin - Une libération de gouttes de rosée.
Vieillard, tu fus heureux, et ta fortune est telle - Que la Mort, malgré toi, fit ton rêve plus beau ; - La Gloire t'a donné la Jeunesse éternelle.
Le choc avait été très rude. Les tribuns - Et les centurions, ralliant les cohortes, - Humaient encor, dans l'air où vibraient leurs voix fortes, - La chaleur du carnage et ses âcres parfums.
D'un oeil morne, comptant leurs compagnons défunts, - Les soldats regardaient, comme des feuilles mortes, - Tourbillonner au loin les archers des Phraortes, - Et la sueur coulait de leurs visages bruns.
Ce beau guerrier vêtu de lames et de plaques, Sous le bronze, la soie et les brillantes laques, Semble un crustacé noir, gigantesque et vermeil.
Heureux qui pour la Gloire ou pour la Liberté, - Dans l'orgueil de la force et l'ivresse du rêve, - Meurt ainsi d'une mort éblouissante et brève.
Chaque soir, espérant des lendemains épiques L'azur phosphorescent de la mer des Tropiques Enchantait leur sommeil d'un mirage doré.
L'horizon tout entier s'enveloppe dans l'ombre, - Et le soleil mourant, sur un ciel riche et sombre, - Ferme les branches d'or de son rouge éventail.
Ainsi, voyant mon âge incliner vers le soir, Je veux, ainsi que fit Fray Juan de Ségovie, Mourir en ciselant dans l'or un ostensoir.
Le camp s'éveille. En bas roule et gronde le fleuve Où l'escadron léger des Numides s'abreuve. Partout sonne l'appel clair des buccinateurs.