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N'est-il pas consolant - voire, profondément satisfaisant - de pouvoir se dire, en repensant à sa propre vie, que si l'on a échoué, c'est uniquement là où les autres n'ont pas eu le courage ou la volonté de tenter ?
Kazuo Ishiguro
Je n'ai jamais connu aucun peintre capable de faire un autoportrait absolument véridique ; quelle que soit l'exactitude avec laquelle on reproduit les détails que vous renvoie le miroir, la personnalité représentée approche rarement de la vérité que d'autres, en revanche, verraient.
Il est peut-être temps, décidément, que j'envisage toute la question du badinage de façon un peu plus enthousiaste. Après tout, quand on y pense, ce n'est pas un centre d'intérêt si stupide – surtout s'il s'avère que le badinage est la clef de la chaleur humaine.
Or, si la plupart des majordomes, je suis prêt à le concéder, risquent de découvrir en dernière instance que la capacité d'y parvenir leur manque, je crois profondément que cette dignité est un objectif que l'on peut viser avec profit tout au long d'une carrière.
Les années qui me restent à vivre s'étendent devant moi comme un long désert.
On dit parfois que les majordomes, les butlers, n'existent qu'en Angleterre. Dans les autres pays, quel que soit le titre utilisé, il n'y a que des domestiques. Je suis prêt à le croire. Les habitants de l'Europe continentale ne peuvent pas être des butlers parce qu'ils appartiennent à une race incapable de cette maîtrise de soi qui est le propre des Anglais.
Je pense toujours à cette rivière quelque part, avec cette eau qui coule vraiment vite. Et tous ces gens dans l'eau, qui essaient de se raccrocher les uns aux autres, qui s'accrochent aussi fort qu'ils peuvent, mais à la fin c'est trop difficile. Le courant est trop puissant. Ils doivent lâcher prise, se laisser emporter chacun de son côté.
Même la solitude, j'ai fini par vraiment l'apprécier. Ça ne veut pas dire que je n'espère pas un peu plus de compagnie à la fin de l'année, quand j'en aurai fini avec tout ça. Mais j'aime la sensation d'entrer dans ma petite voiture, de savoir que pendant les deux heures suivantes je n'aurai pour compagnie que les routes, le grand ciel gris et mes rêveries.
Un majordome d'une certaine qualité doit, aux yeux du monde, habiter son rôle, pleinement, absolument ; on ne peut le voir s'en dépouiller à un moment donné pour le revêtir à nouveau l'instant d'après, comme si ce n'était qu'un costume d'opérette.
Qui sait ce qui arrivera quand les hommes à la parole facile feront rimer d'anciens griefs avec un désir neuf de terre et de conquête.
Les plus belles choses, disait-il toujours, vivent une nuit et s'évanouissent avec le matin.
C'est si loin à présent, comme un oiseau qui s'envole et devient un point dans le ciel. Mais notre fils a été témoin de cette amertume, à un âge trop avancé pour se laisser berner par de douces paroles, et trop jeune cependant pour connaître les étranges circonvolutions de nos coeurs.
Quand on est jeune, beaucoup de choses semblent ennuyeuses et sans vie. Mais en vieillissant, on s'aperçoit que ce sont les choses mêmes qui importent le plus.
Après tout, que pouvons-nous gagner à toujours regarder en arrière, et à nous blâmer nous-mêmes parce que notre vie n'a pas pris exactement la tournure que nous aurions souhaitée ?
Comment pouvez-vous décrire l'occultation des actes les plus infâmes comme une pénitence ? Votre dieu chrétien se laisse-t-il corrompre si facilement par des souffrances volontaires et quelques prières ? Est-il si peu soucieux d'une justice laissée en suspens ?
La démocratie est une très belle chose, mais elle signifie pas que les citoyens ont le droit de tout casser chaque fois qu'ils ne sont pas d'accord.
Le monde d'aujourd'hui est un endroit trop crasseux pour les grands et nobles instincts.
Il n'est nullement souhaitable, en effet, de toujours dire à ses élèves ce que l'on sait et ce que l'on pense dans bien des cas, il est préférable de se taire pour leur donner la possibilité de débattre et de réfléchir par eux-mêmes.
Le décor change dans chacun de mes livres. Mais les thèmes sont toujours identiques.
Si une société ne veut pas se désintégrer, elle doit parfois tirer un trait sur ses années les plus sombres.
A quoi servirait un souvenir surgi de la brume s'il se contente d'en chasser un autre ?
Elle a dit à Roy que les choses comme les tableaux, la poésie, tous ces trucs-là, elle a dit qu'ils révélaient ce qu'on était à l'intérieur. Elle a dit qu'ils révélaient votre âme..
Je lui jetai un regard sur ce lit d'hôpital, sous la lumière terne, et je reconnus sur son visage l'expression que j'avais déjà vue assez souvent chez les donneurs. C'était comme si elle voulait que ses propres yeux voient à l'intérieur d'elle-même, afin d'y patrouiller et de circonscrire d'autant mieux les zones de douleur de son corps.
Rendons grâces au Ciel, qu'il y ait encore des gens sur qui le cynisme actuel n'a aucune prise.
Il est si rare de nos jours de rencontrer quelqu'un qui ne soit pas contaminé par l'amertume et le cynisme de l'époque.
Les souvenirs auxquels je tiens le plus, je ne les vois jamais s'estomper.
Certains auront de beaux monuments grâce auxquels les vivants pourront se souvenir du mal qui leur a été fait. Certains n'auront que des croix en bois grossières ou des rochers peints tandis que d'autres encore devront rester cachés dans l'ombre de l'Histoire.
Peut-être, dans ce cas, dois-je retenir son conseil de cesser de regarder autant en arrière, d'adopter un point de vue plus positif, d'essayer de faire le meilleur usage de ce qu'il me reste de jour. Après tout, que pouvons-nous gagner à toujours regarder en arrière, et à nous blâmer nous-mêmes parce que notre vie n'a pas pris exactement la tournure que nous aurions souhaitée ?
Il y a quelques jours je parlais à l'un de mes donneurs qui se plaignait que les souvenirs, même les plus précieux s'estompent à une rapidité surprenante. Mais je ne suis pas d'accord avec ça. Les souvenirs auxquels je tiens le plus, je ne les vois jamais s'estomper.
Il faut que vous preniez du plaisir. Le soir, c'est la meilleure partie du jour. Votre journée de travail est terminée. Vous pouvez vous détendre maintenant, et prendre du plaisir. Voilà comment je vois les choses. Demandez à n'importe qui, ils vous diront. Le soir, c'est la meilleure partie du jour.
Votre dieu chrétien de miséricorde donne aux hommes la licence de donner libre cours à leur cupidité, à leur soif de sang et de conquête, sachant que quelques prières et un peu de pénitence leur apporteront pardon et bénédiction.
Le fantasme n'alla pas plus loin - je ne le permis pas -, et si les larmes coulaient sur mon visage, je ne sanglotai pas et ne perdis pas le contrôle. J'attendis juste un moment, puis je retournai à la voiture, pour repartir là où j'étais censée me trouver.
Mais, là encore, je me demande si ce que nous éprouvons aujourd'hui au fond de notre coeur ne ressemble pas à ces gouttes qui dégringolent des feuillages gorgés d'eau au-dessus de nos têtes, alors que la pluie a cessé depuis longtemps. Je me demande si, sans nos souvenirs, notre amour est destiné à s'estomper et à mourir.
Quand faut-il se souvenir, quand est-il préférable d'oublier ?
C'est bizarre la façon dont le monde oublie les gens et les évènements de la veille ou de l'avant veille. C'est comme une maladie qui nous atteint tous.
Je songe à ma pile de vieux livres de poche aux pages tremblotantes, comme si elles avaient autrefois fait partie de la mer.
Quelquefois, je suis si absorbée par ma propre compagnie que, si je rencontre inopinément une personne de connaissance, c'est un peu un choc et il me faut un moment pour m'adapter.
On a toujours énormément de voisins à qui on dit tout juste bonjour. C'est bien dommage quand on y pense.