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Je rêve que mes draps sont devenus de la neige et que leur blancheur froide m'enveloppe dans l'hiver.
Laura Kasischke
Les larmes rendaient n'importe quelle excuse crédible.
Sa voix lui sembla celle de quelqu'un d'autre. La voix d'une narratrice. La voix détachée d'une conteuse. Une narratrice omnisciente, une narratrice qui aurait connu depuis le début l'ensemble des faits, mais aurait choisi de ne les révéler qu'au compte-goutte.
Prendre connaissance des horreurs de ce monde et ne plus y penser ensuite, ce n'est pas du refoulement. C'est une libération.
J'ai compris à cet instant que ce qu'on dit est vrai - on peut vraiment sentir le regard d'un garçon posé sur soi.
Le nombre des gens qui ne mourront pas de la grippe de Phoenix sera supérieur à celui de ceux qui en mourront, déclara un médecin lors d'une émission spéciale du petit écran. Autant continuer d'aller à l'école, régler nos factures et maintenir l'économie à flot. Sinon, quand cette peur-là retombera, nous aurons des raisons de paniquer.
Au temps de la peste noire, expliqua Paul Temple, les Anglais appelaient cela le mal français, les Français parlaient du mal italien, et ainsi de suite. Imputer les fléaux à autrui n 'est pas chose nouvelle.
Elle aurait pu rester plantée toute la nuit dans la neige à les sermonner sur le caractère fugitif de la jeunesse, les dangers de ce monde, l'importance croissante de chaque acte posé dans cette vie, le fil ténu, si facilement tranché, entre la vie et la mort, ou simplement sur l'importance d'être respectueux de ses aînés, ils n'en auraient rien entendu.
La pénombre était totale, elle palpitait de neige violette et d'électricité quand je me suis mise à fixer des yeux le plafond. De temps à autre, une barre de lumière, venant d'une voiture qui passait, s'élevait et retombait sur le mur ou bien elle frôlait notre commode de son gant blanc, comme s'il s'agissait d'un fantôme qui époussetait les meubles.
Il ne lui restait plus rien d'autre à faire que de planifier le néant des jours à venir.
Je pense que vous dites chacun la vérité telle que vous la voyez. Mais je sais aussi que la mort est une force intense, puissante, incompréhensible, qu agit sur le psychisme - particulièrement chez les jeunes gens.
Ces femmes en étaient la preuve, me disais-je. Le monde n'était qu'une fausse toile de fond, comme si rien n'avait jamais existé et n'existerait jamais devant ou derrière elles.
Avril est peut-être le mois le plus cruel, mais mars est bien le mois le plus sale.
Mais l'avenir m'ennuie. Je me vois en train de suivre cet avenir, comme une feuille dans un courant d'air.
Il n'y a rien de pire qu'une génération de jeunes désœuvrés. C'est la raison pour laquelle on a lancé jadis les croisades
Mon charme me conférait un certain pouvoir - mais je voulais aussi être quelqu'un de bien.
Quand germent les superstitions et qu'on commence à les confondre avec la vérité vraie, c'est le début de la fin pour la civilisation. Nous ne pouvons nous permettre de penser en termes de chance ou de malchance.
Parfois l'âme pouvait être derrière le corps, peut-être, mais parfois elle pouvait être à côté ou en dessous, ou au-dessus, mais oui, actuellement, elle se trouvait à l'intérieur. Un livre, par exemple, avait son âme dans le creux entre les deux pages du milieu. C'était typique des choses pliables. Comme les papillons qui avaient l'âme où leurs deux ailes se rejoignaient.
L'hiver nous est tombé dessus en petits fragments célestes brillants d'oxygène et d'éther, qui viennent frapper le sol comme de minuscules éclats de verre froid.
Qu'est-ce que je faisais, en fait, avec tous ces hommes ? Je me disais que si on retirait leurs coeurs de leurs corps et qu'on les posait sur une table, tous les trois, il serait impossible de les reconnaître. Alors, qu'est-ce que je faisais, avec ces trois-là en même temps ?
Tous les secrets ne devraient pas être révélés. Tous les mystères ne devraient pas être résolus.
Débusquer le poil rebelle sur un genou ou sous les aisselles exigeait beaucoup de travail, de dévouement. Il fallait passer assez de temps devant le miroir chaque jour pour s'assurer que lorsqu'on s'en éloignait, on emportait avec soi l'image que l'on voulait donner au reste du monde.
Du reste, la pratique de la crémation, qui nous paraît être une des façons les plus modernes de traiter la dépouille mortelle, trouve là son origine. Si le corps est réduit en cendres, il ne peut y avoir de réincarnation, de retour.
J'avais pensé, alors, que la vie allait s'étendre devant moi, dans toutes les directions. Et qu'à l'heure de la boule dans le sein, même si je n'avais que quarante-neuf ans, je serais prête.
Elle commençait à mesurer la difficulté d'être une belle-mère, ou une mère. On passait son temps à tenter de convaincre des enfants de choses dont on n'était pas sûr soi même.
Stupide et vaincue comme une enfant. Je me sentais comme une enfant qui avait demandé à ses parents un jouet qu'ils ne pouvaient pas lui payer et qu'ils avaient pourtant fini par acheter. Ce que vous voulez vraiment, et ce que vous avez peur qu'on vous donne.
Rien, absolument rien, ne rend la mort aussi croyable que d'être en situation de voir, de toucher le corps de l'être aimé.
Pourquoi avait-elle, jour après jour, à ce point l'impression de donner dans l'imposture.
Les filles sont toujours belles dans les moments où elles se pavanent, prennent la pause, se montrent. Comme cette rangée de Miss America, sourire aux lèvres.
Personne ne naît sans héritage. Comment avait-elle pu croire pendant toutes ces années, qu'il en était autrement ? Holly aurait dû savoir mieux que quiconque que les gènes sont le destin. Que le passé réside en soi. Qu'à moins de le trancher ou de se le faire amputer par opération chirurgicale, il vous suit jusqu'au jour de votre mort.
Les garçons sont toujours plus beaux en pleine activité, quand ils oublient la présence des filles. Suant durant un match de base-ball. Traversant un terrain de football américain en courant, ballon sous le bras.
Elle se souvint alors qu'elle avait eu l'impression, le regard baissé sur le visage inexpressif de sa mère défunte, que cela pouvait se produire. S'échapper de son corps. Que le corps était une manière de cage. Que le moi, l'âme, ne vivait pas en cage. Que ne pas avoir de cage était le but, atteint dans la mort.
Tout était secret. Le pays tout entier était un secret, et la Sibérie en était, en son centre, le vaste et blanc secret.
Leur mariage était comme un grand verre d'eau, si glacée qu'elle transforme vos dents en diamants dans votre bouche. Un verre d'eau venant d'une fontaine glacée, que l'on boit pendant vingt ans.
Nous n'avons pas Internet à la maison parce que mes parents ne veulent pas que j'y aie accès. Quelle sorte de message ce comportement transmettait-il donc ? Que le monde extérieur était choquant ? Qu'il fallait protéger son enfant plutôt que lui fournir les outils pour se défendre ?
Mais moi, j'étais calme, planant en permanence à trois mètres au dessus de mon corps. Peut-être qu'avec moi n'était pas différent qu'être tout seul. Vous pouviez être aussi rustre que vous le vouliez, après. C'était sans doute ça qui plaisait en moi.
Comment avais-je pu louper ça, toutes ces années, dans cette amitié, la haine, aussi ?
Mrs Polson se retourna vers le tableau, sur lequel elle avait écrit une citation extraite de La Montagne magique de Thomas Mann : Ce que nous nommons le deuil est peut-être moins le chagrin de ne pouvoir rappeler nos morts à nous que celui de ne pouvoir nous résoudre à le faire.
On pouvait vivre avec le chagrin s'il ne s'accompagne pas de regret.
Bien sûr, je savais que personne ne vivait éternellement, mais vu que je manquais cruellement d'imagination, la mort me paraissait encore plus absurde que l'immortalité.
Si mes démons devaient me quitter, je crains que mes anges ne prennent à leur tour leur envol.
Pour la première fois, elle comprenait le sens d'échec et mat et ce que cela signifiait que d'être un simple pion.
Pourquoi faisons-nous tous des rêves étranges ? Pourquoi le sommeil n'éteint-il pas nos cerveaux, comme on éteint une lampe ?
Plus je regarde, plus ce vide devient vide et clair. Comme si j'avais ouvert une porte sur de l'espace pur – plat, mais caverneux et brillant –, comme si, si jamais j'entrais, j'allais tomber pour toujours dans le futur.
Au cours de cette période aussi brève qu'étrange, on avait entrevu la possibilité d'un mode de vie entièrement différent. Il s'agissait d'un bienfait collatéral à l'effondrement de l'économie, à la dévastation causée par la grippe de Phoenix. Les règles présidant aux comportements de toute nature changèrent du jour au lendemain.
Les gens n'étaient-ils pas censés en avoir fini avec la religion dans cet endroit abandonné de Dieu ?
Jusque-là, la vie avait exaucé tous mes voeux : cheveux longs, grands yeux bleus, joues roses, peau bronzée, sourire resplendissant, belle poitrine, et petit cabriolet rouge.
Le Net était devenu, pour celles qui n'avaient plus leur mère, le principal filon des remèdes de bonne femme et autres conseils féminins.
On rapportait que s'étaient formés dans tout le pays des groupes d'étudiants se consacrant à l'étude de Nostradamus. Pourquoi attendre de voir ce qui réserve l'avenir, s'il est possible de le découvrir dans le passé ?
Mais il n'existe pas de programme en douze étapes pour les gens qui sont égoïstes, sans coeur et superficiels, comme semblent pourtant l'être la plupart des gens.