Images
Je croyais le monde dévasté, mais Vous me murmurez à l'oreille que ce n'est pas fini et que les hommes n'ont pas encore payé. Qu'ils périssent, Seigneur, s'ils Vous ont offensés.
Laurent Gaudé
Il est là, revenu de son passé, revenu de l'autre bout de la ville, le corps fatigué, torse nu, il est là, l'homme qui lui manquait. Elle le sent maintenant : elle est bancale depuis six ans.
En Italie il y a autant de voyages que de régions. On ne fait vraiment pas le même voyage selon l'endroit où l'on va et le sud est extrêmement dépaysant.
C'était la main sèche de la malchance qui condamne, depuis toujours, des générations entières à n'être que des culs-terreux qui vivent et crèvent sous le soleil, dans ce pays où les oliviers sont plus choyés que les hommes.
Les hommes, comme les olives, sous le soleil de Montepuccio, étaient éternels.
Il est une chose qui reste solide, aussi solide que la puissance des montagnes, c'est le chant des femmes endeuillées.
Elle se souvient d'Héphaistion qui lui parlait de la beauté de l'Egypte : "Les hommes, là-bas", disait-il, "ont la beauté des chats, et le silence est vaste."
Je ne connais pas de Dieu, alors, à la vue de cette marée, j'ai recommandé les âmes de Messard, Castellac, Dermoncourt et Barboni à la terre. J'ai murmuré que c'étaient des hommes, qu'ils avaient saigné et qu'ils méritaient la paix.
La mort est là. En nous. Elle contamine tout. Nous l'avons au fond du ventre et elle n'en sortira plus.
L'herbe sera grasse et les arbres chargés de fruits… Tout sera doux là-bas. Et la vie passera comme une caresse. L'Eldorado.
La nature n'en peut plus de notre présence, de sentir qu'on la perce, la fouille et la salit sans cesse. Elle se tord et se contracte avec rage.
Tant que nous serons deux, la longue traîne de notre vie passée flottera dans notre dos. Tant que nous serons deux, tout sera bien.
Le voyage impose des épreuves et nous vieillissons à chacune d'entre elles.
Nous nous entassons dans la mort avec la même tristesse que dans la vie, serrés les uns contre les autres, laids d'être tous identiques. Comme si, même là, nous avions peur d'être seuls.
Tu nous as offert une ville. Oui. Un massacre. Tel fut ton cadeau, tsongor... tu le sais. Tu étais parmi nous. C'est cela que tu nous as offert. Des monstres dont les mains, à jamais, auront l'odeur épaisse du sang. Je te maudis.
Je n'ai pas peur, moi, Joséphine Linc. Steelson, il n'y a plus rien à détruire en moi que ma volonté et cela personne ne l'entamera, car je suis faite de cela et de rien d'autre, un bloc noir de volonté qui ne fait que durcir avec le temps.
Il lui fallait le ciel entier, plein d'étoiles mouillées, pour épancher sa mélancolie. Il ne demandait rien. Qu'on le laisse simplement glisser au fil de l'eau en abandonnant derrière lui les tourments du monde.
Tire et tue. Plus que cette seule idée en tête. Sois rapide. Plus rapide que les autres. Tire et tue. Et ne fatigue jamais.
Je porte mon père en moi. Ce matin, aux aurores, je l'ai senti monter sur mes épaules comme un enfant. Il compte sur moi dorénavant.
Je me suis trompé. Aucune frontière n'est pas facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi. Nous avons cru pouvoir passer sans sentir la moindre difficulté, mais il faut s'arracher la peau pour quitter son pays. Et qu'il n'y ait ni fils barbelés ni poste frontière n'y change rien.
Un homme poussiéreux et sale entrait dans la maison des Biscotti, à l'heure où les lézards rêvent d'être poissons, et les pierres n'y trouvèrent rien à redire.
J'ai connu moi aussi, plus d'une fois, la douleur de la perte. Je sais le voluptueux vertige qu'elle procure. Il faut te faire violence et déposer le masque de pleurs à tes pieds. Ne cède pas à l'orgueil de celui qui a tout perdu.
Si on n'arrive pas à percer quand on se lève tous comme ça, si on ne passe pas quand on est des milliers à courir en gueulant, je me demande bien jusqu'où on reculera.
Il y a de la noblesse à éprouver son insignifiance, de la noblesse à savoir qu'un coup de vent peut balayer nos vies et ne rien laisser derrière nous, pas même le vague souvenir d'une petite existence.
Je ne pensais pas que la mort pouvait avoir le visage d'un gamin de dix-huit ans. Ce gamin-là, avec ses yeux clairs et son nez d'enfant, c'était ma mort.
Je suis le roi Tsongor, et j'ai sur mes joues et au creux de mes mains autant d'années que tu as de cheveux.
Nous nous en remettons à Dieu parce que nous savons que nous ne pouvons pas compter sur nous. Nous serons sourds aux cris de nos camarades, et nous prions pour que Dieu ne le soit pas.
Les épreuves de la vie l'ont forcée, l'ont enlevée à l'existence qu'elle avait espérée, mais elles ne lui ont pas fait baisser les yeux.
Elle se demande si elle va désormais passer sa vie sur les routes de l'Empire, accompagnant un cortège qui sera sans cesse pris et repris, volé, saccagé, jusqu'à ce que le nom d'Alexandre ne dise plus rien à personne et qu'elle puisse enfin être en paix.
Alexandre et la mort vont rester face à face pour se jauger. Tout le monde quitte la salle, tête basse, sidéré de voir qu'un homme peut conserver, à l'instant de mourir, avec une telle force, le plein éclat du vivant.
Il prend le temps de la regarder et ce regard n'est pas dur à soutenir comme tous ceux dont elle a l'habitude, ce regard est un abri qui l'enveloppe.
Je suis sauf. Je pars pour Paris. Et à chaque seconde, à chaque mot que je prononce, les tranchées s'éloignent de moi un peu plus. Mais d'ou me vient, alors, cette indéfinissable envie de pleurer ?
Aucune frontière n'est facile à franchir. Il faut forcément abandonner quelque chose derrière soi... Aucune frontière ne vous laisse passer sereinement. Elles blessent toutes.
La tempête approche et elle sera pour eux, comme toujours, les miséreux aux vies usées, et pour eux seuls.
Qu'a-t-il, son enfant à elle, pour fuir ainsi les hommes et aimer le silence d'une ville qui se noie ? Qu'a-t-elle fait naître en lui de tordu, à force de doutes et de fatigue, pour qu'il contemple le monde avec un regard si circonspect ?
C'est la dernière fois qu'il danse, il le sait mais il veut gagner chaque minute, et lorsque la douleur reviendra, que ce soit au coeur de la danse qu'elle le trouve.
C'est ici qu'était notre place. Dans ce pays qui ne ressemblait à aucun autre. Nous étions en Amérique et plus rien ne nous faisait peur.
Parce que la volonté rend beau et que devant la beauté, l'homme, heureusement, a encore le réflexe, parfois, de se mettre à genoux.
Les hommes ne sont rien. Et ne laissent aucune trace.
Il n'y a qu'au dernier jour de sa vie que l'on peut dire si on a été heureux, dit-il. Avant cela, il faut tenter de mener sa barque du mieux qu'on peut. Suis ton chemin, Elia. C'est tout.
Il n'était plus personne. Il se sentait heureux. Comme il était doux de n'être rien. Rien d'autre qu'un homme de plus, un pauvre homme de plus sur la route de l'Eldorado.
Les femmes ont des yeux plus grands que les étoiles.
Qu'est-ce qu'un homme si ce n'est une accumulation d'histoires vécues, rapportées, imaginées, qui, mises bout à bout, finissent par faire une vie ?
Je retrouve ma ville et je reste bouche bée. J'avais oublié sa beauté lascive, brunie par le soleil. Rome, ville superbe où les hommes se déplacent avec la suavité des chats.
Tant que le cortège parcourt le monde, Alexandre est là et il tient encore l'Empire, par son absence mais c'est une façon de le tenir.
Ils ont volé les miséreux que nous sommes. Même les plus pauvres ont quelque chose à donner aux charognards.
Il n'y a que cela qui fasse tenir le monde debout, la fidélité des hommes à ce qu'ils ont choisi.
Ils étaient beaux de cette lumière que donne l'espoir au regard.
La mort s'est jouée de lui. Elle l'a pris de plein fouet. Pour sa première charge. C'était un homme et il méritait mieux que cela.
Il fallait être vif. Ne pas penser. Ne pas faiblir. Percer et tirer sans cesse. Je n'ai plus vu personne. Corps à corps pour la vie. J'étais une bête et je ne me souviens plus. J'étais une bête et je n'oublierai jamais.