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Je me demande jusqu'à quel point une maladie peut s'acharner sur un être. Je me demande pourquoi c'est mon père qui subit ça. Je ne sais plus quoi faire. Je ne fais plus rien pour lui. Je ne peux plus rien faire. J'essaie de vivre normalement. Je me dis que c'est la seule façon de survivre. J'oublie. Je me souviens. J'ai la tristesse cachée derrière la joie.
Marie Griessinger
Et à chaque fois qu'il entre dans la cour de mon immeuble, il abîme le pare-chocs. À la fin des vacances, le pare-chocs ne tient plus qu'avec du scotch. Nous avons tellement ri en le voyant partir à l'aéroport avec la voiture recouverte de scotch. Et lui aussi a ri.
Le cerveau n'a rien à voir avec l'amour.
Je me dis que peut-être l'insouciance, c'est quelque chose qu'on a jusqu'à un certain âge, et que lorsqu'on la perd, on ne la retrouve plus jamais.
Le bonheur était là, simplement, dans la monotonie de notre vie, dans sa douce quiétude, dans cette vie que toi, mon père, avais construite, et qui convenait si bien à mon enfance.
Mon père n'était pas parfait. Il l'est devenu le jour où il a arrêté de parler, d'être froid, de toujours donner raison à ma mère, de me contredire. Ce jour où mon père est devenu invalide, je l'ai mis sur un piédestal. Mais ce sont toutes ses imperfections qui me manquent.
Mon père ne m'avait jamais dit : "Je t'aime" et pourtant il existait, bien palpable, sous-jacent, cet amour entre nous. Comme un chat silencieux qui vient se frotter et dont on sent la caresse aller et venir sur la peau nue.
Il a parlé comme il parlait autrefois. Et c'est comme si sept petites bougies s'étaient allumées dans notre obscurité. Des bougies de la Toussaint, sur le cimetière de notre vie passée.
Les regrets de demain sont déjà dans la terre en petites graines fécondes. C'est de nos doigts qu'ils ont glissé.
Les pères savent que les paysages sont encore plus beaux quand on les regarde avec ceux qu'on aime.
Nous ne parlons jamais de nous. Jamais. Les timides ne savent pas parler d'eux-mêmes. Ils ne peuvent pas. Ils parlent de la pluie et du beau temps. Ils laissent l'autre s'exposer, être dans la lumière. Un timide ne brille jamais plus que dans l'ombre.
On a posé un voile sur notre vie, comme quand on pose des draps blancs sur les meubles des maisons de vacances. Pour que tout soit en place quand revient l'été. Pour que rien ne s'abîme.
Quand un avion tombait, qu'un bateau coulait, quand une connaissance avait un cancer, ou qu'on risquait de rencontrer la tante Adrienne, celle qui faisait le mauvais œil, ma mère ouvrait sa main sur nous et nous disait : "Dieu nous préserve." Elle s'armait de sa petite phrase comme une guerrière face au destin.
Dans un murmure. Un balbutiement. Un "Je t'aime" à peine audible et pourtant si puissant, comme si son cœur m'avait parlé directement, sans passer par la bouche, et surtout sans passer par son cerveau... Un "Je t'aime" qui vient du coeur, directement, sans déformation, sans arrière-pensée, sans fard.