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Si nous pouvons tirer une leçon de l'histoire, c'est bien celle-là : que l'intelligence du monde, le souci de la dire, d'en restituer les langages neufs, viennent le plus souvent des marges.
Michel Le Bris
Face à la barbarie qui menace, les écrivains, même s'ils n'en sont pas nécessairement conscients, sont toujours les gardiens du Feu.
On part, un jour, parce que l'on veut croire qu'un regard peut triompher des bornes de la pensée.
Après tant d'années, l'acte d'écrire me reste toujours un mystère. Et s'il cessait d'être, sans doute n'écrirais-je plus. c'est ce mystère que je traque, pourtant, de livre en livre, non pour l'élucider mais pour l'éprouver.
Être lecteur compulsif, qui plus est écrivain, exige une forme physique exemplaire et des épaules de déménageur.
Ai-je jamais quitté le grenier de mon enfance ? Tout au plus ai-je tenté de l'agrandir aux dimensions de l'univers, d'y faire rentrer la rumeur de la mer, au-dehors-et en retour il m'aura grandi.
Est-il plus belle métaphore du métier d'écrivain, et du pouvoir des mots ? Il était une fois : notre première, notre véritable, peut-être notre seule demeure.
Il y a fort heureusement encore des poètes magnifiques, des enseignants passionnés, des éditeurs gardiens obstinés de la flamme.
Les livres, en somme, m'apprenaient ceci : que les mots ne désignent pas seulement les choses, mais, leur donnant forme, les donnent à voir.
On ne dit jamais assez sa gratitude. Et trop tard, souvent.
Voyager, n'est-ce pas d'abord chercher à s'éveiller, réapprendre à regarder ce que nous ne voyons plus, à force d'habitudes ?
Évidente, l'oeuvre d'art n'en reste pas moins à jamais intraduisible, inexplicable, indicible par quelque autre langage - puisqu'elle ne renvoie qu'à elle-même.
On part un jour parce que l'on veut croire qu'un regard peut triompher des bornes de la pensée. Ou parce qu'un goéland, là-bas, aura crié trop fort. Ou bien, tout simplement parce qu'on s'ennuie - et la mer, alors, nous est une délivrance.
Et puis j'écrivais à la main, j'avais besoin de la main, de la disposition des mots, des paragraphes sur une feuille blanche pour éprouver le rythme des phrases, la place des silences, le grain de la voix qui passe dans la page, main et voix liées.
Nous naissons, nous avançons, dans le bruissement des livres qui nous ont faits, des rencontres dont nous sommes nourris, et dont tant furent des libraires.
Nous vivons des temps de grandes incertitudes où il nous semble que le sens même de l'humain se trouve en péril : de la puissance du poème, de la fiction, se trouve, je crois, une réponse.
Chaque librairie, du moins celles qui m'importent, et qui seront peut-être les seules à résister aux bouleversements en cours, sont d'abord des aventures humaines.
Chaque librairie est un fragment d'autobiographie.
Et si nous faisions confiance à la fiction ? Depuis le fond des âges, dans toutes les cultures, nous déployons une énergie sans limites pour nous raconter des histoires - à cette étrange manie, il doit bien y avoir une raison !