Images
Le temps réel rend dinosaure le temps d'autrefois.
Michel Serres
Il ou elle écrit autrement. Pour l'observer, avec admiration, envoyer, plus rapidement que je ne saurai jamais le faire des mes doigts gourds, envoyer, dis-je, des SMS avec les deux pouces, je les ai baptisés, avec la plus grande tendresse que puisse exprimer un grand-père, petite poucette et petit poucet.
La joie ; la simple joie contingente d'exister ; la joie de survivre aux violences de plusieurs guerres ; la joie, ici et maintenant, d'une paix qui dure depuis soixante-dix ans ; la joie que donne la beauté du monde et celle des femmes ; la trismégiste joie d'aimer...
Au rugby (...) tout le monde regarde l'équipe, personne ne regarde le ballon. Or l'important, c'est le ballon, c'est lui qui fait l'équipe.
Je vois nos institutions luire d'un éclat semblable à celui des constellations dont les astronomes nous apprennent qu'elles sont mortes depuis longtemps déjà.
C'est tellement rare, c'est tellement improbable, c'est tellement miraculeux que c'est peut-être ça la civilisation et la culture. Rencontrer quelqu'un qui écoute.
Chaque fois qu'il y a un changement de support, il y a un Socrate qui engueule un Platon.
On va dire que les jeunes sont tout le temps dans le virtuel et qu'ils vont s'étioler... Or, dans notre génération, tout le monde a été amoureux de vedettes de cinéma que l'on n'a jamais embrassées qu'en images. Le virtuel est la chair même de l'homme.
Mais il ne s'agit pas d'un grand récit comme autrefois, à l'image de la Bible par exemple, qui évoque un dessein intelligent, intentionnel, un plan divin. Le grand récit, tel que les savants le proposent aujourd'hui, s'écrit au futur antérieur.
Apprendre : devenir gros des autres et de soi. Engendrement et métissage.
Aujourd'hui, on prend un parapluie parce que la télé a dit qu'il allait pleuvoir. Autrefois, on aurait regardé le ciel.
Rien ne se construit, ne se fait, ne s'invente, sinon dans la paix relative, dans une petite poche de paix locale rare maintenue au milieu de la dévastation universelle produite par la guerre perpétuelle.
Un philosophe doit aussi enseigner, pas seulement de la philosophie, mais aussi du savoir.
Nous sommes des bêtes à virtuel depuis que nous sommes des hommes. Pendant que je parle, une partie de mes pensées est à ce que je dois faire ensuite, une partie est à mes cours de Stanford, une autre se souvient de mon dernier voyage en Afrique du Sud... Toutes nos technologies sont le plus souvent du virtuel.
Aime l'autre qui engendre en toi, une troisième personne, l'esprit.
L'économie telle que le capitalisme l'a mise en place est catastrophique, au moins du point de vue écologique.
Notre sénilité endormie se trouve a l'aise dans l'absurde. Cela profite à beaucoup.
Nous vivons aujourd'hui une crise aiguë des langues. Jadis tenues pour trésors, elles tombent en mésestime, chacun saccage la sienne, comme on a fait de la terre.
Sans que nous nous en apercevions, un nouvel humain est né, pendant un intervalle bref, celui nous sépare des années 1970. Il ou elle n'a plus le même corps, la même espérance de vie, ne communique plus de la même façon, ne perçoit plus le même monde, ne vit plus dans la même nature, n'habite plus le même espace.
Le philosophe n'a pas de spécialité. Il est partout chez lui.
Le virtuel est la chair même de l'homme.
L'invention est le seul acte intellectuel vrai, la seule action d'intelligence. Le reste ? Copie, tricherie, reproduction, paresse, convention, bataille, sommeil. Seule éveille la découverte. L'invention seule prouve qu'on pense vraiment la chose qu'on pense, quelle que soit la chose. Je pense donc j'invente, j'invente donc je pense : seule preuve qu'un savant travaille ou qu'un écrivain écrit.
Supposé qu'Euclide et ses prédécesseurs aient considéré le triangle comme une moitié de carré ou, mieux, d'un parallélogramme : ils auraient été immédiatement conduits au vecteur, c'est-à-dire à la structure de l'espace comme espace vectoriel.
Le seul acte intellectuel authentique, c'est l'invention.
Ils n'ont plus le même monde mondial, ils n'ont plus le même monde humain. Autour d'eux, les filles et les fils d'immigrés, venus de pays moins nantis, ont vécu des expériences vitales inverses des leurs.
Apprendre lance l'errance.
On peut presque tout faire sans lumière sauf écrire. Ecrire demande des lueurs. Vivre se suffit d'ombre, lire exige la clarté.
Pour l'instant, les gens qui produisent des CD-Rom se trompent. Ils produisent pour vendre à qui ? A un public affamé de connaissances ? Ou il est riche et il n'a pas le temps, ou il a du temps et il n'a pas d'argent.
Qui ne bouge n'apprend rien. Oui, pars, divise-toi en parts.
Par téléphone cellulaire, ils accèdent à toutes personnes par GPS, en tous lieux par la Toile, à tout le savoir : ils hantent donc un espace topologique de voisinages, alors que nous vivions dans un espace métrique, référé par des distances.
Il suffit de regarder du côté de l'éducation des enfants - leur maman les prend à l'école et les amène à la danse, et après la danse, il y a le cours de solfège ou de judo... Ils ne s'ennuient jamais et par conséquent ils n'ont pas de temps mort. Or le temps mort nous constitue. Parce que, sinon, je ne suis que joueur de piano, danseur ou judoka... Vive l'ennui !
Polluer, c'est d'abord s'approprier. Pour ne plus polluer, il faut apprendre à ne plus s'approprier les choses.
Ce ne sont pas les savoirs qui sont transformés, c'est le sujet des savoirs.
Quand on a fait la Révolution de 89, on avait Rousseau derrière. Aujourd'hui, on n'a personne, et c'est la faute à qui ? Aux philosophes. C'est leur rôle de prévoir ou d'inventer une nouvelle forme de gouvernement ou d'institutions, et ils ne l'ont pas fait.
À ceux qui affichent le mépris de l'intellect tout en cherchant, cependant, comme tout le monde, à résoudre leurs difficultés, conseillez d'essayer l'ignorance d'avant.