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Libre, elle n'était fidèle qu'à la liberté.
Miguel Bonnefoy
Chaque peuple a sa plaie fondatrice : la nôtre est dans l'effondrement de notre histoire. Nous avons dû nous tourner vers le mythe pour la reconstruire.
Visiblement, nous vivons dans un monde où toutes les races ne peuvent cohabiter.
L'analphabétisme avait isolé le village du monde. Faute d'instituteur, on ne savait lire que les caprices du ciel et on comptait jusqu'à cinquante.
La main qui toucha sa tempe lui fit l'effet d'une boussole sur un navire perdu dans une tempête.
Elle considérait qu'une femme cultivée ne pouvait pas être soumise, et ne cherchait pas tant à briller qu'à affirmer sa liberté.
Ce n'est pas de vivre dans la misère qui rend misérable, mais de ne pas pouvoir la décrire.
Ce n'est pas seulement le voyage qu'il faut accomplir, c'est l'idée du voyage.
L'absence de piété fut sa dévotion.
Ils voulaient construire un moulin alors qu'ils interdisaient le vent.
Je sentis tout à coup que mes mots n'incarnaient pas la saveur du paysage. Ils n'avaient pas l'haleine de la cascade, le fer de la grotte. Habitués à l'ombre, ils étaient laids au soleil.
De gros nuages se fendaient en bosses et protubérances. Les formes étaient courbes, galbées, bombées comme des jarres, suspendues comme des coraux, pleines de veinures secrètes, tout obéissait à des emblèmes féminins. Elle confirma à cet instant que le nom du ciel ne pouvait pas être masculin.
Tandis qu'il habillait la matière, il avait le silence pour vêtement.
Ce grand livre avait été fermé pendant mille ans. Comme la pierre, il avait résisté au temps. La littérature était donc une pierre.
Au pied d'un escalier, un mendiant solitaire tenait un écriteau : Contribuez au patrimoine de la misère.
Son baiser prit une couleur d'or et de miel. A son parfum, il reconnut les notes vanillés de l'ananas, ses lèvres exhalant des fraîcheurs herbacées et des saveurs d'agaves, comme une longue traînée de braise, et la chaleur de celles qui ont une flamme à la place du cœur.
Des écrivains publics faisaient payer une fortune les lettres d'amour, les vieux comptaient les mois en grains de maïs et les marchands racontaient aux enfants des légendes pour les éloigner de la nuit. C'était une époque simple et craintive.
Il le dit comme on donne de l'eau à un autre homme, non pas parce qu'on en a, mais parce qu'on connaît la soif.
L'avantage d'être pauvre, c'est qu'on peut toujours s'enrichir.
Il n'y a pas de légende sans preuve.
On jette la graine là où on veut que l'arbre pousse.
La littérature devait aussi bien représenter ceux qui ne la lisent pas, pour exister comme l'air et comme l'eau, et toujours autrement.
Devant les autres, il ne se taisait que pour sentir le silence le protéger à la façon d'une carapace, comme d'autres ne parlaient que pour sentir sur leur langue l'impatience de leurs propos. Étranger à la beauté des phrases, la discrétion était sa demeure. Et dans cette torpeur, il ignorait les inconvénients de son silence comme le sage ceux de sa sagesse.
Tout le monde savait qu'il venait de loin et que sa patrie était dans une infinité de villes vite quittées.
Aucun texte sur la jungle ne peut rendre la sensation de la jungle. Ce mélange de resserrement et d'immensité, cette impression d'être soumis à sa grandeur et la révolte qu'elle génère, cet incroyable qui est palpable, cette noble sérénité des premiers âges. On contemple la jungle comme on contemple un ciel étoilé : rien ne bouge et pourtant tout semble habité.
Personne n'apprend à dire qu'il ne sait ni lire ni écrire. Cela ne s'apprend pas. Cela se tient dans une profondeur qui n'a pas de structure, pas de jour. C'est une religion qui n'exige pas d'aveu.
Les peuples reprennent leur dignité à la hache, car c'est à la hache qu'elle leur a été amputée.
La canne à sucre, c'est comme l'espoir. Il faut la brûler pour qu'elle repousse avec plus de force.
Je pensai à la jungle comme écriture. Je m'interrogeai s'il existait, entre la sève et l'encre, le même apprentissage qui lie le doute et la certitude. Émerveillé de tout, enivré de rien, là explosait la respiration des feuilles, la couleur des pastèques, les pages de la jungle qui n'ont pas de grammaire et qu'on cherche, pourtant, sans cesse à traduire.